4 DISCOURS
Dès-lors l'imagination ne s'arrêta plus; chacun voulut les
douer de quelque qualité surnaturelle, comme autrefois
les Fées douaient les Princes. Les uns assurèrent que, privés
des moyens de se percher et de se reposer à terre, ils se
suspendaient aux arbres avec leurs filets, ainsi que les sapajous
avec leurs queues; selon d'autres, ils dormirent, s'accouplèrent,
pondirent, couvèrent en volant. On imagina sur le dos
du mâle une cavité propre à recevoir les oeufs; ou bien l'on
supposa que la femelle, après les avoir reçus dans son bec,
les emportait sous ses ailes, en s'attachant à son mâle ;
d'autres , ne sachant où ils se retiraient dans le temps de
la ponte, les envoyèrent nicher au Paradis terrestre. Leur
manière de se nourrir ne fut pas moins extraordinaire. Ils
ne mangèrent point; n'ayant nul besoin do digérer ni d'évacuer,
ils n'eurent dans l'abdomen qu'une substance grasse et
moelleuse, et ne vécurent que de rosée. Cependant leur bec
vigoureux et bien fendu paraissait destiné à un emploi trèsdifférent.
Mais de nouveaux Voyageurs découvrirent leur patrie. On
sut qu'ils habitaient sous l'équateurles îles SArou. et la Nouvelle
Quinée, qui ne sont point le Paradis terrestre ; on sut que
leur mutilation était due aux insulaires, qui, les employant
à leur parure , ne les desséchaient qu'après leur avoir écrasé
la tête , alongé le corps, et arraché les entrailles et les cuisses.
On sut enfin que ces oiseaux célestes, ces innocens volatiles,
qui ne vivaient que de rosée, de vapeurs, d'émanations
suaves, étaient tout simplement des oiseaux de proie
fort gloutons, doués de pieds très-solides, dévorant les petits
oiseaux et les gros papillons, et de plus, si avides d'épiceries,
qu'ils ne s'écartent point des contrées où elles croissent, et
ne se rencontrent même pas dans les îles voisines qui en
sont privées. C'est donc bien sans raison que quelques Auteurs
les ont pris pour le PHOENIX. AU dire même des Anciens,
le Phoenix n'habitait que l'Egypte et l'Arabie, tandis que
P R É L I M I N A I R E . 5
ces oiseaux ne s'y montrent jamais. D'ailleurs ; inventé par
les Egyptiens, le Phoenix n'était chez eux que le symbole de
la grande année. Quel rapport pouvait exister entre cet ingénieux
emblème et des contes insensés?
Il résulte de ce que nous venons de dire, que ces oiseaux
ne diffèrent des autres que par l'arrangement singulier de
leurs plumes et leur extrême beauté, et que les noms d'Oiseaux
de Paradis, de Manucodes ou Oiseaux de Dieu,
dérivant de qualités miraculeuses, ne sont dus qu'à l'ignorance
et au charlatanisme.
Ces oiseaux ne sont pas les seuls sur lesquels 011 ait tant
déraisonné, et que des Naturalistes, respectables d'ailleurs,
aient décrits avec des formes et des propriétés non moins
étranges. On eût évité ce ridicule, si l'on s'était persuadé
que la Nature n'a formé aucune espèce monstrueuse j qu'un
accident seul peut produire un monstre ; mais que cet indh idu
ou ne vit pas long-temps, ou est dans l'impuissance de se
perpétuer.
Les moeurs et les habitudes des Oiseaux de Paradis sont
encore bien peu connues. Quelques Voyageurs ont côtoyé seulement
leurs îles, qui, par un contraste bizarre , réunissent les
productions les plus belles et les plus riches, et des habitans
affreux. Ces insulaires Noirs, à cheveux roux, 11e laissent point
pénétrer chez eux : ils se réservent à eux seuls la chasse de ces
oiseaux et le droit de les vendre. On 11c peut donc point animer
leur histoire de ces détails gracieux qui rendent si intéressante
celle de nos oiseaux d'Europe : on ne les observa jamais
dans le temps des amours 3 on ne les vit jamais arrondir de
concert sous le feuillage le léger berceau de leur famille.
L'incubation, les soins maternels, le premier essor, n'ont pas
été plus apperçus. On a seulement appris des habitans d'Arou
que quelques espèces fréquentaient par choix les buissons;