
juin. Le maréchal de Villeroi avoit dans cette
même campagne un projet fur Bruxelles , le roi
Guillaume le fit avorter.
Dans la guerre de la fucceflion d’Efpagne , le
maréchal de Villeroi alla en 1701 relever le maréchal
de Catinat qu'on rappelloit d’Italie ; on fait
trop avec quel dédain fuperbe & quel ton de fupé-
riorité, il o(a parler à cet homme modefte , qui,
dans cette qualité d’homme mode fie & plus encore
en qualité de général V lui étoit infiniment fupé-
rieur. Le combat de Chiari, où Villeroi fut re-
pouffé avec perte le 1 feptembrc , conformément
aux pronolHcs de M. de Catinat, rabaifia un peu
l’orgueil du premier.
Le 2 février 1701 nouvelle humiliation. Le
prince Eugène furprend Crémone & dans Crémone
le maréchal de Villeroi. Eugène fut chafle furie
champ par la valeur des françois & des irlan-
dois j mais il emmena le maréchal de Villeroi
prifonnier.
Laiflèz y donc Villeroi.
Lui difok-sOiï encore dans une chanfon grivoile,
Traitez-Ie bien, faites-lui boune chère,
Ce général peut-être eft votre, père ;
Car
Il a mené votre mère plus d’une fois à l’écart.
Il fut conduit à Grats , où il relia jufqu’au mois
d’octobre fuivant.
En 1703 il alla commander dans les Pays-bas,
où il prit Tongres le 10 mai & eut quelques autres
avantages.
Il fit de grandes pertes en 1704 en Allemagne
par une mortalité qui fe mit dans fon armée. En
1705 dans les Pays-bas , des lignes trop étendues
qu’il défendoit du côté de Vignamont , furent
forcées le 18 juillet ; cette campagne lui fit cependant
honneur, parce que, malgré cet échec, il
couvrit fi bien les principales villes de Flandre ,
qu’il empêcha les ennemis de prendre des quartiers
d’hyver dans ce pays.
En 1706 le 23 mai, jour de la pentecote , il
efluya le terrible échec de Ramiliies, qui entraîna
la perte de prefque toute la Flandre. Le roi fe
crut obligé de lui ôter le commandement des
armées , mais toujours prévenu en la faveur par
l’amitié, il attribua tous fes revers au malheur,
il crut qu’on exagéroït lès fautes &'fon incapacité
; on fe déchaîne contre Lui , dit-il, parce qu’i l
e f t mon favori, mot, dit M. de Voltaire , qui fut
d’autant plus remarqué que c’eft la feule fois que
Louis XIV s’en foit fervi à l’égard même de ceux
qu’il a le plus aimés. Quand il le revit après fes
défaites, il fe contenta de lui dire avec bonté ;
M. te maréchal, a notre âge on n eft plus heureux ,
& connoiffant Ion zèle & les vertus, il chercha le
moyen d’employer fes fervices dans un autre genre,
| il le nomma en 1714 minière d’état & chef du
oonfeil royal des finances, il le nomma aulïi par
fon teftamént gouverneur de Louis X V .
La Baumelle,.en parlant du maréchal de Villeroi
dans les mémoires de madame de Maintenon ,
l ’appelle : Villeroi le faftueux, qui amufoit les
femmes avec tant de légèreté, & qui dijoit à fes
gens avec tant d’arrogance > a- t- on mis de l ’ os,
dans mes poches ? Ces traits à quelque per-
lonnage qu’ils appartiennent, font vraiment carac-
tériftiques & peignent de manière à faire à jamais
reconnoitre celui qu’ils défignent ; mais font-ils
juftes dans l ’application au maréchal de Villeroi ?
ce n’eft pas l’avis de M. de Voltaire ; comment:,
dit-il, la Baumelle peut-il attribuer, je ne dis pas
à un grand feigneur, mais à un homme bien
élevé, ces paroles qu’on attribuoit autrefois à un
financier ridicule ? II eft même difficile de croire
que, même- dans le teins du plus grand crédit de
la finance, un financier ait ofé tenir un pareil
propos & attirer fi imprudemment _ fur lui 6c fur
les femblables l’indignation publique.
Quant à M. de Voltaire, voici le portrait qu’il
fait du maréchal de Villeroi , avec lequel, il avoit
vécu dans fa jeunelfe : ce Le maréchal-duc de
Villeroi, fils du gouverneur du roi, ( Louis XIV )
élevé avec lu i, avoit eu toujours là favelir : il
avoic été de toutes les campagnes & de tous fes
plaifirs : c’étoit un homme d’une figure agréable
& impofante, très-brave, très-honnête homme,
bon ami, vrai dans la fociécé, magnifique en tout.
Mais fes ennemis difoient qu’il étoit plus occupé,
étant général d’armée , de l’honneur 8c du plaifir
de commander que des delleins d’un grand capitaine.
Ils lui reprochoient un attachement à fes
opinions, qui ne déféroit aux avis de perfonne,
La difgrace du maréchal de Villeroi, arrivée en
1 7 Ü , fut un-grand événement à la cour. Le maréchal
n’ étoit ami ni du régent, ni du cardinal
Dubois î il avoit fur-tout pour ce dernier le mépris
que Dnbois devoit naturellement infpirer à une
ame fière & franche comme celle de Villeroi.
Dubois, dans le projet qu’il avoit conçu de fe faire
nommer premier miniftre, voulut gagner Villeroi,
pour qu’au moins il ne s’oppofât pas trop hautement
à fa nomination , & qu’il ne le deffervît
pas auprès du jeune roi. Le cardinal de Bifly fut
chargé de cette négociation, & réuffit d’abord fi
bien qu’il amena le maréchal chez Dubois, qui
offroit de fe tranfporcer .chez lui. Villeroi crut
qu’il 11e s’agifîoic que d’un rapprochement & d’une
réconciliation en général, fans aucun objet déterminé.
Dubois, charmé de voir chez lui le maréchal
, s’enferme avec lui & le cardinal de Biffy*
Le
V I L
L a converfation commence par ces complimens
& ces proteftations d’amitié , qui ne font pas
même une fauffeté. entre courtifans, puifqu elles ne
trompent perfonne ; mais le maréchal a^ dit lui-
même depuis, que , quand Dubois parla detre premier
miniftre , & le preffa de faire goûter ce projet
au ro i, & même de le préfenter à ce jeune
prince, il ne put tenir à une pareille propofnion,
la patience lui échappa} il s’emporta, & accabla
le cardinal Dubois de reproches & d’injures. Le
négociateur Bifly, pour le moins auffi déconcerté
que Dubois, cjfaye de calmer le maréchal, d’adoucir
fes expreffions, de les interpréter le plus
favorablement, de lui rappelle^ qu’il eft yenu
dans un efprit de paix & d’amitié , que s il ne
croit pas devoir fervir le cardinal, il ne doit pas
au moins l’injurier} que fans doute ce n eft point
fon intemion , mais que les mouvemens ont trop
d’impétuofité, & fes expreffions trop d’aigreur.
Plus on veut l ’appaifer, plus il s’échauffe & s’irrite;
il pafTe enfin toute mefure, do »ne lafcène
la plus éclatante, & s en applaudiflant, finit par
direaucardi ai Dubois: à préferu que je vous ai montré
toute mon ame > que nous ne pouvons plus nous
pardonner l’un a l’autre, je vous déclare que vous
çiavei quun moyen de m’empêcher de vous nuire
en toute occafion , c eft de me faire arrêter , f i vous
l'ofer & f i vous croyeç en avoir le pouvoir. Le
cardinal de Bifly voyant le cr.fte fruit de lès foins,
ouvre la porte, prend le maréchal par le bras,
le pouffe dehors ; on eflaye un moment de fe com-
pofer devant les fpeéUteurs, l'altération du maréchaj,
l’embarras de Bifly , la confufîon de Dubois n’échappèrent
à perfonne, & bien-tôt toute la cour
fut inftiuite de la fcène qui venoit de fe pafler.
Dubois de fon côté court chez le régent, & lui
déclare qu'il va quitter les affaires & la cour, fi
le maréchal ne lui eft fa cri fié. Le régent eût pu
méprifer cette menace, mais il fentit qu’en manquant
au cardinal, dépolïtaire de fon autorité, le
maréchal lui avoit manqué à lui-même; il avoic
d’ailleurs beaucoup d’autres fujets d’être mécontent
de Villeroi. Ce gouverneur, par des précautions
injurieufes, affeftoit, en toute occafion, d’accréditer
les bruits qui avoient couru autrefois contre le
duc d'Orléans, fur la mort des enfans de Louis XIV.
Jamais le régent n’approchoit du jeune monarque,
qu’auffi-tôt le gouverneur ne fe mît entre deux.
Il ne vouloit point fouffrir que le régent entretînt,
f u i , le ro i, & fi quelquefois ce prince vouloit
dire un mot à l’oreille de. Louis X V , le gouverneur
avançoic la tête entr’eux, pour entendre. Il ne
diffirmiloit point que ces précautions lui paroiffoient
néceffaires à la fûreté de fon élève ; il e'toit applaudi
& encouragé dans cette conduite par tous
les ennemis du regent. Ce prince la fouffrit long-
tems avec beaucoup de patience, pour le bien de la
paix, mais ayant à venger Dubois, & ne voulant
pas cependant paroître immoler à un tel homme,
une telle viâime, il fe reffouvint de fes propres
Hiftoire, Tome V. \
V I L 1 I I I
injures & s’en procura même à deflfein une nouvelle,
pour avoir occafion d’eclater. Apres fon
travail ordinaire avec le roi, travail où le maréchal
de Villeroi affiftoit toujours, & où 1 évêque de
Fréjus, Fleuri, affiftoit auffi quelquefois, le régent
fupplie le roi de vouloir pafler avec lui dans- un
arrière-cabinet, où il. a quelque chofe de fecret
à lui communiquer. Le gouverneur, comme on
l ’avoit prévu , s’y oppofe. Le roi avoit alors douze
ans & demi; M. le duc d’Orléans infifte, & r:-
préfente, avec politeffe & douceur, à M..de
Villeroi, que le roi approche de fa majorité »
époque où il fera cenfé gouverner par lui-même,
qu’il eft tems de lui rendre compte de chofes
qu'il eft aduellement en état d’entendre , & qui
ne doivent être dites qu’à lui feul. Le maréchal
réplique, avec vivacité , qu’il fait le refpeét qu il
doit à Con alteffe-royale, mais qu’il connp't suffi
les devoirs de fa charge , qu'elle ne lui permet
pas de laiffer parler au roi en particulier ,
fans favoir ce qu’on veut lui dire , encore moins
de le laiffer emmener dans un cabinet hors de la
vue , parce que dans tous les momens il répond de
fa perfonne.
Le régent regardant fixement le maréchal vous
! » vous oubliez, monfieur , lui dit-il, & vous
» oubliez à qui vous parlez, je veux croire que
» vous ne fentez pas la force de vos termes. Le
» refped que j’ai pour fa majefté, m’empêche de
» vous répondre & de pouffer plus loin cette ccn-*
» verfation ». En même tems il fait au roi une
révérence profonde , & fe retire.
Villeroi , quoique parmi fes amis, ennemis du
régent , il fe vantât de la fermeté qu’il avoit
montrée dans cette occafion , avoit été frappé du
ton d’autorité avec lequel ce prince lui avoir parlé ,
il fentit qu il lui devoit des exeufes , & fes amis
furent de cet avis, il alla donc le lendemain 10
août 17 2 2 , chez' M. le régent ; c’étoit où on
l’attendoit, tout étoit prévu, toutes les mefures
étoient prifes, le nouveau gouverneur étoit déjà
choifi. Villerbi demande à parler à M. le régent,
on. lui répond que le prince eft enfermé & qu’il
travaille ; il s’approche de la porte du cabinet,
& veut entrer. L a Fare, capitaine des gardes du
duc d'Orléans, paroît & demande à Villeroi fon
épée , celui-ci s’apprête à faire réfiftance ; il eft
invefti, ferré de près, jette dans une chaife qu’on
ferme fur lu i, emporté rapidement à travers les
jardins de Verfaiiles, placé dans un carrofïe environné
de moufquetaires, qui part à l’inftant, &
le mène , " en peu d’heures, dans fon château de
Villeroi.
Quand le régent annonça au roi, cette nouvelle,
l'enfant royal rougir, fe cacha le vifage , ne proféra
pas une parole , ne voulut ni fortir, ni jouer,
ni prefque manger, pleura beaucoup , & ne dormit
A a a a