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guis de l’Aulne) , avoit reçu de la nature , comme
fon père & comme un frère aîné, préfidcnt à mortier
au parlement de Paris, un avantage qu’elle ne
prodigue pas , celui d’une phyfionomie qui infpiroit
d'abord le refpect & la confiance, & qui frappoit
parce double cmaCtère de beauté que dont-oit d’une
part l’agrément & la régularité des traits j de l’autre ,
l’expremon aimable 6c lenfiblede la vertu. Il pouvoir
avoir pour devife , p u lc k r io r in tu s , ou bien :
’ Gratïor & pulckro veniens in corpore virtus.
Il oit né à Paris le iom ai 1717. Deftiné par fes
parens à l’état eccléfiaftique, il ne prit de cet état
que le recueil'emenc & l’étude qui lemblent devoir
en être l’appansge : il ne borna point fon amour pour
l’étude aux fciences regardées comme propres à l’égiife.
Pe.fonne ne faifit plus promptement & plus utilement
que lui la chaîne qui lie toutes les connoiffanccs humaines
, & ne pouffa plus loin l’ambition de lavoir.
L’énumération de tout ce qu’il apprit & de tout ce
qu’il voulut apprendre , n’auroit point de bornes 5 il
fufüt de dire , qu’isirié aux plus lecrets & aux plus
profonds myftèiesde toutes les fciences, il n’y en eut
qu’une feule fur laquelle il fut obligé de fe contenter
des notions générales, Sc que ce fut dans fa fenfibUité
qu’il trouva un obftacle invincible à des progrès ultérieurs
; cette fcience, c’eft l’anatomie.
Le célèbre Rouelle lui apprit la chimie , & n’a pas
fait de meilleur écolier, ou plutôt cet écolier fut un
grand maître. Aftïonome & obfervateur, il découvrit
une comète dans la conftclUaon d’Orion, en janvier
17605 il en avertit M. l’abbé de la Caille, qui l’obferva
le 8 ce le 16 du même mois.
Que n’a-t-ii pas fait & que n’avoit-i! pas projette
dans tous les genres ? Le fecrétaire de l’académie des
Inicriptions & Be.les-Lettrès, dans Ion éloge, donne
une lille des principaux ouvrages qu’il a ou compofés
entièrement, ou 'bauchés , ou fimplement commencés
, mais dont on a ou des fragmens, ou de fimpies
plans : es plans & ce-, fragmens donnent l'idée des
ccnnoilfinces les plus vaftes & les plus fûtes 5 en
conçoit à peirc qu’-is foient le fruit des loifirs d’un
homme occupé d’objets plus important, & qui n’a pu
être lavant & homme de lettres que par intervalles ,
&, pour ainfi dire par dslaffcment.
Ses connoilfances littéraires étoient auffi variées
8c- suffi étendues que fes notions dans les fciences*
Grand métaphyficien , il a fourni à l’Encyclopédie
l'article E x i f t e n c e } grammairien & philologue , il
a fourni l’article E t ym o lo g i e ; phyficicn, l’article
E x p a n f ib i l i t é ; jurifcoi.fulce & politique, les articles
f o i r e & F o n d a t i o n .
Il avoir traduit de l’hébreu la plus grande partie
du Cantique des Cantiques : du grec , le commencement
de riîiade -, du latin, uav multitude de j
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fragmens de Cicéron , de Céfar, d’Ovide, de Sénèque
, les fept premiers chapitres des Annales de Tacite,
plu fleurs Odes d’Horace en vers françois, une partie
du premier livre des Georgiques avec le commencement
du quatrième , & les Lg ogues de Virgile , le
tout en vers françois métriques, c\ft-à-dire , en
grands vers non rimes, dont les pieds font formés de
lyllabes longues Sc brèves , comme dans la poéfie des
Grecs & des Romains , tentative faite plu fleurs fois
en françois , & à laquelle il faut renoncer peut-être ,
puifque M. Turgot n’a pu y réuflir , & que M. de
Voltaire ne l’a point approuvée.
M. Turgot, outre les langues fnvantes que nous
venons de nommer , lavoit Langlois , l’italien „
l’allemand , l’efpagnol. C’eft à lui que nous devons
la connoiifance des po'fîes Erfes 5 c’eft lui qui a
traduit, d’après M. Macpherfon, les premiers poëmes
d’Ofiîan que nous ayons connus 5 il les a publiés dans
le journal étranger avec des réflexions pleines de
fens , de goût & de favoir lur ht poéfie des peuples
fauvages. II a traduit encore plulieurs morceaux
d’Addition dans Je Speétareur , un volume prefque
entier de l’hiftoire des Stuarts , de D..vid Hume ,
diverfes Diifertations pohtiqnes du même auteur ,
les Corfidérations de Jolias Tucka 5 lur les guerres
entreprifes pour favorifer , étendre , ou aflurcr le
commerce , quelques morceaux de Johnfou , quelques
uns de Shakclpeat, la prière ui iverfelie de Pope,
& le commencement de l’Eifai fur l’homme.
Il a auffi traduit la plus grande partie du premier
chant de la Mcffiade de Klopftock , des morceaux
choiiïs de la mort d’Abel de Geflner * le premier
livre entier de fes idylles , imprimé avec les autres
pièces du même au eur , traduit par M.kHuber ,
& publ ées. avec une préface générale -, qui elt de
M. Turgot, '
Il réfuta le fyftême du doétcur Berkeley , évêque
de Cloyne , fur i’txiiterce des corps 5 celui de M. de
Maupercuis fur les langues, donc ce favanc prétendoit
fou mettre la formation à des procédés géométriques. .
Un Traité de géographie politique , & une fuite !
de dîfcours fur l’hilioire univerieilc, dévoient par
leur union fe prêter un ferours mutuel 5 ii n’en relie
que le plan 8c quelques fragmens.
Ayant perdu fon père en 1751 , il quitta l'habit
ecciéfiiftique 5 fut, en 1752 , lûbftituc de M. le
procureur général, & la même année confei 1er au
parlement, & peu de temps après maîtie des re- >
quêtes. Alors les objets de jurifprudrncc , d admi-
niitr don , d’économie-politique , furent ceux qui
l’occupèrent, linon tout entier , du moins piinci- :
paiement. Il étudia la doétrine de Quefnayôc la
plus rendre amitié l’unit avec M. de Gournay. En
i j f f 6c 1756 , il accompagna ce dernier dans les
tournées qu’il faifoir, en qualité d’intendant du
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commerce dans pinceurs provinces du-royaume. Ses
regrets ont honoré la cendre de cet ami, qui", comme
lui, aimoit le bien public, 6c comme Un'fayoie le
faire. Pour;fe confoler de fa perte, en pratiquant fes
leçons, en luivanc. fes{exemples;5, il voyagea dans la
Suifle, dans le pays de Vaud „ dans l’Alface, ob.fer-
vant en naturalise &' plus encore en homme d’état,
fit des notes 6c des mémoires fur l’agriculture , les
productions, le commerce & les fabriques des lieux
qu’il avoit parcourus..N9mmé,à l’intendance de Limoges
, en 1761 , c’eft ici que commence fa gloire, nous
n’avons vu jufques-làque fes amufemens.il fut aimé,
quoiq u’i ntendant , & cet éloge pourroit ftiffire ,
mais il fut aimé , parce qu’il fut tout ce que dey'oit
être un intendant. Son nom fera béni à jamais dans
çette province qu’il .a entièrement revivifiée , qu’il a
délivrée du fardeau des impofitions arbitraires, du
fardeau de la corvée , autre impofition arbitraire ,
enfin qu’il a enrichie & traversée de plus de cent
cinquante lieues d’excellentes routes dans le pays
Je plus montagneux , avec, la dépenfe la plus modique
& la plus également fupportée.
- On s’attache par fes bienfaits , on aime ceux à
qui 011 a fait du bien , parce qu’on fe fent aimé d'eux.
M. Turgot refufales intendance^ de Rouen , de Lyon
& de Bordeaux , pour continuer de rendre heureux
les Limoflns , ou de les foulager dans les maux Sc
les befoins dont ils furent la proie pendant quelques
années malheureufes, Des travaux de charité, la
culture des pommes de tene , des fecours abondans
fournis par -lui-même fur fa fortune, quand le gouvernement
n’étoit pas en état; ou dans la difpoution
d’en fournir , pourvurent à tout.
Souvent confulté par les miniftres , qui n’étoient
ni a-fez vertueux pour luivre en tout fes:avis , ni
aflez dépourvus de feins pour négliger de les prendre,
.ces mêmes avis étoient toujours des traités approfondis
de chaque matière , delà tant d’exccllens mémoires
fur tant d’objets divers , fur l’adminiftmtion
des mines 6c des carrières, fur les forges. & l’impôt
de la marque du fer , fur l’intérêt de l’argent, fur la
grande & la petite culture , fur le .labour des: boeufs
ou des chevaux , fur la formation & la diftribudon
des richelfes. .
1 93 Tous les fujets de prix propofés par la foçiété
» d’agriculture de Limoges fous la préfîdenée de M.
as Turgot, tendoient à éclairer ou les opérations du
ai gouvernement ou celles du peuple. Il s’agiflbit ou
» d’affigner les effets des impôts inditedrs fur les
a» revenus des biens-fonds , ou d’indiquer la meil-
« leure manière d’eftimer le revenu de ces biens ,
» ou celle de fabriquer les eaux-de-vie, ou de don- i
»3 ner les moyens les plus cfficà'ccs de-dérruire le cha-!
>» rançon & les autres inleéfces nuiflb’es .33,
La confervation 6c l’engrais des beftkux furent
le principal objet de fes foins &- de fes inftniclioùs 5.
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il inti'oduifit dans les plaines , l’ufage des praine*
artificielles en teefle , en luzerne , en fain-foin.
M. Turgot £ut nommé fecrétaire d’état de la marine,
le xo juillet 1774, 6c contrôleur général, le 14 août
fuivant j il remplaçoit dans ce dernier emploi M*
l’abbé Terray , comme il fut remplacé lui-même par
M. de Clugny. Alors M. Turgot fit pour le royaume;
entier ce qu’il avoit fait pour la généralité de Limoges
5 chaque jour fut marqué par quelque nouveau
bienfait du roi envers fes fujets , & ie roi dans tous,
fes' édits prenoit le ton aimable 6c tendre, d’un bon
père, qui aime à expofer à fes enfans 'ce qu’il a
cru devoir faire pour leur bonheur. Le pauvre étoit
fb.ulagé, Le peuple efpéroit tout, le coumfan crai-
gnoit tour.
Un des fyftêmes les plus chers à M. Turgot, étoit
celui de la liberté indéfinie du commerce , contre
lequel la dernière cherté , provoquée par une exportation
imprudente 6c exceffive , femble-avoir dépofé
hautement. Il faut que ce problème de la liberté ,
ou indéfinie ou furveillée 8c modifiée félon les cir-
conftances, foit d’une difficulté infoluble, puifque depuis
tant de fiècles & chez toutes les nations, le plus
grand intérêt poffible , celui de la fubfiftance, n’a pas
pu nous éclairer aflez pour nous fixer à un parti conf-
tant, & que nous avons toujours varié au gré des
événemens , allant 6c revenant fans ceffe de la prohibition
à la liberté 8c de la liberté à la prohibition.
Ajoutons que deuxadminiftrateurs, tels que M. Turgot
i c Mi Nccker, ont été divifés fur cette queftion ,
& ont cru l’un & l’autre avoir pour eux l’évidence.
On ne doutoit point que M- Turgot ne s’em-
preffât de faire triompher fon fyftême favori. Ici
M. Turgot nous paroît mériter un éloge de modération
& de retenue s. qui ne lui à point été aflez
donné. Quoique pleinement perfuadé , quoiqu’aucun
doute n’entrât dans fon ame, il s’arrêta , il attendit ,
il n’établit la liberté que dans l’intérieur du royaume,
l’exportation relia interdite pendant tout fon minif-
Ce n’étoit point par foiblefle qu’il en ufoit ainfi a
jamais miniftre ne déploya un caractère plus ferme ,
c étoit le juftum & tenacem propojiti virum , il al'oit
toujours directement au bien fans être rebuté pat
les obftacles , il faifoit l’honneur aux hommes de
croire que ce qui étoit bon ne pouvoit jamais être ,
du moins efficacement, combattu ; il comptoit fur fa
confcience , fiir la droiture de les intentions,, fur les
fer vices 5 il comptoit fur le roi & ne craisnoit rien.
Il fut defabufé , il apprit à fes dépens & aux nôtres ,
qu'un vieux côunifan a plus de talçns pour perdre us
miniftre utile , qu’un homme d’état pour l e maintenir
en place.
Il faut rendre juftice à la cour, elle
F f f 1
aff.cta
BHIS