la foule, qui était rangée à l’entour et contemplait ce spectacle avec
plaisir, en poussant des vociférations.
Ces attroupements s’étaient armés de fusils enlevés de force chez différents
armuriers de la ville et chez plusieurs marchands de poudre et de plomb.
Les généraux commandant la province et la place, ainsi que le commandant
de la maréchaussée, n’avaient encore donné aucun ordre vers deux
heures; mais l’alerte était aux casernes, les troupes avaient pris les armes
et, sans ordre supérieur, se divisèrent par pelotons pour secourir les points
les plus menacés. Une seule patrouille, après avoir été gravement insultée
près de la maison de Libry, fit usage de ses armes ; ce fut elle qui tira
les premiers coups de fusil vers cinq heures du matin.
Vers six heures, les patrouilles commencèrent à se concentrer vers le haut
de la ville, après avoir été insultées par des groupes ivres, qui, en leur tirant
des coups de fusil, leur tuèrent et blessèrent plusieurs hommes. Ce n’est
qu’après avoir été provoquée, qu’une patrouille, ripostant par un feu de peloton
(au haut de la rue de la Madelaine), tua cinq personnes et en blessa
plusieurs autres.
Vers trois heures, un groupe nombreux se porta sur la place royale
avec un drapeau fait des draperies enlevées chez Libry. Le général Wauthier
et l’officier de garde sortirent du corps de garde et demandèrent à cette
foule ce qu’elle voulait ; il leur fut répondu : Liberté et Justice. Le
général fut désarmé et blessé à la figure; il défendit cependant de tirer et
fut obéi. Quelque temps après, plusieurs feux de peloton dirigés en sens
divers tuèrent 18 à 20 hommes , en blessèrent un nombre à peu près
égal et dispersèrent la foule ; mais à peine les troupes eurent-elles abandonné
les deux Sablons, que la maison de Mr Wauthier fut assaillie et dévastée.
Toutes les autorités, à l’exception de Mr le bourgmestre, se trouvaient
réunies à l’hôtel-de-ville, où les mesures relatives au rétablissement de la
tranquillité étaient prises. Malheureusement il n’existait1 plus aucun moyen
direct d’exécution. La police et ses agents avaient disparu. Toutes les
mesures furent molles et indécises.
Vers huit heures un rassemblement plus nombreux et armé se porta vers
l’hôtel du gouvernement. Tout y fut anéanti, même les papiers. Ces
pillages durèrent toute la journée et même le lendemain.
La populace, voyant qu’au nom de la politique, elle pouvait dévaster
impunément, se livra sans frein à tous les excès. Alors plusieurs bourgeois,
justement alarmés, se rendirent à l’hôtel-de-ville pour prier les autorités
de faire retirer les troupes, de leur donner des armes, afin quils pussent
se protéger et remplacer la garde communale. Leur démarche fut accueillie.
Les bourgeois se rendirent à la caserne des Annonciades pour s’armer,
partirent delà en patrouilles pour se porter sur les points les plus
menacés et dissiper les rassemblements. Jusque vers le soir les bourgeois ne
discontinuèrent pas de venir chercher des armes à cette caserne; mais le
peuple, qui s’en était aperçu, en exigea également. Elles lui furent refusées.
Des coups de fusils furent tirés de part et d’autre : un homme fut tue
et trois blessés.
La première patrouille, forte de 40 hommes environ, se montra en ville
vers dix heures du matin. Elle était bien décidée à rétablir l’ordre. Mais les
premiers rassemblements qu’elle rencontra, près de Ste-Gudule, modifièrent
singulièrement ses idées ; au lieu de fuir, ces hordes armées en voyant avancer
les patrouilles, s’en approchèrent en leur donnant la main et en criant :
Vivent les Bruxellois! vivent les bourgeois! vivent les bons enfants!
Tous les autres groupes que les patrouilles rencontrèrent eurent la même
contenance,
L’influence morale et la ruse furent les seules armes dont les bourgeois
se servirent pendant les premiers jours; par ce moyen ils sauvèrent la vie
à beaucoup de leurs concitoyens, préservèrent beaucoup de propriétés et-
de monuments d’une ruine imminente.
L’arrêté de la régence qui abolissait le droit de mouture fut affiché ce
jour même.
A cinq heures du soir, les groupes fatigués, ivres et oisifs, se rendirent
chez Mr de Knyff. Tout était épars et brisé. Ils arrachèrent les débris,
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