c’étoit fur-tout avec les fophiftes qu’il aimoit à la
déployer. Ces Sophiftes étoient des discoureurs pleins
de ja&ance, abufant de la parole , cherchant à
éblouir par un vain éclat & une ftérile abondance;
Socrate prenoit plaifir à déconcerter tout ce grand appareil
d’élocution par fon air timide & modêfte, par
la (implicite apparente, par fon ignorance affe&ée,
par des queftions naïves & en apparence prefque
niaifes que. le Sophifte accueilloit d’abord avec un
fourire dédaigneux , mais qui finiffoient par réduire
ce même Sophifte à fe contredire lui-même ou à fe
taire. Cette ironie étoit à-peu-près ce que nous avons
depuis appellé du peififlage ; car c’écoit toujours en
applaudiffant à toiles leurs réponfes en leur rendant
grâce des. lavantes inftn; étions qu’ils voutoient '■ bien
lui donner , qu’il leur préparoit cette eonfufion, ■ &.
quand il les avoit pouffes ainfi doucement, & par
un chemin de fleurs jufqu’à la contradiction ou au
filence, il fe plaignoit toujours avec douceur de ce
que ces favans hommes fe laffoient de l’inftVuire. C’eft
cè que Cicéron nous explique d’après Platon dans plu-
ffeurs endroits de fes; ouvrages.
' Socrates de fe ipfô detrahens la difpiûatiàne plus
trïbuebat iis quos voleb.it refelkre. Ità , cum aliud di-
ceret atque fèntïret, libenter uti folitus eft illâ d\f
fimulàtione quant Grceci uptamw/ vocant. Academ.
quæft; lib.. 4,
Socrates in ironîa dijfiinulmtidque longe omnibus le-
pore. atque humaniLate prafihu. De Orat. lib. a.
Sed & Gorgiatti: &■ cceteros Sophiflqs ut è Platone
intelligi potfi , . illufos: videmus à Socrate. Js. enim
percontando atque interrcgmdo eliccre folebat eorum opi-
mones quibuscum differebut,. ut- .ad'em , quoe il ref-
pondijfent y Jiqiùd vidtretur, diceret. De finib. lib. 2.
Cette ironie étoit fécondée en: lui par des dépositions
naturelles il avoit l’air commun , il étoit-
laid. <5c d’une laideur favorable a ce caraftère. ironique
; fa, phyfionomie prenoit , quand il le voit-
loit 5, quelque chofë de fl ipidé & d’hébétc auquel
il étoit aifé de fe méprendre. Cicéron, nous apprend-
qu’un phyfionomifte de pçofeffiony fut trompé,.&
qu’il prononça durement contre Socrate. Zopyrus
phyfognomon...... . ...fiupidum effe Socratem dixit &■
kardum.. Cic. de fat.
Il jugea ffupide. celui que- l’Oracle de Delphes
déclara le plus fage de tous les hommes. Non., di-
loit Socrates if n’y a en moi aucune fageffe, &
cependant Poraçle de Delphes n’a pu ni mentir
ni fe tromper. II. y a en effet entre les autres, hom mes
& moi y une- différence efïfentielle , & cette
différence, je l’avoue ,.. peut être à. mon avantage^,
la: plupart des . hommes croient favoir ce qu’ils ne
lavent pas, &. Socrate le. prouve par une énumération:
des, hommes de tput état ,; &. de leurs opinions
y pour moi., ajoute-t-il ,. j’avou ; toute mon
ignorance ; je- fais que je ne fais rien ,. voilà: ma
Ç-ience-j voilà la feule fupêriorité que l’oracle-a vou--
Iûi obferver en. moi.. Son fens eff- clair « le plus
fage d'entre. \»us,> atî-il voulu.dire.,, eff. celui qui
reconnoît, comme Socrate , qu’il n’y a véritablement
en lui ni fcience ni fageffe.
Socrates in omnibus ferè fernionibus fie difputat y
ut nihil ûjfrmet ipfe , refellat alios : nihil fe feire
dieat , nifi id ipfum , coque preefiare cotteris , quod
ûli qutz nefeiant feire fe putent ; ipfe fe nihil feire
id unum Jciat , ob eamque rem fe arbitrari ab Apolline
omnium fapientiffimum effe dictum , quod hæc
ejfet una omnis f ipientia 3 non arbitrari fefe feire
quod nefeiat. Cic. Acad, quæft. lib. 1.
Socrate avoit d’abord appris le métier de fon père,'
& s ’y étoit rendu habile. On voyoir encore , du temps
de Paufànias,. quelques ouvrages de Socrate dans ce
genre , tels qu’un Mercure , 6c fur-tout trois Grâces
que l’on cor.f.rvoix avec loin dans la Citadelle d’A thènes
; elles.étqient couvertes , au lieu-que les autres
Arr.ffes les repréfèntoient ordinairement nues , & le
fage Roi lin fait honneur de cette d-fference. à. la
fageffe &. à . l’honnêteté de Socrate. Livré . dans
la fuite tout entier à la philofophie, il prétendit que
fon premier, art avait contribué' à l’y conduire par
des rapports fecrets qu’il appercevoib entre' l’un &
l’autre car, difoit-ïl,. comme la fculyure donne
la forme à fon objet , en retranchant ,lés fuper.-
flu.tes , de meme la. philofophie. introduit la vertu
dans le coeur de l’homme , en. retranchant, peu-àr
peu. toutes fes rmperfeéhons, C’ tff à., peu. près.dans
le même.fens. qu’Horace fait conflfter la fageffeÔÇ.
‘la vertu dans la fùpprellion. des, folies & des vices*.
Virtus■ efl vitium fugère,_ & fapientia prima.
Stultilid caruijfe-
On dit- que ce fut Criton qui éleva: Socrate de là:
feuiptu re. à. la. philofophie , &. qui le tira de l’at?
telier de fon père,. Socrate devint, difciple d’Arche-
laüs ,;qui l’avoit été d’Anaxagore. Il s'attacha d’abord:
à, la phyfique & à l’aflronomie., & Xénophon nous
affure qu’il y. avoit- fait de grands progrès : mais fa
véritable gloire eft d’avoir, comme le dit Cicéron, fait
defeendre la-philofophie du. ciel pour la placer au-
milieu des villes , pour l’introduire dans les maifons
particulières l’appliquer à l’ufage de la vie corn?
mune y en faire la-, règle des moeurs , & en tiret
des moyens de rendre les -hommes plus raifonnables
plus- vertueux. , plus heureux.
Socrates primus- philo fopkiam devocavït à ccelo,. &
in urbihus coüocavit & in dornos etiam introduxii,
& coegit de vitâ & moùvus1, rebusque bonis & malis
quoere-e. Cic. Tufc;. quæft: lib. y
Socrates mihi; viietur id quod confiât inter omnes ÿ
primus à. rebus occultïs <5* ab ipfâ naturâ. involutis y
lin quihus omnes and eum phihfophho.ccupj.ti fuerunt*
avocavifpe phüofophizm ,. ad-ivitam communem ad>
duxiffe 9. ut- de virtutibus. &"vidis , omninôque de bonis
rebus &■ milis-.quaereret ; catlefi.a autem- vel procui
effe à nofirâ cognitione cenferetvel JP. maxime co gril ta
effént , nikd tamen ad benè vivendum. conferrei Gc*-
académic. quæft. Iffe ii.
■ Ceftcle cette Philofophie, pour ainfi dire i Osuelfe
qu’Horace nous entretient.
Quod ma gis ad nos,
Attinet & nés cire malum efi agîtanniSy utrumne
Divlùis hou.ines an fine viruue b. ad ,
Quiève ai amidlias ufus rcaumne trahat nos,
Et quoe fit natum boni fiimmumqiu quid ejus.
Socrate ne penfoit pas , comme quelques Philofophes
, que la; philofophie dépensât des charges
publiqoes & des devoirs de citoyen, ; il porta ^ les
armes pour fa pairie, , . & fe diffingua meme a la
guerre , par fon courage. ( Voye^ l’article. Alci-
tiade;,)• - r ' ' • ' , . ,
Il pouffa plus loin que perfonne le mépris des
richeffes & l’amour de la pauvreté. .11 .regardoit
comme .une perfeélion divine, de n’^vojr beloin de
r i e n & ii croyoit qu’on s’apprcchoit d’autant plus de
la divinité-, qu’on fayoit mieux fe contenter de
peu.
Quand quifque fibi plura negaverit
A Dits plura fera , nil çupientium
Nudus cafira peto- , 6* transfuga dïvitum
Partes linquere gefiio
.Contemplez Dominas Jplenpidior rei,
Quant f i quidqit id arat no,n piger Appulus
O c culture m eis d cerer hoheis ,
• Magnas inter opes inops,
Ceft de lui qu’eft ce met û connu , à propos de
ïa. pompe que le luxe étaloit dans de certaines cérémonies
, & de la quantité' d’or & d’argent qu’on
y portoit : qu: de, chofes dont je liai pas bejoin / Mais
cet amour de- la pauvreté 'ù’étoït pas chez lui une
affiliation , 'comme chez Antiftnène Diogène. Il
eût cru fe dégrader par le cynifrne & la îiYalpropreté.
Il favoit refpeéfer te public 3. & fe rëfpedler lui-
même.'
Il avoit hérité de fon pèrequatre mille livres ,
un de fes amis en eut befoin , il les lui prêta , . &
il les. perdit. Il lui relia pour tout : bien , deux-
cent-cihquante livres- ; i| ne permit'“jamais a ■ fes
amis les plus- opulents- , de partager avèe lui -lèu-r-s
richeffes.-Un jour; feulement il lui échappa de dire
devant fes difoiples f i fîzyois de l'argenty paurais
acheté - un manteau. Tous s’em pressèrent autffotet de
lui faire ce petit préfem. C ’étoit trop tard , d.t Sénèque,
il eût fallu avoir prévenu fes befoins & fa
demande.. Socrates , qmicis audlentibus : e m i s s e m ,
inquiu PA'LLlUM SI -NUMMOS IT'ABEREM.' Ne-
minem popofeit y onines âcimo'nuit. A qyo accipsrct,
ambitus fait. '*. . . . . .pùfi hoc quisquis properaverit,
ferô dut , jam Socrali defuit. Senèc, de benefl
Il rejettà les offres d’Àrohelaüs , roi de Macédoine,
qu'l vouloit: l’attirer chez lui , il difoit qu’il ne1- vou-
l'oit point aller trouver un homme qui pou voit lui
donner- -pl-iis qu’il n étoit en état de lui rendre. Se-
æsèque lui atiribivs iV’aptr«s nvotifo-; set homme libre ,
dit-il, & dont même une- ville libre trouyoit quelquefois
la -liberté exceftive , n’eut garde daller volontairement
au-devant de la fervitude. Noluit^ ire
ad voluntariam fervitutem is cujùs Ubertatem civitas.
libéra ferre non potuit.
On connoit. en effet cette maxime. : ,
Ad tecta quisquis fe tyranni contulit ,■
Fit fervus illit , lib er & f i yenerït. . ’
Socrate étoit parvenu à une tranquillité- d’ame qifS
rien ne pouvoit altérer, il lui,en avoit coûté des
efforts , il étoit; ;né violent & effipoxt-é ;;i l ne. s’étoit .
pas contenté d’être, comme Horace le dit de lui-même;,
lrafci celerem tamen ut placabilis effem 9
Il s;étoit dit de bonne heure 6c ■ plus efficacemest que
le meme Horace :
Ira furorfrevis efi; anhnum rtge y.qui nifi paret y
Jniperat hunefreenis y hune tu compefce catenâ.
Il avoit- exigé de fes amis qu’ils l’avertiffent quanâ
ils t® verroient près ‘ de. fe mettre en colère.; aa
premier frgnal , il. baiiïbit le ton. ou fe .faifoit,, Se
fentant irrité contre un efçlave y .comme, je te fiyp-'
perois f dit-il, f i je riàojs en Colère !-çoedereni. te nifi.
■ irafetrer* Ayant un jour reçu un. fqufËet * 11, fe .contenta
de dire : il efi fâcheux de ne pas savoir, quand
il faut s armer 'dun cafque;•
L’humeur de Xanthippe J fa femme , mit fa verta.
aux plus rudes épreuves;- Xénôphon dit . qu’il raypit-
choifie exprès dans ceftepvue.,/.parce. que:,- difort n l,
fi? je puis vivre avec
. qui je né puiffe vivre.' Ceci reÏFémble* un.peu- h
Robert d’Arbriffel qui s’expofe volontairement aüic
plus fortes - tentations, pour avoir»,1a* gloire dè.-;. les’
vaincre. Si Socrate vou'ôit avoir à fouffrir de fai
femme , il eut fatisfaétion ; il n’y avoit "point d’où--
nage quelle ne lui fît. Sa modération ne feilbit:
qu’irriter là ftir.etir. 'dê;: cétfé' fenïmë , elle T’accâBloit
d’injures eh pûbïic;' ëllé lui arràcbà, üh jpüt.fon manf
teau en pl'eine' rue ; un' aütre' jBùV-, aptes fô'n dé^-
bordement d’injures .aCC’oùtùmé ., '.elle fihït par lu*
jetter un pot ffeati fhleP fur la _t.^è : Tl fallait bieny
; 'dit-il en: riaût, qu il plût après fin tel 'orage: '
Il paroît que ce qtfbn a dit de Socrate que , dm
vivant même de XàntHïp.pe' y ’ il avoir épotifé une1
autre femme, nommé Myrto, petite-fille d’Ariftide^.
en venu d’un décret d’ Athènes’ qui. permettoit cette
. b'gairiie , eft dénué -'dë roüt fondement j-'ainfi- què
M. Hardron- l’a prouvé dans- un des mémoires, du-
recueil- de ^académie ' des belles-lettres.
- Quant-au: démon ou efprit familier de' Sotràley
! ri faut le mettre au même rang que les oracles dont
Lycurgue & Solon fe prévaloient ; il faut le mettre
; avec la Minerve de Zaleucus ,- ltf Déeffe- Egérie;
’ de- Nu ma pompilius r les avis fecrets des- Dieux:
; donnés., au- premier Scipicn- l’Àfticain j la- biche- de,-