tableau qu’il faut encore charger , fi Ton veut
comparer le finge à l’homme vraiment fauvage ;
puifqu’il y a plus loin de l’homme dans l’etat de
pure nature , au Hottentot, que du Hottentot à
nous ; quon ajoute à tout cela les rapports d’or-
ganifation, les convenances de tempérament,
l'appétit véhément des finges mâles pour les
femmes, la même conformation dans les parties
génitales des deux fexes, l’écoulement périodique
dans les femelles 8c les mélanges forcés ou volontaires
des Négreffes aux finges , dont le produit
eft rentré dans l’une ou l’autre efpèce ; 8c en
fuppofant qu’elles ne foient pas la même , l’intervalle
qui les fépare paroîtra fans doute difficile
à faifir.
- Mais fi le Créateur n’a pas voulu faire pour
le corps de l’homme un modèle abiolument different
de celui de l’animal ; s’il a compris fa
forme, comme celle de tous les animaux , dans
un plan général ; en même-temps qu’il lui a départi
cette forme matérielle femblable à celle du
finge y il a pénétré ce corps animal de fon foufle
divin ; s’il eûtfait la même faveur , je ne dis pas au
finge y mais à l’efpèce la plus vile , à l’animal qui
nous paroît le plus mal organisé , cette elpèce
l'eroit bientôt devenue la rivale de l’homme ;
vivifiée par 1-gfprit , elle eût primé fur toutes les
autres , elle eût penfé ,„ elle eût parlé ; quelque
reffemblance qu’il y ait donc entre le Hottentot
& le finge, l’intervalle qui les fépare eft immenfe,
puifqu’à l’intérieur il eft rempli par la penfée , Si
au dehors par la parole.
Le finge eft donc animal, 8c malgré fa reffem-
blance à l’homme, bien loin d’être Te fécond de
notre efpèce , il n’eft pas le premier dans l’ordre
des animaux , puifqu’il n’eft pas le plus intelligent ;
c’eft uniquement fur ce rapport de reffemblance
corporelle qu’effi appuyée. la grande opinion qu’on
s’eft formée des facultés du finge ; il nous reffemble,
a-t-on dit , tant à l’extérieur qu’à l’intérieur ; il
doit donc^non-feulement nous imiter , mais faire
encore de lui-même tout ce que -nous faifons.
Mais fi l’on fait' attention que toutes les adions
qu’on doit appeller humaines y font relatives a la
fociété ; qu’elles dépendent d’abord de l’ame , &
enfuite de l’éducation dont le principe phyfique
eft la néceffité de la longue habitude des parens
avec l’enfant ; que dans le finge cette habitude eft
fort courte ; qu’il ne reçoit , comme les autres
animaux, qu’üne éducation pürement individuelle,
& qu’il n’eft pas même fufceptible de celle de
l’efpèce : il fera facile de juger que le finge ne
peut rien faire de tout. ce que l’homme fait -,
puifqu’aucune de fes actions n’a le même principe
ni la même fin.-
Et à l’égard de l’imitation qui paroît être le
caractère le plus marqué, l’attribut le plus frappant
de l’efpèce du finge , 8c que le vulgaire lui
attribue comme un talent unique , il faut, avant
de décider, examiner fi cette imitation eft libre
ou forcée : le finge nous imite-t-il, parce qu’il le
veut, ou bien parce que fans le vouloir il le
peut ? Quiconque a obfenvé cet animal fans prévention,
ne pourra s’empêcher dè dire, qu’il n y
a rien de libre , rien de volontaire dans cette
imitation ; le finge ayant des bras & des mains,
s’en fert comme nous , mais fans fonger à nous ;
la fimilitude des membres 8c des organes produit
néceffairement des mouvemens 8c quelquefois
même des fuites de mouvemens qui reffemblent
aux nôtres ; étant conformé comme l’homme, le
finge ne peut que fe mouvoir comme lui ; mais
fe mouvoir de même n’eft pas agir pour imiter :
qu’pn donne à deux corps bruts, la même im-
pulfion ; qu’on conftruife deux pendules , deux
machines pareilles, elles fe mouvront de même,
& l’on auroit tort de dire que ces corps bruts ou
ces machines ne fe meuvent ainfi que pour
s’imiter ; il en eft de meme du finge relativement
au corps de l’homme ; ce font deux machines
conftrqites, organifées de même, qui, par néceffité,
de nature, fe meuvent à très-peu-près de... la
même façon : néanmoins , parité n’eft pas imitation
; l’une gît dans la matière & l’autre n’exifte
que par l’efprit ; l’imitation fuppofe le deffein
d’imiter : le finge eft incapable de former ce.
deffein qui demande une fuite, de penfées , &
par cette raifon l’homme peut , s’il lé veut ,
imiter le finge , & le finge ne peut pas meme
vouloir imiter l’homme.
Et cette parité, qui n’eft que le phyfique de l’imK
tation , n’eft pas auffi complette ici que la fimi-s
. litude, dont cependant elle émane comme effet
immédiat ; le finge reffemble plus à l’homme par
le corps Sc les membres, que par l’ufagë qu’il
en fait ; en l’obfervant avec quelque attention,
on s’appercevra aifément que tous fes mpuvemens,
font brufques, intermittens^ précipités , 8c que
pour les comparer à ceux de l’homme , il faudrait
leur fuppofer une autre échelle ou plutôt un module
différent : toutes les aéHon§ du finge tiennent de
fon éducation qui eft purement animale ; elles
nous parpiffent ridicules, inconféquentes', extravagantes
, parce que nous nous tropipons d’échelle
en les rapportant à nous, 8c que l’unité qui doit;
leur fervir de mefure, eft très-différente de la nôtre«
Comme fa nature eft vive , fon tempérament
chaud, fon naturel pétulant, qu’aucune de fes
affeétions n’a été mitigée par l’éducation ; toutes
fes habitudes font excemves , 8c. reffemblent
beaucoup plus au mouvement d’un maniaque
qu’aux aétions d’un homme ou même d’un animal
tranquille ; c’eft par la même raifon que nous,
le trouvons indocile , & qu’il reçoit difficilement;
les habitudes qu’on voudroit lui tranfmettre ; il.
eft inferifible aux careffes 8c n’obéit qu’au châ-?
timent ; on peut le tenir en captivité, mais nor^
pas en domefticité ; toujours trifte pu revêche
toujours répugnant, grimaçant, on lé dompte
- plutôt qu’on ne le prive ; aüfti l’efpèce n’a jamais
été domeftique nulle part, 8c par ce rapport il
eft plus éloigné de l’homme que la plupart des
animaux : car la docilité fuppofe quelque analogie
entre celui qui., donne 8c celui qui reçoit:
c’eft une qualité relative qui ne peut être exercée
que lorfqu’il fe trouve des deux parts un certain
nombre de facultés communes qui ne diffèrent
entr’elles que parce qu’elles font aéfives dans le
maître Sc paffives dans le fujet. Or, le paffif du
finge a moins de rapport avec l’aéfif de l’homme
que le paffif du chien ou de l’éléphant qu’il fuffit
dé bien traiter pour leur communiquer les fen-
timens doux 8c même délicats de l’attachement
fidèle, de Tobéiffance volontaire , du fervice
gratuit 8c du dévouement fans réferve.
Le finge eft donc plus loin de l’homme que
la plupart des autres, animaux par les qualités, relatives
: il en diffère auffi beaucoup par le tem-
peràment : l’homme peut habiter tous les climats ;
il v it, il multiplie dans ceux dii Nord 8c dans
ceux du Midi ; le finge a de la peine à vivre
dans les contrées tempérées, 8c ne peut multiplier
que dans les pays les plus chauds. Cette différence
dans le tempérament en fuppofe d’autres dans
l’organifation qui , quoique cachées , n’en font
pas moins réelles; elle doit auffi influer beaucoup
fur le naturel ; l’excès de chaleur qui eft néceffaire
a la pleine vie de cet animal , rend exceffives
toutes fes affeélions , toutes fes qualités ; & il
ne faut pas chercher une autre caufe à fa pétulance
, à fa lubricité & à toutes fes autres pallions
qui toutes nous paroiffent auffi violentes' que
défordonnées.
Ainfi, ce finge, que les Philofophes avec le vulgaire
, ont regardé comme un être difficile à
définir, dont la nature étoit au moins équivoque
Si moyenne entre celle de l’homme 8c celle des
animaux , n’eft , dans la vérité , qu’un pur animal
portant à l’extérieur un mafque de figure humaine,
mais dénué à l’intérieur de la penfée 8c de tout
Ce qui fait l’homme ; un animal au-deffous de
plufieurs autres par les facultés relatives , 8c encore
effentiellement • différent de l’homme , par le
naturel , par le tempérament 8c auffi par la
mefure du temps néceffaire à l’éducation , à la
geftation, à l’accroiffement dtucorps , à la durée
de la v ie , -c’eft-à-dire, par toutes les habitudes
réelles qui conftituent ce qu’on appelle' nature dans
un être particulier.
• Les finges diffèrent auffi beaucoup entr’etix ,
non-feulement par la conformation , mais encore
par le naturel. Y!orang-outang, qui reffemble le plus
à l’hômmé , eft le plus intelligent, le plus grave ,
le plus docile de tous. Le magot , qui commence
à s’éloigner de la forme humaine, & qui approche
de celle des animaux, eft brufque , défobéiffant
Si mauffade. Les babouins, qui ne reffemblent plus
a l’homme que par les-mains , 8c qui ont une
queue , des ongles aigus, de gros mufeaux, ont
l’air de bêtes féroces Sc le font en effet ; les
guenons font extravagantes, 8cc. Si ces différences
nous conduifent à diftinguer d’abord le véritable
finge ou finge proprement dit de tous les autre s.
J’appelle finge un animal fans queue , dont la
face eft aplatie , dont les dents , les mains , les
doigts 8c les ongles reffemblent à ceux de l’homme,
& qui, comme lui, marche debout fur fes deux
pieds.
Cette définition, tirée de la nature même de
l’animal Si de fes rapports avec celle de l’homme ,
exclut, comme l’on v o it, tous les animaux qui
ont des queues tous ceux qui ont la face relevée
ou le muïëau long , tous ceux qui ont les ongles
courbés, crochus ou pointus, tous ceux qui
marchent plus volontiers fur quatre que fur deux
pieds.
D’après cette notion fixe & précife , voyons
combien il exifte d’efpèces d’animaux auxquels on
doive donner le nom de finge.
Les Anciens n’en corinoiffoient qu’une feule ;
le pit/iecos des Grecs , le fimia des Latins, eft un
finge y un vrai finge ,' Si c’eft celui fur lequel
Ariftote, Pline Si Galien ont inftitué toutes les
comparaifons phyfiques Si fondé toutes les relations
du finge à l’homme ; mais ce pithèque , ce
finge des Anciens, fi reffemblant à l’homme par
la conformation extérieure , & plus femblable
encore par Porganifation intérieure , en diffère
néanmoins par un attribut qui, quoique relatif
en lui-même, n’en eft cependant ici pas jnoins
effentiel, c’eft la grandeur ; la taille de l’homme ,
en général, eft au-deffus de cinq pieds ; celle du
pithèque n’atteint guère qu’au quart de cette
hauteur ; auffi , ce finge eût-il encore été plus
reffemblant à l’homme qu’il ne l’eft, lés Anciens
auroient eu raifon de ne le regarder que comme
un homoncule, un nain manqué , un pigmée capable
tout au plus de combattre avec les grues ;
tandis que l’homme fait dompter l’éléphant 8c
vaincre le lion.
Mais depuis les Anciens*, depuis la découverte
des parties méridionales* de l’AfriqueSi des Indes,
on a trouvé'un autre finge avec cet attribut de
grandeur, un finge auffi haut , auffi fort que
l’homme , auffi ardent pour les femmes que pour
fes femelles ; un finge qui fait porter des armes ,
qui fe fert de pierres pour attaquer 8c de bâtons
pour fe défendre , Si qui d’ailleurs reffemble encore
à l’homme plus que le pithèque , car indépendamment
de ce qu’il n’a point de queue , de ce
que fa face, eft aplatie, que fes bras , fes mains ,
fes doigts , fes ongles font pareils aux nôtres , Si
qu’il marche toujours debout, il a une efpèce de
vifage , des traits approchans de ceux de l’homme ,
des oreilles de la même forme, des cheveux fur
la tête , de la barbe au menton 8c du poil ni
plus ni moins que l’homme en a durs l’état de
nature.
Auffi, les habitans de fon pays , les Indiens
policés, n’ont pas héfité de l’affocier à l’efpècc