W ad d ing , dans ses annales des frères mineurs, nous donne l’état du Péloponèse eh i^5g. Il se trouve dans une
lettre adressée au vénérable P. F . Jacques de la Marche. « Il y a .dans la Grèce une certaine grande province , vûlgaire-
« ment appelée Morée y de huit cents milles, de circonférence, un territoire plantureux, très-fertile e t abondant.en
« toutes choses, non-?seulement 'des biens nécessaires à l’usage de l ’h omme, mais, encore des productions qui servent
« à son ornement. Il donne du p ain , du v in , des viandes, du fromage, de la laine, du-coton, du lin, de la sôieVj-*
« de la graine de kermès, de l ’uva passa, raisinide .Corinthe, pour la teinture : tout celàien abondance. Pour un
« ducat on a deux stiers (s ta ria) grands de la Marche, pesant i 4o livres. L e vin est au plus v il p rix. Huit moutons gras
« valent un ducat. L ’avoine e t le fourrage sont si copieux, qu’en sus des bestiaux, ce pays peut nourrir cinquante mille
« chevaux sans qu’ i l y .a i t cherté. L ’année!dernière, les Tu rc s y étant entrés avec quatre-vingt mille hommes de ca-
« valerie,'une .innombrable armée.de fantassins, et des charrois en quantité, ils y vécurent pendant cinq mois .dans
« 1 abondance, e t , après leur départ, le p rix des denrées était très-bas, tant sont grandes ses ressources. Elle ressemble
-« à une île , environnée par la mer, à l’exception d’un bras é troit qui la jo in t au continent, lequel étant bien gardé, tout
« le pays est en sûreté: to tap atria est secura. Outre les villes qu’elle possède, il y a bien trois cents châteaux murés,
« fortifiés et b ien pourvus; beaucoup de bestiaux., et une population considérable. » L a même année, Thomas, despote
de Morée, assisté des Albanais, qui faisaient le fonds de la population agricole, avait profité-des ■ discordes des Tu rcs qui
se déchiraient entre eux pour les battre; il en,fit' u n grand nombre captifs, dont il envoya-dix en cadeau au pape P ie II.
Ces succès auraient dû réveiller le patriotisme des Grecs; mais les tristes rejetons dès familles impériales, Démétrius-
Athanase Lascaris, Emmanuel Cantacuzèae, enfants de la discorde, n’étaient occupés que.de processions, d’accaparer
de vaines et mensongères reliques,, de se crever les y eu x, et de s’empoisonner mutuellement. Soumis aux caloyèrs;.(môines),
qui mettaient en question>si.on pouvait faire la guerre, si lé célibat n’était pas.préférable au:¡mariage, ils n e su re n tn i
défendre ni conserver un pays destiné à devenir la p roie des Mahométans^ Ce fut a lors que. Paléologue G riz za et Nicolas
Paléologue vendirent à la seigneurie, de Saint-Marc Navarin et Monembasie.
Maîtres de-ces places, les Vénitiens , q u in ’écoutaient les avis de Rome que quand ils s’accordaient avec.leurs intérêts
politiques; ayant concédé au x Grées une entière liberté de culte, parvinrent à ranimer, l'esprit public. E n 1464, ils
avaient réussi à faire prendre les armes aux Moraïtes. L a muraille de Pisthnie avait été relevée comme p ar enchantement.
Les habitants de la La conie, ceux d ’Epidaure, les A rcadiens, les Pelléniens, noms q u ’on est étonné de retrouver dans
les chroniqueurs.de cette époque, se rangent sous la bannière de Venise. Partis de Naupliey ilsiéchouentdevant Corinthe,
et ils changent de plan en apprenant q u e l’A chaïe, agitée par un nommé. Ranghis, refusait de participer au mouvement
national. Ils se. replièrent vers M istra, dont ils s’étaient emparés ; ils commençaient à s’y rallier quand ils apprirent-l’ébranlement
de l ’armée du sultan, qui était campé à Larisse. U n Schypetar lu i avait porté la nouvelle des événements qui se
passaient en Morée. L e chef des Agarènes fait aussitôt abattre ses tentes, passe les Thermopyles, traverse les champs
d e Platée, franchit le Cytheron, trouve la muraille de l’isthme sans défenseurs, ravage la plaine d ’Argos:, mo nte au
plateau de la Tégéatide, s’établit à Lon d ari, qui était alors la capitale de la Morée, ravitaille P a t ra s, et traite avec: les
Maniatës, qu’il n ’ose attaquer.
Nous ne rapporterons pas tçutesdes guerres qui ensanglantèrent ¡depuisuce temps la Morée,;ôh\les Vénitiens .continuèrent
à posséder plusieurs placés fortes. N ous nous contenterons de remarquer qu’à dater de cette époque, ils conçurent
des préventions si odieuses contre les Grecs, que ceux-ci, tourmentés, opprimés,.avilis par tous les provéditeurs,
ne regardèrent plus les Tu rcs que comme des libérateurs destinés à les affranchir d ’un jou g d’autant plus hûmiliant
q u ’il attentait à la liberté de leur culte. Morosini, qui reconquit une partie de la péninsule, en 1687 et 1688 , n’eut pas
l’art de conquérir l’affection des habitants, qui apprirent avec regret que leur sort était uni aç éjûivde Venise par le
traité de Carlovitz.
C’est à.l’h istoire qu’il appartient de dire comment le petit-fils d’un renégat français, Numan Guproùly, qui fit; trembler
la chrétienté en 17 15 , lorsqu’i l venait avec trois cent m ille Turcs en Romélie,- détacha le visir Coumourzy vers la Morée
tandis q ue, s’avançant,à travers la B osnie, il annonçait hautement qu’i l voulait envahir l’Italie. Il nous suffit de rapporter
que les infidèles qui s’emparèrent de l’A crocorinthe après six jours de tranchée ouverte, de Nauplie et dé Monembasie
avec une égale fac ilité, enlevèrent alors quarante mille habitants de la Morée, qu’ils traînèrent en esclavage. Les rèli-
gieux catholiques et les négociants français furent enveloppés dans cette catastrophe. L e fils du vicerconsul de Mycône,
Charles Bonfort de Cassis, fu t vendu à ce même bazar de Smyrne où l’on a vu les habitants de Chios mis à l’encan en .182a.
Paul Lucas, témoin de ces désastres, en fa it u n tableau déchirant, et plusieurs lettres du temps nous font connaître
qu une grande partie des esclaves grecs furent rachetés p ar leR . P. capucin Jérothéè de Viliers-Coterets, sans que notre
légation de Constantinople daignât révéler cette oeuvre de charité, que nous annonçons, peut-être pour la première
fois, au.monde chrétien.
L a diplomatie eut de tout temps ses capitulations de conscience; les chrétiens égorgés avaient été aussi légalement
égorgés alors que les martyrs de Chios, de Psara e t de Missolonghi l’ont été de nbs jours. Les Vénitiens perdirent
la Morée, è t les Turcs en demeurèrent seuls possesseurs par le traité de.Passarovitz, conclu sous les auspices de
la Grande-Bretagne et de la Hollande.
Cette ère desclavage effaça les noms de duchés, de marquisats, de comtés^ de baronpies; et les nouveaux maîtres
du Péloponèse firent un grand sangiac, ou drapeau de la presqu’île. Us procédèrent ensuite, conformément au canon
de Soliman, au .dénombrement des chrétiens que le fer avait épargnés, afin d’é tablir le cens, ou^capitation. Cette
. IN T R O D U C T IO N ; ix
lustration des Grecs asservis, faite eh 1 7 1 9 , 'lorsque l'auteur de la Henriade reproduisait Sophocle sur lé théâtre de
la nouvelle: Athènes y donna pour résultat soixante' inille chrétiens mâles , depuis’ l'âgé-de douze ans jusqu’à l’extrême
vieillesse. ■'D ’aprèsvcette base, on ' peut conclure que le grand-seigneur attacha à son jou g environ deux cent mille
Grec s, restesid?unè populaüéih''qui avait autrefois couvert le Péloponèse de plus de deux millions d’habitants.
Cependant les chrétiens, à la faveur d’un siècle de p aix , par l’effet naturel des mariages et le rétour de ceux qui
s'étaient expatriés, ne tardèrent pas-à''.;?-trouver plus1:nombreux qu’ils n’étaient au moment d e la cession'de leur
pays'àu Sultan. Les beys- è t'les agas, qui avaient succédé' aux Seigneurs du livre d’o r, « n traitant les paysans comme
'des -animaux-utiles, au lieu de les “écraser,; ainsi que le commandait la politique ombrageuse de V en ise , avaient
causé fcette amélioration.v^uôique'./ei Turcs soient les-pîus prop re s 'à posséder • inutilement tin bon p a y s, les villes
se relevaient, l'agriculture-s’étendait, et la F ranc e, par l'activité "de son commerce, ne tarda pas à répandre un
Men4êtrè auquel Qhçin’é tÎS t t^ ^ a c cô u tum é . ; Ses comptoirs établis à Nauplie et à Patras tendaient à' hâter la civilisation.
Un évêque, visiteur,; recommandé par Grégoire XIII au r o id e F r a n c e , avait parcouru l’Albanie et le Péloponèse
'dès 15 84, «fin de Consoler les fidèles. M. de Belfond, depuis ce temps, consul à Côron-, en protégeant le Commerce
était-! parvenu à > y . établir une -mission catholique', - à< l’instar de* celles -de Naxos , Thessaloniquey Patras, Nauplie,
Athènes, Mélos. Paro s , Sriiyrne; Ch io s , Né g rep ont/ ’q u i furent instituées sous lé règne de Charles IX. L e midi
¡dè l à presqu’île florissait, lorsqu’une:peste affreuse, apportée d ’E g ypte, éclata en ifSfi-j e t enleva, dans le terme
de cinq années, la.;liîôitie de la populàtion.
: Ce fu t s ix am:ag rès ce désastre, « * que quelques fiunilles dé la Messénie, excédées de-leurs souffrances
résolurent:de, quitter: poùr toujours le beau ciel de la Grèce: John Thornbüll, Anglais, qui se trouvait à Coron
avec quelqüés-vaisseaux, obtint,- au p rix dé i&oo p iastres, du béÿ qui commandait dans Cette ville, la permission
d'embarquer ces malheur eux JLeur séparation de la terre natale- fut douloureuse, au moment de quitter les' tombeaux
de leurs aïeux ; et ils ne s’en détachèrent qu 'à 'la -voix des ministres du Ch ris t, qui donnèrent lë signal du'départ,
en- lès bénissant : Partez', ames^chvétiennesJ I ls î firent: voile pour l’Amériqiie : 1a navigatiôü) fu t longue et pénible
pour atteindre Iles F lo r id e s , ou ils -fondèrent, une colonie hellénique. On assure que ces Grecs ont 'envoyé’ plusieurs
fo is■ demander dés prêtres à leur ancienne patrie; mais on ignore s’ils existent encore, comme la tribu des' Éleu-
thérolacons que l’on retrouve dansilés montagnes de la Corsé. 1
Les tombeaux -étaient à peine fermés, qu’on v it éclater un nouvel orage sur le Péloponèse. La Pcirte Ottomane
se trouvait engagée. dans, une guerre désastreuse c6 n tr e ]e s :R u s sè s ,lo r sq u e d é S ‘ hommes qui n’avaient rien moins
en vue.que Pâffranchissemént-de.leur.. p a t rie ,. parlèrent de liberté dans'-un pays o ù l’bn n'aspirait qu’au repos;
ils, adressèrent leurs, voeux à Catherine, en lui disant.que les'Moraités n'a ttendaient qu’un signal pour se ranger sous ses
drapeaux.:Séduite, ou-feignant de'Pêtrej.-Pambitieusesouveraine du Nord fit paraître pour la première'fois dans la mer
Égée le labarum de Constantin reproduit sur ses glorieuses enseignes; une, escadre libératrice était envoyée aux Grecs
e t Orfow,' qui la commandait, aborda à'Ghiinova , j i o r t du Magne, le 18 février 1 7 7 6 , lorsqu’on niait encore
dans le divan l’ex'isteiice du détroit de Gib raltar, comme point de'communication- entré l’Océan et la Méditerranée.
Quelques• vaisseaux -ipaljéquipés, et douze cents hommes de débarquement firent éclàtèr ùhè révolte générale*,' qui
prouva trop lé; peu que valaient alors les,descendants des guerriers de Léonidas é f ÿde Philopoemen, p o u r qu’il
soit à propos d’eh ; rapporter la .honteuse et: déplorable-histoire?- • >-
' ' Cependant; cette insurrection, dans-laquelle des Russes se signalèrent par quelques actions-d'éclat, ne tarda pas
' à'-.rè.tpmber. sur les Grecs. Les Schypétars, sortis de la Prévàlitainè, du Musaché, des Dibrés", de PAcrocéraune et
de l a Thesprotie, après avoir. repOussé lés étrangers; ne se contentèrent-pas"d’égorger une multitude dé chrétiens
épouvantés. A l’exemple de leurs ancêtresy Conduits autrefois par Pierre-de-Boiteux, ils pensèrent à se fixer dans
’ la. Morée, qu'ils yenaient de reconquérir au-sultan,; Rs y trouvaient d’anciens compatriotes établis à Lâla et à Bar-
d o u n i, qui-avaient embràssé;-Je mahométisme depuis deux siècles.’ Us se reconnurent à leur langage et à leur
barbarie^ et i l s , s’unirent afin d'exercer les plus affreux brigandages. Ayant- obligé les pachas dé leur vendre la
ferme des impôts pub licsjj'ils prêtaient aux Grec s, qui ne pouvaient- payer leurs redevances, à soixante pour cent
p ar.m o is ; puis, au moment des r é c o lte s ,.ils 's ’emparaient des produits, et s’ils étaient in suffisants, ils-saisissaient
les femmes e t les; enfants. Dans Pespace de : neuf'ansv;?vmgt mille chrétiens des dëux sexes furent vendus à Pehcan
aux Barbaresques et aux Tu rc s.de la Romélie par les Arnaoutes, qui réduisirent cèux. qu’ils épargnèrent à la condition
' d e s ‘H ilotes. Les moines des solitudes, qui avaient en 'v ain protégé quelques peuplades,, allaient périr avec elles
sans le secours^du1 lieutenantTgénéral de -l’empire.
Hassan ou Cassan Dgezaïr-Mandal-Oglou;, envoyé par le-sultan Abdoulbamid pour-'m ettre-fin à l'anarchie; parut
inopinément dans le golfe d’Argos; au mois de juillet 1,7.79. Débarquer , surprendre les Arnaoutes épars, les tailler
en pièces, et exterminer au passage-dé l’isthme les hordes qui venaient à leur secours, fut l’affaire de quelques mois.
Malgré Cette rapidité, Hassan ne put atteindre quelques bandes répandues dans l’A rcadie et dans la La conie, qui
se réunirent aux Schypétars de Lâ la et de Bardoùni.
Hassan rétablit ainsi la paix àù:milieu des ruines du Péloponèse, en signalant sa victoire par une pyramide de
têtes, élevée à une des portes dé Tripolitza. Il ne pouvait pas rendre la vie aux Grecs, mais il aurait dû exiger
la restitution dés esclaves, et rappeler une multitude de familles passées dans l’A sie-Mineure; ces vues étaient étrangères
au coeur d'un Turc. Meilleur soldat qu’administrateur éclairé, il avait reconquis un pays désolé, et il ordonna
le dénombrement des hommes établis dans les forêts, afin de fixer la capitation , sans s’inquiéter si on pouvait la