poudre compofée d’écorce de fajfafras, &C
mêlée de piment , eft excellente. Dans
un envoi conlidérable , les peaux etoient
dévorées dans les boëtes où cette poudre
avoit été trop épargnée, & il n’y avoit
pas le moindre dégât dans celles pour lef-
quelles on en avoit fait un ufage luffifant,
quoique toutes les boëtes fùffent allez mal
faites. Neuf mille peaux d’oifeaux envoyées
enfuite du même pays avec la même précaution
, dans des boëtes encore plus mal
conftnfites , font arrivées intaûes & ont
été en grande partie dévorées quand on
les a retirées des boëtes. Le poivre eft
auffi d’un excellent ufage. Mais de quelques
plantes qu’on compofe la poudre dont on
veut fe fervir, il faut qu’elle foit tres-
abondante, fans quoi elle ne produit pas
d’effet, & il n’en faut attendre qu’autant
qu’on s’en fert de la manière fuivante.
Sur le fond de la boëte deftinée à contenir
les peaux , on répand un lit de poudre
de cinq à ftx lignes d’épailfeur ; on arrange
les peaux fur ce lit ; on introduit de la
poudre entre les ailes & le corps & fous
les plumes qu’on foiflève. On recouvre
enfuite toutes les peaux d’un lit de poudre,
de manière qu’elles en foient entièrement
cachées , & fur ce lit on établit une nouvelle
couche de peaux à l’égard de laquelle
on fe comporte comme par rapport à la
première. On continue de la même façon
jufqu’à ce que la boëte foit remplie.
Je n’ignore pas que beaucoup de personnes
prétendent avoir des moyens plus
lurs & immanquables , félon elles , pour
garantir les peaux des oifeaux &c celles de
toutes fortes d’animaux, du dommage que
les inftftes peuvent y caufer, Mais ces per-
fonnes font un fecret des moyens qu’elles
employent ; je ne icnurois donc les indiquer;
d’ailleurs, quant à leur effet, je me
fuis: affuré par bien des epreuves , qu il
n’efl mdlement tel que les poffeffeurs
des fecrets l’annoncent ; je ne peux l’af-
furer des moyens que je n’ai pas fournis a
l’épreuve ; mais je puis certifier qu’un affez
grand nombre d’animaux qui m’avoient été
donnés comme inattaquables par les i n-
fefles, en ont été détruits. Je reviendrai
à cet objet, en parlant des moyens de
conferver les collections. Je me borne
donc pour le moment à confeiller aux
voyageurs, l’ufage des boëtes telles que
je les ai indiquées, & l’emploi de la poudre
aromatique qu’ils prépareront fuivant les
plantes du pays où ils fe trouveront. Quant
à l’ufage d’une certaine poudre dont la
recette eft fort répandue, dont l’emploi
eft beaucoup trop commun, qui eft un
mélange abfurde de tous les poifons les
plus dangereux , j’invite , autant qu il eft
en moi, les voyageurs à ne fe pas laiffer
féduire par les propriétés qu’on y attache
& à ne pas fe fervir de cette poudre. Il
n’eft pas vrai qu’elle garantiffe les oifeaux
qu’on foumefi à l’épreuve , & elle peut
donner lieu à des accidens dont la pofli-
bilité devroit la faire abfolument prof-
crire , qui détourneront tout homme
raifonnable d’en ufer pour un objet qui
n’eft pas de première néceflité.
J’ai fuppofé que les voyageurs, en arrangeant
les peaux, auroient attention de
les mettre , autant qu’il eft poflible , étendues
de toute leur longueur, de façon
qu’aucune partie ne foit pliee, que les
plumes foient liftes, &c. J’ai achevé tout
ce qui concerne la manière de préparer ôc
d’apporter, ou d’envoyer les peaux d’un
pays dans un autre, J’obferverai encore ,
comme je l’ai fait déjà , qu’on ne doit pas
s’effrayer des difficultés, des longueurs
que paroiffent offrir les détails dans lef-
quels je fuis entré ; que les manipulations
que j’ai décrites font plus longues à fa'ire
connoître par la voie du difeours qu’à
exécuter; qu’enfin je n’ai fait qu’éxpofer
les précautions qui ont été prifes bien des
fois , en des lieux fort differens , par un
grand nombre de voyageurs , & eu particulier
par ceux qui ont le mieux rempli j
l’objet dont il s’agit.
Avant qu’on fçut préparer les peaux de
la manière que je viens de l’expofer, on
fe contentoit de conferver les oifeaux entiers
dans des bocaux ou des barils remplis
d’efprit devin, detaffia ou autre liqueur
fpiritueufe. On a inféré à ce fujet dans la
première édition de l’Encyclopédie, un
Ôrticle tiré d’une feuille imprimée en I
1745 , & diftribuée par ordre de l’académie
des fciences de Paris. Les raifons
qui ont fait dans le temps préférer cette
méthodê', font, félon l’éditeur de l’Encyclopédie
, que les oifeaux dont on n’envoie
que les peaux, ne préfentent jamais une
forme affez femblable à celle de l’animal
en vie ; qu’elles font fujettes à être maltraitées
pendant la route par des-infeétes;
qu’il eft plus commode d’envoyer les
oifeaux entiers que de les faire decharner
& défoffer. Mais on ne parvient pas mieux,
en envoyant les oifeaux dans une Jiqueur
fpiritueufe, à faire connoître la forme qu’ils
avoient étant en vie, qu’en ne confervant
que leur peau. La liqueur confume & def-
sèche les chairs, racornit la peau & les
membranes, rétrécit & diminue toutes les
dimenfions. La plupart des oifeaux paroiffent
, étant vivans, avoir le cou fort court,
quoiqu’ils l’aient réellement très - long ;
toutes les efpèces de héron font en particulier
dans ce cas. Il n’y a aucun moyen,
en montant un héron ou autre oifeau qui
a été confervé dans l’eau-de-vie , d’effacer
fon cou, d’empêcher qu’il ne paroiffe dans
toute fa longueur : on approche bien plus
de conferver la forme de l’animal vivant
£ l’on n’a gardé que fa peau. Voici deux
autres inconvéniens. Lorfqu’on retire un
oifeau de l’eau-de-vie pour le monter ,
il eft fort difficile de l’écorcher ; aufli ne
le fait-on pas ; on fe contente d’incifer la
peau fous le ventre , pour remplacer par
un peu de coton qu’on introduit, le vuide
trop conlidérable que les chairs, ert fe def-
féchant, laifferoient des deux côtés du
bréchet ; on paffe un fil de fer à travers
la tête ; on l’introduit par le trou occipital
, dans la cavité de la colonne cervicale
& de la thorachique. Ce premier fil
de fer fert à tenir le cou & la tête relevés ;
on paffe enfuite deux autres fils de fer de
chaque côté, un entre la peau & les'os
de la patte &c de la cuiffe ; on pouffe ces
fils de fer vers le corps , & on les y fixe
au hafard, comme on peut ; ils fervent
à fupporter tout le corps qui n’a jamais
d’aplomb ni de folidité, mais qui demeure
Hijloirç Naturelle, Tome I,
toujours vacillant ; l’oifeau fe defsèche &
la peau colée fur les chairs, qui ont pris
une retraite inégale , laiffe appercevoir des
afpérités , des, creux que n’effacent pas
les plumes, parce que la peau, qui eft très-
retirée & très-bandée ,,les applique fortement
fur le corps , fans qu’elles aient
aucun jeu , aucune mQlfeffe , rien de fouple
& de flottant.
Un fécond inconvénient, c’eft que les
plumes qui ont été une fois imbibées d’un
fluide, fur-tout fi elles ont été agitées ,
ne reprennent jamais leur luftre. Cela
vient de ce que les barbes fe défuniffent,
de ce qu’elles perdent leur reffort par la
macération, & leurs barbés ne recouvrent
pas leur engrainure les unes avec les autres,
par le moyen des filets que j’ai décrits en
parlant de l’organifation des plumes. Les
oifeaux confervés de cette façon ont donc
toujours le plumage, hériffé & fans luftre ;
ils l’ont même fouyent fort terne, parce
que fi la liqueur a été trop épargnée, fi
on ne l’a pas changée, que s’étant trop
chargée des parties extraûiles , elle ait
perdu de fa force, & n’ait pas prévenu
un mouvement de fermentation, qui arrive
fort fouvent en pareil cas, les couleurs
font fort altérées.
C’eft, fans doute, d’après les raifons que
je viens d’expofer , que depuis que le goût
de former des colleètions d’oifeaux eft
-devenu fort répandu, on a préféré d’en
demander aux voyageurs les peaux, &
qu’ils fe font généralement prêtés à cette
demande , quoiqu’il leur fut en effet bien
plus commode de ne faire que plonger les
oifeaux entiers dans une liqueur. Mais
quelques inconvéniens au’ait cette méthode
, il eft des cas où l’on doit l’employer
: ce font ceux où l’on defire faire
connoître aux anatomiftes des oifeaux dont
l’organifation peut les intéreffer, Sc ceux
dans lefquels on manque de temps ou de
commodités, pour enlever la peau à des
oifeaux rares. L’ufage des liqueurs fpiri-
tueufes eft alors la feule voie qui relie ;
on en tire tout l’avantage qu’elle peut procurer
, on en diminue les inconvéniens,
en prenant quelques précautions rapportées
K. k k