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brillantes apparences pourraient nous égarer et nous faire estimer irop haut la première,
et, de l'autre, nos préventions ei nos préjugés européens nous ôteraient aussi
tout moyeu de lui appliquer une just e mesure.
O n trouve un exemple de ce que peut la civilisation européenne sur ces peuples
primitifs, dans ce qu'ont fait les missionnaires du Paraguay et dans le singulier empire
d u docteur Francia. Les créations des jésuites ont, peut-être, été beaucoup trop
vantées 5 mais à coup sûr on les a plus souvent présentées sous un làux j o u r , et sans
l e u r rendre aucune justice. Nous accorderons que ce genre de civilisation n'est pas
favorable aux développeniens libres des facultés individuelles, et qu'il apporte de
gi-ands obstacles à tous les progrès qu'on voudrait faire au-delà d'un point donné.
O n ne peut nier cependant qu'ici les jésuites n'aient fait làire à la civilisation un
pas immensej et dès-lors il fut aisé de prévoir qu'un jour les liens qui, peut-être
dans leur pensée, devaient enchaîner sa niardie, seraient iniàilliblement rompus.
Les missions des jésuites olTrenl beaucoup d'analogie avec la civilisation des Péruviens
sous les incas; elles paraissent avoir été adaptées au caractère des habitans primitifs,
et surtout à celui des Guaranis cl des Tupis. En adoptant ce système, les jésuites
d o n n è r e n t une preuve d'Iiabileté et de sagesse, tandis que, comparée à la leur, la
conduite d'autres Européens et celle de leurs gouvernemens présentaient un contraste
fâcheux.
Cette digression, quoiqu'elle paraisse nous éloigner de notre sujet, n'était point
i n u t i l e : elle doit convaincre que tout essai pour civiliser les indiens échouera nécessairement,
s'il n'est pas entrepris dans les mômes principes, et suivi avec la constance
ei la sagesse qu'ont déployées les jésui tes des missions. Il serait déraisonnable de vouloir
auü' e chose que d'amener les Indiens au point où en sont chez les Européens
les classes inférieures, ei c'est là précisément ce qu'ont opéré les jésuites. Si, au lieu
d e faire des Indiens des esclaves, on avait suivi l'exemple de ces jésui tes, si l'on avait
créé une population indigène et agricole, le Brésil se trouverait dans une situaliori
bien autrement favorable : c'est ce qui ne peut échapper à aucun observateur sensé.
Les peuplades de Tupis, trouvées sur I. côte par les premiers navigateurs européens,
paraissent en avoir été alors à ce point où la vie errante de familles et de hor,les de
chas.seurs fait place à l'existence agricole et à la civilisation des sociétés plus étendues.
Ces Tupis habitaient des villages ou des groupes de huttes plus ou moins considérables
: n é anmoins il ne paraît pas qu'ils eussent tous abandonné h vie errante; car ces
Milages ne demeuraient slationnaires qu'un certain lemj.s, c'est-à-dire tant que la
contrée fournissait aux habitans assez d'eau, de gibier, de fruits et de racines. Quant
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à ces dernières, les Indiens, pour mieux assurer leur subsistance, les cultivaient autour
de leurs huttes; toutefois les moissons semblent avoir été recueillies en commun,
et les jésuites ont consei'vé cet usage. Souvent ces sortes de villages étaient protégés
contre les incursions de l'ennemi par des palissades et par des fossés. L'arc, la flèche
et la massue étaient les ai-mes dont on se servait : les r iverains faisaient aussi la guerre
sur des canots et des radeaux. L'organisation civile était dans son enfance; mais déjà
on distinguait chez ces peuples un pouvoir spirituel et un pouvoir temporel; le
premier était au-dessus de l'autre et par l'influence morale et par une prééminence
intellectuelle : ces différences étaient plus prononcées, plus distinctes que cela n'eût
été possible chez un peuple uniquement composé de chasseurs, plus même qu'elles
ne le sont aujourd'hui. L'influence des prêtres chez les Tupis recèle peut-être en
elle-même le germe de la théocratie des incas du Pérou et de celle des jésuites du
Paraguay.
Les traits pr incipaim que nous rassemblons ici, sont confu-més par tous les témoins
oculaires : ils prouvent un conimencenient de civilisation, dont l'existence ne peut
être réfutée ni par les idées brutes des Indiens en fait de religion, ni par leur
c r u a u t é , ni par leur qualité d'anthropophages. 11 est évident que, si l'on voulait obtenir
des résultats importans pour les colonies européennes, il fallait leur laisser suivre
la rout e dans laquelle ils étaient enU-és, ou même les y guider. Toutefois cette route
est hérissée de difiicultés, et il serait injuste d'accuser les Portugais seuls du mauvais
succès de l'entreprise, ou bien de leur reprocher de l'avoir trop rarement tentée. Il
serait aussi impossible que superflu de rechercher quelle fut la cause des premières
hostilités : il suflit de savoir que des deux parts, et sur tous les points, on vil s'allumer
promptcmcnt une guen'e d'extermination, dont l'issue fui l'extinction de la plus
grande partie des habitans, et souvent même la disparition de leur nom. Ce qui
survécut au carnage, fut ou réduit en esclavage ou contraint de se sauver dans les
hois; et là on revint à peu près à l'état d'où l'on était sorti peu avanl l'arrivée des
Européens.
La liiiblessc des habitans primitifs et les forces toujours croissantes des Européens
d u n e part, cl de l'autre les progrès de la civilisation parmi les colons mêmes, l'adoucissemciu.
de leurs moeurs, enfin (juelques mesures sages et bienveillantes dues au
goiivernemont, ont fait cesser cet étal violent, et peu à peu ces causes ont amené
'es Indiens à leur position actuelle. Comme nous reviendrons sur ce sujet, nous nous
conteiitorons ici de l'indifjucr en [)eu d e mots. Les anciens esclaves des colons et leurs
dcscendans sont libres, et forment une partie de la classe inférieure de la société : ils
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