Si*!
EXTRAIT DU RAPPORT DE M. RAOÜL-ROCHETTÈ,
tU A U SÉANCE PUBLIQUE DES QUATRE ACADÉMIES, LE 3o AVRIL l83t.
Nous abrégerons, Messieurs, autant que le comporte l’objet de
votre réunion d’aujourd’hui', le compte sommaire que nous devons
vous rendre, et-nous-, réclamons d’avance'toute, votre indulgence
pour un-rapport aussi incomplet. Ces sculptures consistent en fragments
de bas-reliefs, au nombre d’environ dix-neuf, grands et petits,
plusieurs desquels sont d’un assez grand volume e t dans un assez bon
état de conservation pour offrir une base solide aux considérations de
diverse nature dont ils peuvent devenir l’objet, par rapport au monument
dont ils faisaient partie, a; l’intérêt du sujet qu’ils représentaient,
e t au mérite de-l’a rt qui les a produites.
E t d’abord, c’ést un point d’une haute importance que la certitude
acquise, par l’emplacemént même où ils ont été trouvés, que. ces
fragments appartenaient à la décoration du grand temple de Jupiter
Olympien.
Les notions que l’antiquité nous a transmises sur cet édifice célèbre;
les observations des voyageurs modernes sur la situation-actuelle de
scs ruines, qui l’avaient fait désigner par la Commission de l’Institut
-comme le premier et le principal objet des explorations de nos artistes ;
mais surtout ses mesures, telles qu’elles se déduisent du témoignage
précis de Pausànigs,' correspondant, sau f une- très-légère différence,
à celles que.nos artistes ont retrouvées sur le te rrain; toutes ces. raisons
concourent à prouver que c’est bien du temple fameux où fut
placé le colosse de' Phidias, chef-d’oeuvre de la statuaire antique, et
dont toutes les sculptures, dues en partie au ciseau d’Alcamène, le
plus habile de ses disciples,- durent se ressentir de l’influence de son
génie, que proviennent en effet nos bas-reliefs. Cette première donnée,
qui résulte de la Seule localité, est justifiée par une notion plus précise.
C’est à la partie postérieure du temple qu’ont été trouvés la
plupart de ces bas-reliefs, et c’est de ce même côté qu’étaient placées
les sculptures dont Pausanias indique le sujet et la disposition générale.
Or ce sujet s’accorde avec celui de tous les fragments qui ont
pu être recueillis. Voilà une nouvelle préuve, et une preuve positive,
de l’identité de ces sculptures avec celles que Pausanias avait vues au
temple de Jupiter Olympien. Le style même de ces bas-reliefs ajoute
encore, s’il est possible, à tous ces motifs de conviction. Nous n’avons
pas eu un seul instant, en présence de ces sculptures, à combattre
l’idée ou à repousser le soupçon qu’elles appartinssent à une autre
époque que celle de la fondation primitive du temple. Tout se réunit
donc, ici, la localité, le sujet e t le style, -pour nous donner la certitude
entière que nous possédons, dans ces fragments de sculptures
employées à la décoration du temple de Jupiter Olympien, un monument
de l’art des Grecs, tel qu’il s’était produit sur l’un de ses principaux
théâtres, à l’une de ses plus brillantes époques. Nous pouvons
:être assurés d’avoir dans ces fragments, trop peu considérables sans
doute, mais précieux jusque dans leurs moindres détails, dont nous
connaissons la date précise, l’emploi primitif e t l’origine authentique,
des moyens d’apprécier le goût e t le style! d’une école grecque du
grand siècle de Périclès; e t cet avantage, qui nous manque pour là
plupart des sculptures antiques, de celles même du premier ordre,
notis le possédons pour des sculptures contemporaines de Phidias :
cette seule considération suffit pour vous faire juger de l’importance
et du mérite de ces fragments, destinés, nous n’en doutons pas, à
tenir une place signalée dans l’histoire de l’art antique.
Le second rapport sous lequel nous nous sommes proposé de les
envisager, celui du sujet même que représentaient ces sculptures;
dans leur ensemble e t dans leur état primitif, n’offre, à notre avis,
ni moins de certitude, ni moins d’intérêt
Le morceau principal représente la lutte d Hercule contre le taureau
de Crète. Il subsiste de ce groupe, exécuté dé demi-relief , le
torse du Jtéros, avec sa tête presque entièrement détachée,du -bloc,
e t, du reste, assez peu endommagée; une partie du corps de l’animal,
traité de moindre relief, et quelques fragments de membres de l’un
e t de l’autre. Ce sujet, déterminé d’une manière certaine, ne permet
pas de méconnaître Hercule danS trois autres têtes plus .ou moins
mutilées, mais absolument semblables pour le caractère e t pour la
proportion, e t surtout dans une quatrième tête, dont la conservation
ne laisse rien à désirer. Hercule était donc, à u’en pas douter,
le héros des autres bas-reliefs ; e t ces bas-reliefs devaient offrir la
suite de ses douze travaux. C’est ce que confirme Un fragment considérable
d’un second bas-relief, qui consiste en la figure presque
entière du lion de Némée étendu et rendant, le dernier soupir sous
l’effort dii héros,’dont le pied droit y est resté attaché/ainsi qu’une
partie de la jambe gauche e t de la massue.' Des morceaux d’un
énorme serpent, trouvés dans la même fouille; suffisent pour
indiquer le combat à!Hercule contre l ’hydre de Lerne; et plusieurs
fragments d’Une figure de femme, vêtue d’üné tunique courte: e t
armée d'un bouclier, ne peuvent se rapporter qu’au groupe <SHercule
et de l ’Amazone; en sorte que l’ejdstence de quatre' des
travaux d’Hercule, sculptés dans la même proportion e t placés du
même côté du temple, est un fait indubitable. Pausanias nous avait
appris, en effet, que les exploits d’Hercule ornaient le dessus des
portes du temple d ’Olympie,. et qu’ils y. étaient distribués par
égale moitié, de manière que XAmazone, le taureau de Crète,
l ’hydre de Lerne et le lion de Némée se trouvaient au-dessus de
la porte de l’opisthodome. Or, c’est précisément de ce côté que la
fouille entreprise par M. Blouct a produit la découverte des fragments
que nous venons de signalerl. Une autre fouille, ouverte
d’abord par M. Dubois, à la.partie opposée du même temple, où
devaient se trouver les six autres travaux d’Hercule, à donné jjour
résultats des fragments du combat contre Diomède, de la lutte avec
le sanglier d’Êrymanthe e t de la victoire sur Géryon.. Voilà
donc sept des travaux d’Hercule recouvrés, en partie du moins,
après tant de siècles, à la place même qui les avait reçus, en tombant
de celle qu’ils occupaient, e t donnant au témoignage de Pausanias,
qui les avait décrits e t vus intacts, une confirmatiôn inattendue. Mais
ce n’est pas à ce seul résultat que se borne l’importance de ces précieux
fragments; ils prouvent encore, e t cela d’une manière bien positive
, que l’édifice auquel ils appartenaient est effectivement le grand
temple de Jupiter Olympien; e t d’un seul - fait ajouté à la science,
d’un seul titre acquis à la véracité de-Pausanias, ils font sortir une!
autorité nouvelle pour tous les récits de cet.écrivain. Ainsi, tant de
beaux monuments de l’a rt des Grecs, qui n’existent plus que dans
son ouvrage, pourront désormais être restitués avec plus de confiance,'
d’après les seules notions qu’il nous en a laissées : ainsi, ce qui s’est
trouvé détruit à notre temple même d’Olympie pourra en quelque
sorte y être réparé par nos architectes, à l’aide des renseignements
fournis par le voyageur ancien ; e t grâce à quelques fragments de
l’édifice combinés avec quelques phrases de l’auteur grec, nous pouvons
espérer de voir reparaître presque en son entier, soüs le crayon
de nos artistes, un temple dont il ne restait presque plus rien sur la
D’autres preuves de la fidélité de Pausanias, qui sont autant d’éléments
de la restitution-du temple , sont sorties de la même fouille.
Ainsi, lorsqu’après avoir traversé un pavement romain, qui avait
■
surtout le mérité d ë tre riche,, on est parvenu au véritable pavé
antique, empreint de l’élégante, simplicité, grecque, il, s’est retrouvé
de nombreux fragments des tuiles de marbre dont le temple était
couvert, en guise de briques; e t à,la place.même où. s’élevait lé
colosse de Phidias,, des débris du marbre noir qui en formait le
payé sont venus donner une nouvelle preuve que c’était bien véritablement,
à.cette place, et dans. ce. temple,, qu’avait été -érigée là merveille
de l’art antique. Ce pavé était brisé e t bouleversé de manière
à montrer que la barbarie avait eu plus de p a rt encore qu e le temps
à sa destruction. Aussi- n’a-t-on pas dû se flatter un seul instant de
retrouver un seul. débris - du* ;diviri simulacre que le génie de Phidias
avait emprunté, du génie d’Homère, e t qui résumait pour ainsi dire
en lui seul toute la. civilisation grecque. Un colosse d’or , d’ivoire et
de pierres précieuses.,, qui n’avait pas moins de quarante-cinq pieds
de hauteur.,.ne.pouvait échapper,, dans.la chute du-cultc hellénique,
à la proscription générale de ses idoles ; trop d’intérêts et de passions
conspiraient à l’envi pour détruire le Jupiter Olympien. C’est beaucoup
plus, que l’on ne pouvait espérer, après tant de siècles de barbarie,
que d’avoir retrouvé'son sanctuaire; e t ce n’est plus désormais
qu’à la science qu’il faut redemander'son image.
Mais u n fragment précieux, qui avait échappé à l’attention de
Pausanias, e t que nous devons aux- investigations de nos artistes,
c’est une figure de Minerve en bas-relief, qui n’a. souffert presque
aucune dégradation, e t qui a paru à votre Commission un morceau
du premier ordre. La déesse est assise sur un rocher, où elle s’appuie
de la-main ' gauche, tandis que dé là main droite , plôyée au-dessous
de sa poitrine, elle tenait un rameau., probablement-d’olivier; e t,
suivant toute apparence, ce rameau, qu’elle présentait à un personnage
debout devant elle, qui ne pouvait être qu’Hercule, était rapporté
en bronze. On à trouvé effectivement, sur le sol antique, une
feùille;d’olivier, én métal doré, qui doit avoir appartenu à ce rameau;
et le. choix d’un pareil arbre se rapportait sans doute à la tradition
antique célébrée par Pindare, qui attribuait à Hercule l’introduction
dans la Grèce de l’olivier sauvage, e t en vertu de laquelle on sé
servit d’uite branche de eètarbrc pour les premières couronnes olympiques.
La figure de Minerve est presque intacte; et sa peau même,
si l’on peut parler ainsi, n’avait pas été effleurée, tant qu’elle resta
dans le sein de la terre ; ce n’est qu’après son apparition qu’un, des
ouvriers grecs employés à la fouilje, profitant d’un'm oment où l’ar-
ch.ite.cte français qui la dirigeait-était éloigné, brisa d’un coup de
pierre le nez de cette figure ; et ce seul trait d’un fanatisme stupide
suffit pour vous faire apprécier le zèle courageux et patient de nos
artistes, qui devaient à chaque instant défendre contre leurs propres
agents le moindre résultat de leurs découvertes, et disputer pour
ainsi dire à la barbarie actuelle les débris des monuments échappés
à la barbarie ancienne. Heureusement l’accident dont nous avons
parlé pourra être aisément réparé, grâce à un excellent dessin qu’un
de nos artistes, M: Trézelyavait déjà'fait de la figure entière; %t nous
aurons à ce dessiu une double obligation, en ce..qu’il nous offrira
une image fidèle de cette figure et un moyen sûr de lui rendre son
intégrité primitive.
Nous aurions maintenant à vous entretenir des particularités qui
distinguent nos sculptures d’Olympie par rapport au mérite de l’art.
C’est un point qui devrait sans doute être l’objet d’une discussion
approfondie, e t qui ne saurait conséquemment être traité, dans cette
séance, avec les développements nécessaires. Nous nous bornerons
donc à quelques idées générales.
En ne perdant pas de vue que ces bas-reliefs étaient faits pour être
placés à une assez grande hauteur, e t en observant qu’à raison de
cette destination on n’a pas dû.chercher à mettre, dans de pareilles
sculptures, cette élégance et ce fini d’exécution qu’auraient comportés
des ouvrages d’une plus grande importance, placés plus près de l’oeil,
6n ne pourra s’empêcher d’admirer le savoir qui brille jusque dans
les moindres fragments ; la justesse e t la vivacité du mouvement ;
îa noblesse e t la vérité des formes ; une sobriété de détails qui produit
l’élévation du style, mais non pas aux dépens du naturel; la franchise
du travail jointe à une vérité d’imitation-, qui, dans l’état de dégradation
où nous apparaissent ces bas-reliefs, produit presque l’illusion de
la réalité; en sorte que des membres épars, des mains, des bras et
des jambes séparés du-tronc, semblent pour ainsi dire moulés sur
nature; que des marbres brisés par morceaux font presque l’effet
d’ünè chair qui palpite. Ces qualités sont particulièrement sensibles
dans le groupe d ’Hercule et du taureau, dans la figure du lion
couché ,.dans le fragment du groupe de Géryon, e t surtout dans
la Minerve, morceau capital, où la grâce e t la simplicité du style,
d’accôrd-avcc une vérité d’imitation portée au plus haut degré, produisent
une des figures les:plus originales, d’une pure école grecque,
qui soient sans doute venues jusqu’à nous.
Le caractère de tête, dans les deux seules figures que nous ayons
recouvrées, XHercule e t la Minerve, n’est pas moins neuf, ni moins
remarquable. Celui qui se retrouve dans les- cinq têtes d’Hercule,
toutes plus- oui moins endommagées, tel qu’il nous apparaît dans
une de ces têtes qui- n!a presque souffert- aucune atteinte, n’offre
aucun* des traits de ce modèle tan t soit peu conventionnel qu’on
croyait exclusivement propre aux effigies d’Hercule, C’est un type
tout nouveau, qui se distingue surtout par la vérité, e t'q u i nous
représente sans doute une de ces belles têtes grecques prises dans une
nature choisie plutôt que dans un idéal systématique. La même observation
s’applique plus particulièrement encore à la tête de la Minerve.
Il suffirait de la seule apparition de cette tête,.d’un caractère si
p u r , d une • expression si naïve;, qu’on croirait modelée d’après
quelque charmante vierge de l’Élidc,,p.bur réduire à leur juste valeur
ces théories arbitraires, qui voudraient que l’art ggec n’ait eu qu’une
seule nature, où qu’une seule physionomie, pour chaque personnage,
e t que'celui de Minerve ,.*èn* particulier, ait affecté constamment uhe
certaine austérité de formes, une certaine sévérité d’expression. Une
particularité tout-à-fait nouvelle, qui est commune à l'Hercule, à la
Minerve, c’est la manière dont les cheveux sont indiquésparmasses,
sans aucune espèce dé détails ; système suivi uniformément jusque
dans la- barbe des -têtes d’Hçrculc. Il est assez difficile de se rendre
compte de cette absence complète de détails, dans la barbe e t les
cheveux, à des figures traitées du reste avec tout le soin- e t termi-,
nées avec toute l’iiàbileté que comportait l’espèce de sculptures dont
elles faisaient partie; si ce n’est en supposant que les détails supprimés
ici par le statuaire, avaient, dû être suppléés à l’aide de la
■peinture, .dans- ce système de sculpture .et. d’architecture coloriées
dont, il y a quelques -années encore., nous soupçonnions à peine
l’exisfencc, et que nous ne serions pas éloignés maintenant d’appliquer
à tout, au. point d’enluminer tous nos édifices e t dé peindre
toutes nos statues;, car c’est un défaut assez naturel à l’esprit hu?
main, d’abuser d’une vérité:long-temps contestée, en en étendant les
conséquences au-delà de toute mesure, e t de gâter par l’exagération
une idée heureuse e t nouvelle. C’est ce que nous pourrions prouver
p a r l’exemple même des anciens, mais heureusement que notre propre
expérience nous suffit à cet. égard.
Quel que soit le vrai motif de la particularité que j ’ai signalée, on
ne pourra s’empêcher d’eir être frappé sous un autre rapport, en ce
qu’elle contraste tout-à-fait avec le système suivi dans une célèbre
école grecque, dans celle d’Egine, où la barbe e t les cheveux sont
traités avec des détails si multipliés e t avec un soin si minutieux.
Le même contraste se trouve, bien qu’à un moindre degré, dans le
style du nu e t des draperies, si l’on compare, sous ce point dé: vue,
les productions des deux écoles. Il y ‘aurait ainsi plus d’une comparaison
à faire, sous le rapport du système général d’imitation et du
mérite relatif d’exécution, entre nos sculptures' d’Olympie e t celles
que nous connaissons- maintenant pour appartenir à d’autres écoles
grecques contemporaines, telles que celles du Parthénon d’Athènes,
des temples d’Égine et de Phigalie; mais de pareilles considérations,
qui embrasseraient une partie considérable de l’histoire de l’art
grec, ne sauraient être même indiquées dans ce rapport. Nous nous
bornerons à dire qu’à ce titre seul d’éléments nouveaux, d’éléments
authentiques de l'histoire de l’a rt, nos bas-reliefs d’Olympie acquièrent
une importance peut-être supérieure à leur mérite réej. Nous ajouterons,
pour dire.,ici notre pensée tout entière, que bien qùe l’exécution
de ces bas-reliefs, d'accord avec, l’âge connu du monument,
atteste une belle époque de l’à rt, nous avons cru y reconnaître, en
les comparant aux sculptures d’Athènes, une sorte de goût provincial,
une manière tant soit peu arriérée, qui sembleraient indiquer
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