
2p 6 T I M
Il acheva de fe dépouiller volontairement du
refte d’autorité que fes grandes avions & Tes importons
fervices pouvoienï lui avoir confervé ; il fe
démit de tout, pour aller vivre dans la retraite. Les
Syracufains , par reconnoiiIar.ee, lui avoient donné
la plus belle raaifon de leur ville, & une malien de
campagne fort agréable, c’eft dans ce:L-ci qu’il palfc it
■ pre'.que toute l’année avec fa femme & fes enfans
qu’il avoir fait venir de Corinthe, Syracufe, théâtre
de là gloire & de lés bienfaits, étant devenue fa
patrie. Par cet éloignement , par ce gcût. de la
retraite, il déforma l’envie ; il vécut en fimple particulier
, mais il jouit du bonheur public , qui étoit
ion ouvrage. Sa confidçration perfonnelle lui rendoit
avec ufure tout l’empire dont fa déiicateffe & fa
générofité faiioient cifparcître jufqu’aux moindres
marques. Il étoit l’oracle univerfcl de la Sicile. On
ne faifoit ni traité, ni loi , ni étskUTement , ni
partage fans le confulter , fans le prier d’y mettre
la main. 11 devint aveugle long-temps avant fa mort ;
ce fut alors fur-toùt que Syracufe lui témoigna fa
reconnoiffance , fon refpeél & fa tend refte. On alloit
le, voir tous les jours , on lui amenoit tous les étrangers
qui paffoient dans la ville, & la curiofité des voyageurs
«’étoit point fatisfaite, s’ils n’a voient vu le héros de
Corinthe , le libérateur & le bienfaiteur de Syracufe.
Quand les Syratafains avoient à délibérer dans
l'affemblée publique fur quelque objet important, ils
l’appelloient à leur fecours; il arrivoit comme un
autre Tiréfias , aveugle comme lui , éclairé comme
lui ; il traverfoit la place fur un char à deux chevaux
, aux acclamations de tout le peuple , d.foit
fon avis , qui étoit toujours refigieufement fuivi, &
étoit reconduit au bruit des mêmes acclamations.
Lçs^larmes fincères qu’on répandit à fa mort, les
honneurs qu’on rendit à fa mémoire, achèvent de
Kmmortalifer. ■
On lui éleva un monument fuperbe dans ’a place
de Syracufe, & cette place porta fon nom ; on
inftitua des jeux publics anniverfoires en fon honneur, ;
& pn fit çe fameux décret : que toutes les fois que ;
la Sicile feroit en guerre avec les étrangers , elle
prendroit un général à Corinthe.
Plutarque a fur Timoléon une idée fort ingénieufe :
en comparant ce grand général avec les plus illuflrcs
capitaines de la Grèce, tels qu’Epaminond.as &
Age fi'as, il apperçoit entre eux & lui la même différence
qui fe trouve entre des peintres & des poètes ,
les uns excgllens d’ailleurs^ mais dont les ouvrages
correéls Si- finis décèlent cependant le travail & l’effort,
les autres ne préfentsnc que l’idée de l’aiûnce , de la
facilité, delà grâce, & femblent avoir été faits pour
ainfi dire en jouant ; c’eft à peu-près la différence que
nous trouyeripns entre les vers foignés & travaillés
de Boileau , les vers aimables & faciles de ce
Voltaire , à qui rien n’a jamais rien coûté. C’eft cette
ajfance, cette facilité , cette grâce, qui, félon Plu-,
tarque, caraçtèriient les exploits de Timoléon ; c’eft
pour ainfï dire en fe jouant ? qu’avec une poignée
T I M
de monde , il force ïcétas dans Syracufe, & difiipe
de formidables armées de Carthaginois; c’tft en fe
jouant, qu avec dix galères, il paife à travers ou à
c~té des flottes immenfes des ennemis qu’il enchaîne
& rend immobiles comme par une efpèce de charme.
Le meme Plutarque rapporte fur Timoléon un
fait affez extraordinaire, & qui donna l'idée, d’une
providence attentive à veiller d’une manière particulière
fur les jours de ce g; acd homme. Pendant qu’il offroit
un focrifice foîemnel en mémoire d une viéloire fi-
gnalee , deux afïafïins envoyés par les ennemis, trouvent
le moyen de s’approcher de lui à lu faveur d’un
dégu'.femer.t. Un d’eux levoit déjà le bras pour le
frapper, lorfqu’il aft lui-même renverfé par un homme
qui s’élance fur lui , le poignarde & s’enfuit. Le
fecond afiaflin, effrayé de ce coup imprévu e:n-
brafle 1 autel,-demande grâce à Timoléon , & nJui
revele tout le complot. Il fembloit que le meurtrier
du premier afiaflin, voyant le bras levé fur Timoléon
eut vole a fa défenfe, Si fe fût empreffe de prévenir
le coup , mais en ce cas pourquoi s’étoit- il enfui ?
On comt.apres lui, on l’arrête, oh l’interroge. Cet
homme n’avoit pas feulement forrgé à Timoléon , &
n avoit pas vu le danger que couroit ce héros; mais
il avoit reconnu l’ailaflin , fur lequel il avoit une
vengeance perfonnelle à exercer , & il aVoit faifi l’oc-
cafton de venger fon père, aflfafliné autrefois dans
la Ville des Léontins par le fcélérat qu’il venoit de
frapper. Plusieurs des afiiftans reconnurent à l’inftant
le meurtrier, & confirmèrent la .vérité de fon récit.
Ce fut par ce coup de théâtre , par ce concours
fortuit d’evénemens fans liaifon ei tre eux, que
Timoléon fut p éfervé.Ce fait dut fortifier l’opinion
eue Cornélius Népos lui attribue fur la providence î
jNih'.l enim rerum humanarum fine Deorum numine
a fit putabat. Ce fut l’an 346, avant J. C. , que
Timoléon délivra Syracufe.
TIMON LE MISANTHROPE , (Hifi. anc. )
eft p’us célébré que connu , on a plutôt parlé de
lui qu’on n’a écrit fon hiftoire ; la dureté , l’infléxi-
^jilité de fon caraâère l’avoient rendu l’objet des railleries
de PI aton & d’Ariftophane * mais nous n’avons
pas les ouvrages ou Platon parloit de lui , nous avons
feulement quelques comédies d’Ariftophane , où la
mifanthropie de ce Timon eft rappellée. Il eft aufîi
le fujet d’un dialogue de Lücien ; mais c’eft par.
Diogène Laërce, par Suidas, fur-tout par Plutarque
dans les vies d*Alcibiade & d’Antoine, que fon nom ,
fon caraélère & les principaux traits de fon hiftoire
ont pafle jufqu’à nous. Dans les derniers'temps ,
l’abbé du Refnel a fait de Timon, le mifantrope J’ob*
jet de fes recherches ; fon mémoire eft inféré parmi
ceux de l’académie des Infcriprions & Balles-Lettres ,
tome 14 , pag. 74 & fui vantes.
Timon naquit à Coîythe -, au pied du mont Hy-
mette , près d’Athènes '; on le nommé fouvent Timon
l’Athénien , pour îq diftinguér d’un autre Timon,
phd'ofophe feeprique, & d’un autre Timon encore,
ancien poète Grec , connu par des parodies ; mais le
titre
T I M
titré qui diftitigue le plus notre célèbre Tifnoti ] eft
celui de mifanthrôpe.
Timon vivoit au temps de la guerre du Pélopo-
nèfe, environ 42ù ans avant J. C. Son.père fe nom-'
tnoit Equécrate. 11 paroît que la mifanthropie de Timon
étoit celle d'un homme défabufé des hommes à fes dépens.
Il avoit été riche > & alors il étoit très-bienfaifom ;
il partageoit fes richùffes avec tous fes amis, il s’appauvrit
en les enricli fiant, Si tomba réellement dans
l ’indigence à force de libéralité ; alors il n’eut plus un
•foui ami ; alors il devint l’ennemi & des dieux qui lui
paroiffoient injuftes > & des hommes dont il connut
enfin toute l’ingratitude ; & ce fut en effet fur le modèle
de Timon , 6>c d’après fes aventures, que 1 aureur
du Speüateur François imagina ce philofophe mifan-
thrope Hermocrate,chez lequel il fait arriver le fameux
Scythe Anacharfis , qui dans le cours de fes voyages
vient lui demander Phofpitalitè : » Entrez , dit-il à
Anacharfis d'un ton féyère.; les hommes en général
i> ne méritent pas qu’on les oblige, mais ce feroit être
» aufii méchant qu’eux , que de les traiter comme iis
» le méritent. Venez > les vices de leur cceur m’ont
n valu des exemples de vertu. »> Ce philofophe raconte
fon hiftoire. Une Bonté qui ne fe démentoit
■ jamais , une douceur inaltérable, le rendoient le
jouet & le mépris de fes amis; il fervoit tout le
monde, & perfonnè ne le fervoit , parce qu’on ne
craignoit jamais de le perdre, ni même de le refroidir.
Aimé de tout le monde , il fe trouva en concurrence
avec un homme univerfellement haï ; ce futT cet homme
odieux qu’on s’empreffa de fervir , parce qu’on
le. craignoit ori facrifia Hermocrate qu’on ne faifoit
qu’aimer , & on ne lui diflimula pas les motifs de
Cette perfide conduite* » Mais moi , dit-il, faifi de
d fureur à la vue de l’iniquité des hommes, je dis à
n tous ces indignes de fortir , ce qu’ils firent en fe
» moquant de moi. Le lendemain , je vendis le refte
» de mon bien ; & m’éloignant de ma patrie aufti-bien
» que des hommes ; qui m’étoient odieux, je fis bâtir
. n cette maifon dans ce défert, où je vis de ce que me
n rapportent quelques arpens de terre que je cul •
» tive.
Lucien nous repréfente de même, ou dans un état
plus fâcheux encore , Timon le m fanthrope , revêtu
dune méchante pelifie , réduit à cultiver la terre pour
quatre oboles par jour , & à philofbpher, une bêche à la
main ; mais il paroît qu’il y a en cela de l’exagération
ou de la fi&ion.
Quant à la haine dont il faifoit profeflion pour les
•hommes , elle le portoit moins encore à les fuir qu’à
les infulter , il avoit befoin de leur dire qu’il les
haïfioit. II avoit trouvé parmi fes concitoyens un
autre philofophe, auquel il pardonnoit d'être homme,
parce qu’il étoit.aufii mifanthrôpe, c’étoit Apemantus.
il avoit formé avec lui une efpèce de liaifon -, mais
.fiijetteà dqs orages & à des Retours de mifanthropie fâcheux.
Un jour qu’i’.s dnoient enfemble , un épanchement:
de bile contre le genre humain leur tenant lieu
d’un épanchement de tendrefle , ils fentirent quelque
Hjfioire. Tome V.
T I M ip?
plaifir dans cette liberté de converfatiofl , & dans
cette union de fentimens. Ah ! Timon , s’écria tout-
à-coup Apemantus , par un mouvement naturel t
l’agréable repas qïie nous faifons aujourd’hui! Oui , fi
tu n’y étois pas , répondit Timon , rappelle, tout à-
coup.aux devoirs févères delà mifanthropie , par le
propos obligeant de fon convive. Cette réponfe de
Timon eft aufii dans le Mifiinikrope de Molière ; mais
ce n’eft pas Alcefte qui la fait, c’eft Celimène ; ce
n’eft pas un trait de mifanthropie, mais de malignité ;
çe n’eft point une injure, ceft un bon mot. On parle
d’un homme qui fe pique de faire-bonne chère, Si
qui la fait.
Il prend foin d’y fervir (à fa table) des mets fort délica t^’
Celimrène répond 1
Oui, mais je voudrois bien qu’il ne s'y fervît pas ;
C ’eft un fort méchant plat*, que fa fotte psrfonne,
Et qui gâte, à mon goût, tous les repas qu'il donner
L’homme qui deveit le moins convenir au mifan-
thrope Timon étoit l’aimable & brillant Alcibiade ,
toujours fi emprefie à plaire, fi prompt à fe plier à
tous les gcûcs, à tous les ufàges, à toutes les moeurs ,
fi avide de toute forte de gloire, & ayant pour tous les-
vices de fon fié de une indulgence, inté reffée. Timon
étonnoit fout le monde, par l’amit.é qu’il témoignoit à
ce jeune homme , par l’air careflanc qu’il prenok toujours
avec lui. feul. On lui en demanda la raifon. Qui y
dit-il,, faune ce jeune hojnme , je jouis d'avance de tout
le mal que je prévois qu'il fera un jour aux Athéniens»
Un jour Alcibiade forrant de l’afFemblée du peuple ,
content du peuple & de lui-même , ayant obtenu des
honneurs qui augmentoient fa puiffance & fiattoient
fon ambition , Timon , qu’on ne voyoit guères rechercher
les gens heureux, r.i paroître où étoit la foule,
vint, comme les autres , féliciter Alcibiade : courage,
mon fils , lui dit-il, augmente ta puiffance, tu li en peux
trop avoir pour la fubverfion de ta patrie»
Un jour on le voit monter à la tribune aux harangues
; nouvel étonnement, grande attente , profond
filence. « Athéniens , d l- il, fa i dans ma demeure
» un petit terrein ou il y a un grand figuier. Plu-
» sieurs honnêtes citoyens s’y font déjà pendus ,*
n comme ,j‘aidcfj'ein de bâtir fur- ce terrein & a’abattre
» ce figu er, fa i voulu vous. en avertir publiquement,
» afin que f i quelqu'un de vous voulou s'y pendre
i> aujfi, il pût profiter de la commodité, tandis que
n l'arbre efl encore fur pied.
Propos qui paroît beaucoup plus être d’un bouffoa
que d’un mifanthrôpe , & d'un homme qui cherche
à rire que d’uii homme qui veut montrer fa haine î
Ariftophane , contemporain de Timon , le représente
dai s fes comédies , comme un homme inacceffible ,
environné d*épines , retranché dans de fortes pnlijfiides ,
& defeendu des furiesrïl ajouté cependant aiul n’av'oit
pas autant de haine pour les fe mines quepour les h c rûmes.
PP