Il apprend aifément à fe laver fui - même > il ;
prend de l’eau dans fa trompe , il la porte a fa
bouche pourboire , & enfuite , en retournant fa
trompe., il e:n laifle couler 3 le refte- à flot fur
.toutes les parties de fon corps. }
Pour donner une idée des fervices-qu il peut
rendre, il fuffira de dire' que : tous des r .tonneaux,'
facs, paquets qui fe tranfportent -d’un lieu à .un
autre dans les Indes, font voitures par des éléphans:9
.qu’ils peuvent porter des fardeaux fur leur corps ,
fur leur cou, lür leurs défenfes, & même avec
leur gueule , en leur préfentant le bout d’une
•.corde qu’ils ferrent avec les dents. Joignant l’intelligence
à la force , ils ne caffent ni. n’endommagent
rien de ce qu’on leur confie ;• ils font tourner &
palier ces paquets du bord des eaux dans un
bâteau fans les laiffer mouiller , les pofent doucement
, & les arrangent ou l’on veut lés pla^-
.cer ; & quand ils les ont dépofés dans l’endroit
qu’on leur montre , ils effayent avec leur trompe
s’ils font bien fitués ; >& quand c’eft un tonneau
qui roule , ils vont d’eux.- mêmes chercher des
pierres .pour le caler & l’établir foLidement.
Comme Y éléphant nage très-dnen .qu’il enfonce
moins dans Teau qu’aucun autre animal,
.on s’en fert très-utilement pour -le paffage des
rivières. Outre deux pièces- de .canon de trois
.ou quatre livres de balle., dantion.le charge
.dans ces occafians, on lui met encore! fur fe
corps une infinité d’équipages indépendamment
de quantité de perfonnes qui s’attachent à feS
.oreilles ôç àfaqueuepourpaffer l’eau,. Lorfqu’il
eft ainfi chargé , il nage entre deux eaux, & on
ne lui voit que la trompe , qu*il tient élevée
pour ..refpirer.
On fe fert aufli de 1[éléphant pour le tranfport
de l'artillerie fur les montagnes , ôc c’eft-dà.où
fon intelligence fe fait le mieux feniir.. Pendant
que les boeufs attelés a la pièce de .canon, font
-effort pour la traîner en haut, Y éléphant pouffe
la culaffe avec fon front, & /à. chaque effort qu’il
fait, il tient l’affût avec fon genou, qü’il place
à la roue : il femble qu’il comprenne ce qu’on
lui dit. Son conducteur veut-il lui faire faire
quelque .corvée pénible, il lui explique de quoi
il ëft queftion , & lui détaille les raifons qui
doivent l’engager à lui obéir. Si l'éléphant marque
de la répugnance a .-ce .qu’on .exige de lu i, le
cornac pro^net de lui donner de l’arac ou.quelque
chofe qu’il aime., .alors l’animal fe prête .à tout ;
mais il eft dangereux de lui manquer de parole ;
plus d’un cornac en a été la viélime. Il s’eft paffé
à ce fujet, dans le Dekan, un trait qui mérite
d’être rapporté , & qui , tout incroyable qu’il
parofe, eft cependant exa&ement vrai.. Un éléphant
v-enoit de fe venger de fon cornac en le
tuant ; fa femme., témoin de ce fpèâade prit
fes deux enfans, & les jetta aux pieds de l'animal
encore tout furieux , en lui difant : Puifque
0 as pué mon mari, .opes-moi aujji la vie , ainfi
qu à mes enfans. L’éléphant s’arrêta tout cOui\ ,
s’adoucit , & ., comme s’il eût été touché de
regret, prit avec la trompe le plus grand de ces
deux enfans , le mit fur fon cou , l’adopta pour
fon cornac-, ôc. n’en voulut point fouffrir d’autre»
Mass fi l'éléphant eft vindicatif, il n’eft pas moins
reconnoiffant pour le bien qu’on lui a fait. Un
foldat de Pondicheri qui avoit coutume de porter
à- un de ces animaux une certaine mefure d’arac'
chaque fois qu’il touchoit fa paie, ayant un jour
bu plus que de raifon , ôc. fe voyant pourfuiv*
par la garde qui -le vouloit conduire en prifon »
fe réfugia fous Y éléphant & s’y endormit. Ce fut
en vain que la garde tenta de l’arracher de cet
afyle ; Y éléphant le défendit avec fa trompe. Le
lendemain , le foldat revenu de fon ivrefle , -frémit
à .fon reveil de fe trouver couché fous un animal
d’une groffeur fi énorme ; Y éléphant qui, fans doute,.“
s’apperçut de fon effroi, le careffa avec fa trompe
pour le raffur-er., ôc lui fit entendre qu’il pouvoit
s’en aller.
L'éléphant tombe quelquefois dans aine efpèce
(fe folie qui lui ôte fa docilité, ôc le rend même,
fi redoutable, qu’on eft alors obligé, de le tuer -;
mais tant qu’il eft dans fon .état naturel , les
douleurs les plus aigues ne peuvent l’engager &
faire du mal à qui ne lui en a pas fait. Un
éléphant furieux1 des bfeffures qu’il avoit reçues à
la bataille :d’Hambourg côuroit à.travers champs
ôc po.uffoit des cris affreux. Un • foldat qui
malgré le,s avertiffemens de fes.camarades, n’avoit
pu fuir, peut-être parce qu’il.étoit "bleffé , fe trouva/
à fa rencontre ; Ylléphant craignit de le fouler aux
pieds , le prit.avec {a trompe , le pofa doucement
d.e côté ÔC. continua fa route.
G’eft à M. de Buffy qu’on eft redevable de-ces
détails fur Y éléphant& fon témoignage mérite
d’autant plus de confiance ., que le long, féjour
qu’il a fait dans l’Inde, l’a mis à portée de voir ôc d’obferver ces animaux dont il .avoit même
plufieurs à fon fervice.. MM. de l’Académie
des Sciences ont aufli laiffé quelques faits qu’ils
ont appris de ceux qui gouvernoient Yéléphant
à la ménagerie .de Ver failles.
« L’éléphant, difent-ils .fembloit connoître quand : on fe mocquoit.de lui, .ôc s’en fouvenir pour s’en
j vehger quand- il en trouvoit l’occafion. A un
homme qui l’av.oit tromp.é , faifantfemblant de lui
jetter quelque chofe dans -la .gueule , il lui donna
un coup de fa .trompe qui de renverfa & lui
rompit deux côtes ., en fuite dé .quoi il le foula
aux pieds & lui rompit une jambe ,, ôc s’étant
agenouillé , lui voulut enfoncer fes défenfes dans
le ventre, lefqu elles n’entrèrent -que dans la terre
aux deux côtés de la cuiffe qui ne fut point
bleffée. 11 écrafa un autre homme , le froiffant
contre une muraille pour le même fujet. Un peintre
le vouloit defliner dans une attitude extraordinaire,
qui étqit de tenir fa trompe levée ôc. la gueule
çuverte ; le valet du peintre, .po.urle faire demeurer
en
\
en cet état, lui jettoitdes fruits dans la gueule,
& le-plus fouvent faifoit femblant d’en jetter;
il en fut indigné , & comme s’il eût connu que
l’envie que le peintre avoit de le defliner étoit
la caufe de cette importunité , au lieu' de s’en
prendre au valet , il s’adreffa au maître ôc lui
jetta par fa trompe une quantité d’eau , dont il
gâta le papier fur lequel le peintre deflinoit ».
« II fe fervoit ordinairement bien moins de fa
force que de fon adreffe, laquelle étoit telle,
qu’il s’ôtoit, avec beaucoup de facilité , une groffe
double .courroie dont il avoit la jambe attachée,
la défaifant de la boucle ôc de l’ardillon ; ôc
comme on eut entortillé cette boucle d’une petite
corde renouée à beaucoup de noeuds , il dénouoit
tout fans rien rompre-Une nuit, après s’être ainfi
dépêtré de fa courroie, il rompit la porte de fa
loge fi adroitement, que fon gouverneur n’en fut
point éveillé, de-là pafla dans plufieurs cours de
la ménagerie, brifant les portes fermées & abattant
la maçonnerie, quand elles étaient. trop petites
pour le laiffer palier, & il alla ainfi dans la loge
des autres animaux , ce qui les épouvanta tellement,
qu’ils s'enfuirent tous fe cacher dans les
lieux les plus reculés du parc ».
Enfin, pour ne rien omettre de ce qui peut
contribuer à faire connoître toutes les facultés
naturelles ôc toutes les qualités acquifes d’un
animal fi fupérieur aux autres , nous ajouterons
encore quelques faits tirés des voyageurs, les
moins fufpe&s.,
« U éléphant, même fauvage , ( dit le P. Vincent
Marie ) , ne laifle pas d’aVoir des vertus ; il eft
généreux ôc tempérant, & quand il eft domeftique,
on l’eftime par la douceur, fa fidélité envers fon
maître, fon amitié pour celui qui le gouverne..
S’il eft deftiné à fervir immédiatement les Princes .,
il connoît fa fortune , ôc conferve une gravité convenable
à fon. emploi ; f i , au contraire , on le
deftine à des travaux moins honorables, il s’attrifte,
fe trouble , & laifle voir clairement qu’il s’abaiffe
malgré lui. A la guerre, dans le premier choc,
il eft impétueux Ôc fier ; il eft le même quand
il eft enveloppé par les chaffeurs ; mais il perd
le courag'e lorfqu’il eft vaincu. Il combat avec
fes défenfes , & ne craint rien tant que de perdre
fa trompe , qui, par fa confiftance, eft facile à
couper. Au refte , il éft naturellement doux ; il
n’attaque perfonne , à moins qu’on ne i’offenfe ;
il femble même fe plaire en compagnie , & il
aime fur-tout les enfans ; il les careffe ôc pâroît
reconnoître en eux leur innocence ».
« L éléphant, félon François Pyrard , eft l’animal
qui a le plus de jugement ôc de connoiffance ,
de forte qu’on le diroit avoir quelque ufage de
raifon, outre qu’il eft infiniment profitable ÔC de
fervice à l’homme. S’il eft queftion de monter
deffus, il eft tellement fouple , obéiffant & drefle
pour fe ranger à la commodité de l’homme &
qualité de la perfonne qui s’en veut fervir, que
Hiftoire Naturelle. Tom. L
fe pliant bas j il aide lui-même à celui qui veut
monter deffus, & le foulage avec fa trompe. Il
eft fi obéiffant, qu’on lui fait faire tout ce que
l’on veut, pourvu qu’on le prenne par douceur.
Il fait tout ce qu’on lui dit ; il careffe ceux qu’on
lui montre , &c. ».
« En donnant aux éléphans , difent les voyageurs.
Hollandois, tout ce qui peut leur plaire , on les
rend aufli privés & aufli fournis que le font les
hommes. L’on pourroit dire qu’il ne leur manque
que la parole. Ils font orgueilleux & ambitieux ;
mais ils le fouviennent du bien qu’on leur a fait,
& ont de la reconnoiffance, jufques-là qu’ils ne
manquent point de bailler la tête pour marque,
de refpeêl en paffant devant les maifons où ils
ont été bien traités. Ils . fe laiffent conduire ÔC
commander par un enfant ; mais ils veulent être
loués & chéris. On ne fauroit fe mocquer d’eux
ni les injurier qu’ils ne l’entendent , & ceux qui
le font, doivent bien prendre garde à eux , car
ils feront bien heureux s’ils s’empêchent d’être
arrofés de l’eau des trompes de ces animaux, ou
d’être jettés par terre , le yifage contre la
pouflière ».
« Les éléphans , au jugement du P. Philippe,
approchent beaucoup du raifonnement des hommes.
Si on compare les aux linges -, ces derniers
ne fembleront que des animaux très-lourds &
très-brutaux ; & , en effet, les éléphans ont une telle
pudeur , qu’ils ne fauroient fouffrir qu’on les.
voie lorfqu’ils s’accouplent ; & fi de hafard quelqu’un
les avoit vus en cette a&ion , ils s’en ven-
geroient infailliblement. Ils faluent en fléchiffant
les genoux & en baillant la tête, & lorfque leur
maître veut les monter , ils’ lui préfentent 11
adroitement le pied , qu’ibs’en peut fervir comme
d’un dégrê. Lorfqu’on a pris un éléphant fauvage , .
& qu’on lui a lié les pieds , le chaffeur l’aborde ,
le fâlue , lui fait des excufes de ce qu’il l’a lié ,
lui protefte que ce n’eft pas pour lui faire injure ,
lui expofe que la plûpart du temps il avoit faute
de nourriture dans fon premier état, au lieu que
déformais il fera parfaitement bien traité , qu’il
lui en fait la promeffe ; le chaffeur n’a pas plutôt
achevé ce difcours obligeant, que Yéléphant le fuit
comme feroit un très-doux agneau ; il ne faut pas
pourtant conclure de-là que Yéléphant ait l’intelligence
des langues , mais feulement qu’ayant une
très-parfaite eftimative , il connoît les divers mou-
vemens d’eftime ou de mépris , d’amitié ou de
haine, & tous les autres dont les hommes font
agités envers lui, & pour cette caufe, il eft plus
aile à dompter par les raifons que par les coups
& par les verges. Il jette des. pierres fort loin ÔC
fort droit avec fa trompe , &. il s’en fert pour
verfer de l’eau avec laquelle il fe lave le corps ».
« De cinq éléphans, dit Tavernie^, que les chaffeurs
avoient pris , trois fe fauvèrenr, quoiqu’ils euffent
des chaînes ôc des cordes autour de leur corps
, ôc même çfe leurs jambes. Ces gens-là nous dirent
P