doigts & la trompe, à la faveur de leur
forme 8c de leur foupleffe, peuvent em-
braffer une furface étendue, en fuivre les
contours 8c les formes , fonder fes profondeurs
, mefurer fes afpérités, juger de
la réfiftance de fes parties les unes fur les
autres , de leur adhélion mutuelle, 8c par !
conféquent de la moleffe ou de la dureté
des corps. Dans les animaux, le toucher
ne s’exerce, au contraire, que dans le point
de contaft, 8c ne peut guères avertir que
de la vîteffe 8c de la malle du corps qui
a frappé, ou de l’étendue 8c de la réfiftance
de celui qui a été heurté. Il me femble,
d’après ces réflexions, que le toucher, dont
l’organe s’étend â toutes les parties que la
nature a accordé à tous les animaux-, eft
différend du tact, qui a un liège 8c un
organe particulier, dont l’homme jouit feul
à un très-haut dégré , 8c dont l’éléphant
partage la prérogative de très-loin.
Les oifeaux, couverts de plumes, qui,
par leur foupleffe, amortiffent toute îm-
preflion, dont le bec 8c les pieds, ces feules
parties qui foient nues, font couverts, ou
d’une fubftance femblable à la corne, ou
d’écailles , ont été traités peu favorablement
, relativement au toucher, 8c font
peut-être, de tous les animaux, ceux qui
reçoivent, par le moyen de ce fens , les
impreflions les plus foibles, les moins
nombreufes, 8c les moins variées.
On ne les croit pas communément mieux
traités, relativement au fens du goût 8c à
celui de l’odorat. Pour en bien juger, il
faut connoître les organes qui y fervent,
8c les habitudes qui en dépendent, ou qui
y font au moins relatives.
La langue eft l’organe du goût dans les
animaux, de même que dans l’homme.
Celle des oifeaux eft en général moins charnue
, elle a moins de volume à proportion,
elle eft plus sèche ; elle eft terminée en
devant par un appendice membraneux, 8c
elle eft couverte d’une peau épaiffe. Mais
ces différences générales font fujettes à
beaucoup d’exceptions, & la diverfité
dans la forme 8c la fubftance de la langue
dans diverfes efpècés d’oifeaux, font une
fingularité qui ne paroît appartenir qu’à
ces animaux. Voici les différences principales.
Les oifeaux qui vivent de grains, font
ceux qui ont, en général, la langue moins
grande, moins charnue, plus sèche, couverte
d’une peau plus épaiffe. Sa forme eft
à - peu - près triangulaire ; deux prolon-
gemens s’étendent fur . les branches de
l’os yoïde, & laiffent un vuide dans leur
milieu. Le palais , dans ces oifeaux , eft
revêtu de membranes minces 8c très-peu
humeftées. Le fens du goût paroît, d’après
cette conformation , devoir être très-
borné dans ces animaux ; ils femblent ne
pouvoir être que voraces par befoin, fans
être délicats par fenfualité. Ils le font
cependant, 8c le fimple appareil de leur
organifation nous tromperoit , fi leurs
habitudes ne nous défabufoient. Qu’on mêle
en effet enfemble plufieurs grains, qui fépa-
rément font une nourriture également
bonne pour les oifeaux granivores , 8c
qu’on les leur préfente ; ils en préféreront
une forte qu’ils épuiferont avant de toucher
aux autres grains, 8c ils les triqueront
tous dans l’ordre fuivant lequel ils leur plai-
fent le plus. S’ils ne mangeoient que par appétit
, par befoin, ils choifiroient de préférence
les grains les plus gros, qui les raffafie-
roient plutôt, 8c cependant il font le plus fou-
vent précifément le contraire ; qu’on mêle
du froment, de l’orge, du millet, qu’on
donne ces graines à des poules, des faifans,
des dindons, 8tc. le millet fera toujours
dévoré le premier, le froment enfuite, 8c
l’orge reliera le dernier ; fi, tandis que les
oifeaux triqueht les grains, on jette fur le
tas de la mie de pain, des vers, des portions
d’infeûes mois, de la viande hachée,
les grains feront quittés pour ces nouveaux
objets , parmi lefquels les vers auront la
préférence ; les pigeons laifferont de même
la veffe pour le chenevi ou le millet qu’on
y aura mêlé. Les oifeaux, même ceux qui
font granivores, mettent donc du choix dans
les alimens qu’ils trouvent à leur portée, 8c
ce choix, plus fouvent en oppoütion avec
le fimple appétit , avec le befoin de fe
nourrir , ne peut être fondé que fur la
fenfualité. Qu’on n’imagine pas j d’après
la conformation apparente de la langue 8c
du palais des oifeaux , que ces parties ne
peuvent éprouver de fenfations délicates ,
8c que le paffage du grain eft trop rapide
pour les affeéler agréablement. Ne font-ce
pas les mêmes parties qui fervent aux préludes
de l’amour , qui reçoivent 8c qui
rendent fes careffes, 8c n’eft - ce pas une
preuve de leur fenfibilité ? D’oû vient le
moineau rappelleroit - il de fon premier
eftomac des alimens que fa femelle reçoit
avec l’expreflion du plaifir, fi ces alimens
ne flattoient pas fon goût. Ce fymbole des
foins que le père 8c la mère prendront de
leurs petits, ne fçauroit, dans ce foible
animal, être un plaifir moral, il ne peut
être que phyfique. L’afte qui termine les
careffes , la dernière jouiffance , ne dure
qu’un inftant, comme le paflage de l’aliment
eft momentané. L’impreflion qu’il
exerce peut donc être vive 8c agréable,
quoiqu’elle foit courte. Et les faits que j’ai
rapportés prouvent que les organes du
goût ont, dans les oifeaux, même dans les •
granivores , une fenfibilité qu’on n’avoit
pas foupçonnée, en ne jugeant que d’après
l’extérieur de leur méchanifme. C’eft par
la même raifon , qu’un oifeau pris nouvellement
8c mis en cage, fi on lui donne
du millet à difcrétion, périt bientôt, victime
de fa friandife ; mais il vit long-temps
fi on lui donne un grain qui le flatte moins,
parce qu’il ne mange alors que par befoin,
ou fi on ne lui donne d’abord que la dofe
de millet néceffaire pçur le nourrir, l’habitude
diminuant peu-à-peu fon goût trop
vif pour ce grain, il n’en prend plus par la
fuite de lui-même que la quantité qui lui
eft néceffaire.
Les oifeaux qui fe nourriffent de chair
ont la langue plus épaiffe, moins sèche,
plus charnue , couverte d’une peau plus
mince que ceux qui fe nourriffent de grain.
La forme eft d’ailleurs à-peu-près la même ;
le palais eft aufli moins aride, 8c revêtu
de membranes plus fouples. Cette organifation
paroît devoir procurer à ces oifeaux
un goût plus fin que n’eft celui des granivores.
Cependant, il eft difficile de décider
fi fur cet objet l’apparence ne nous en
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impofe pas, 8c le fait fuivant poitrroit le
faire foupçonner.
De tous les oifeaux, ceux qui vivent fur
l’eau, tels que font les canards, les oies, les
harles, 8cc. ont la langue la plus volumi-
neufe, la plus charnue, la plus abreuvée
de férofite, 8c celle qui en tout reffemble
davantage à la langue des quadrupèdes , fi
ce n’eft qu’elle n’eft pas mobile de même,
que par fa bafe elle adhère à la peau qui
revêt la partie inférieure du bec, 8c que
fa pointe eft terminée par une forte d’onglet
membraneux; fa forme eft d’ailleurs
oblongue ; on voit fur fon milieu une
ligne qui la fépare fuperficiellement fuivant
fa longueur; la peau qui la recouvre
n’a qu’une épaiffeur médiocre , 8c laiffe
appercevoir des papilles; cependant ces
oifeaux qui devroient , félon les apparences
, être les plus fenfuels, le font le
moins, 8c ne font guères que voraces, ils
mettent moins de choix dans la recherche
de leurs alimens, ils s’accommodent plus
généralement de tout, fans être rebutés,
ni par l’odeur infefte, ni par le goût dé-
fagréable, que les alimens contractent né-
ceffairement dans la vafe, dans les lieux
impurs 6c les cloaques, où on les voit fou-
vent puifer. Le plaifir de manger, eft le premier
pour eux, 8c il exclut le choix ; Gar
au milieu de fubftances mélées confiifé-
ment, qu’ils ne fçauroient dévorer toutes,
il y en a peu qu’ils préfèrent, 8c la portée à
laquelle ils en font, les décide plus que la
nature des chofes ; celles qui ont le plus
de volume obtiennent communément la
préférence , parce qu’apparemment le be-
foin de fe remplir l’emporte en eux fur
la delicateffe du g,oût, qui eft au contraire
la plus forte dans les oifeaux granivores. K
La langue des pies, du torcol, charnue,
vifqueufe, grêle, arrondie 8c cylindrique,
terminée par un appendice ou dard d’une
fubftance dure, 8c approchante de celle de
la corne, eft ftifceptible de s’allonger &c
de's’étendre beaucoup hors du bec, 8c de
rentrer dans fa-cavité à la volonté de l’animal
; elle ne reffemble pas mal à un ver
de terre. Celle de l’oifeau - mouche 8c du
colibri, également fufceptible de s’allon