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habiles par les vrais Cinclionas appartiennent, si je puis m’exprimer ainsi, au système Atlantique, à
l’exception des vallées de Beruecos mentionnées par M. de Humboldt, et de celles découvertes par Caldas
entre le Chimborazo et l’Assuay, qui ont leur pente du çôté de l’océan Pacifique.
Mais dans ]e$ faits que je viens de faire connaître, on ne voit l’indication d’aucune loi qui explique le
grand développement en longueur de la région des Ciuchonas et son peu d’extension en largeur. Il faut en
chercher l’explication dans les conditions atmosphériques que paraissent nécessiter ces plantes, et qu’elles
ne peuvent rencontrer qu’à une certaine élévation au-dessus du niveau de la mer, conditions auxquelles
doivent sans doute s’ajouter quelques autres circonstances, peu connues encore, et qui dépendent peut-
être de la masse même de la chaîne. M. de Humboldt a donné a cette partie de l’histoire des Quinquinas
une attention toute spéciale, et dans son tableau célèbre de la Géographie des plantes, il a décoré du nom
de Région des Cinchonas, toute cette portion de l’échelle des végétaux habitée par les arbres à quinquina :
c’est-à-dire une zone qui n’a pas moins de 2,200 mètres d’étendue, commençant à une hauteur de 700
mètres et se terminant à 2,900 mètres. En ne tenant compte cependant que de cette partie des observations
de l’illustre savant qui se rapporte au genre actuel, il résulterait que l’extension moyenne en hauteur
des forêts de Cinchonas dans le voisinage de l’équaleur ne dépasserait pas de beaucoup les limites de
2,000 et 2,500 mètres ; et la moyenne observée par Caldas dans les mêmes lieux ne s’éloigne pas sensiblement
de ces chiffres.
Mes propres observations m’ont démontré, d’autre part, que la hauteur moyenne de la zone, dans les
parties méridionales de la région, éprouve dans ses limites une variation très sensible et qui prouve que
celles-ci subissent une dégradation qui est en rapport avec l’éloignement de l’'équateur. Dans les points
où j ’ai pu avoir sur ce sujet les données les plus certaines, c’est-à-dire vers le 15e degré de latitude sud,
la hauteur moyenne m’a semblé être entre 1,500 et 2,300 mètres. — La plus grande élévation à laquelle
M. de Humboldt aurait rencontré des Cinchonas serait à 2,980 mètres. Caldas, de son côté, en a vu s’élever
aussi haut que 3,270 mètres, et j ’en ai observé une espèce aussi bas que 1,200, c’est-à-dire 700
mètres au-dessous du point où M. de Humboldt place son dernier vrai Cinchona. Or, comme mon chiffre
et celui de Caldas correspondent à peu près aux points extrêmes de la région dans l’hémisphère
sud, on pourrait en déduire que la hauteur moyenne générale de la zone est entre 1,600 et 2,4-00 mètres
environ.
Maintenant on comprendra facilement, et sans qu’il soit nécessaire que j ’entre dans des détails à ce
sujet, que la largeur de la région, qu’il ne faut pas confondre avec sa hauteur, dont il vient d’être question
, on comprendra, dis-je, que sa largeur variera autant que variera la configuration du versant sur le?
quel on l’étudie. Moins les ondulations de celui-ci seront nombreuses et plus il s’abaissera rapidement
vers le niveau des plaines, plus la largeur de la région sera faible ; le contraire s’observera dans les conditions
opposées. Dans la Bolivie, où les forêts de Cinchonas ont une plus grande extension dans le sens
horizontal que partout ailleurs, leur largeur ne m’a paru nulle part dépasser de beaucoup 2 degrés.
Supérieurement la zone des Cinchonas, qui a déjà dépassé les limites extrêmes de la haute végétation
forestière, confine avec la région des Weinmanias, des Escallonias et des Gentianes; et leur port dans ces
lieux élevés participe de celui des végétaux qui l’entourent. Plus bas, au contraire, et vers la partie
moyenne de la zone, non seulement leur stature ne le cède en rien à celle des plus grands arbres des
climats équatoriaux, mais souvent ils s’élèvent au-dessus d’eux et les dominent. Inférieuremenl on voit la
zone se perdre à l’apparition des premiers habitants des plaines.
Citer tous les arbres, toutes les piaules remarquables qui croissent en société avec les Cinchonas, ce
serait donner le catalogue d’une grande partie des productions végétales de l'Amérique occidentale ou, si
l'on veut, d'un climat qui produit à la fois le blé et le maïs, la canne à sucre, le bananier, le cotonnier et
la coca. - Les palmiers se rencontrent dans to ù ê l'étendue de la zone et forment, dans quelques parties,
un d e s éléments principaux de la forêt, embellie, encore, par des Fpugères en arbre, des lianes sans
nombre, de grandes A r o ï d é e s , des Cecropias, un chêne (le Quercus granalensis), des bambous, une variété
inOnie de Mélastomes, deù Laplacea, des Macrommtm, des Lysianthm, des Cilroma, des Condaminm, un
Chtsia, desMyrospermum, des Myrica, etc.', e t c . - L e s forêts, en un mot, où se montre le Quinquina
offrent à l'oeil tout cet ensemble de formes majestueuses, ces couleurs brillantes sous lesquelles on a.
coutume de peindre la nature vierge des tropiques; et j'ajouterai que, sauf l’inégalité du terrain, j ’ai
trouvé beaucoup de ressemblance générale entre les forêts à Ipécacuanha du Matto Grosso etcelles où j ai
étudié les Quinquinas, dans quelques points de la Bolivie et du Pérou.
En résumé, la région habitée par le genre Cinchona actuel occupe en latitude une étendue d'environ
29 degrés. EUe représente un étroit ruban, plus ou moins sinueux, décrivant une vaste courbe qui suit la
direction delà grandecordillière des Andes ( ^ àpartirdu 19" parallèle sud, et correspondant, en général,
à son versant oriental, où elle se maintient à une hauteur qui varie un peu, selon la latitude, mais qui est
contenue entre les limites extrêmes de 1,200 à 3,270 mètres. Le milieu de cette courbe, qui est en même
temps son point le plus occidental, et celui qui est le plus voisin du littoral, est situé vers Loxa, sur le
8 2 'degré de longitude occidentale de Paris; son extrémité inférieure touche.au 62" degré, et son
extrémité supérieure se perd vers lé 70°.
(i) Dans celle prédilection parüculièrc des Cinchonas pour la région des Andes, on peut puiser un nouvel argument en faveur de leur séparation
des autres groupes de la tribu des Cinchonées. Plusieurs autres points de l’Amérique intertropicale présentent en effet, en apparence, toutes les
conditions nécessaires pour que les vrais Quinquinas puissent y prospérer, soit qu’on ait égard à l’élévation du sol au-dessus du niveau de la mer,
soit qu’on ait en vue les autres circonstances que ces plantes, semblent exiger pour se développer. Aucun représentant du genre n'y a cependant été
découvert jusqu’à ce jour. Les Cascarillas, au contraire, si longtemps confondus avec les Cinchonas fébrifuges, n’ont aucune région que l’on puisse
dire leur appartenir en propre; e t on les voit habiter indifféremment dans tous les points de l’Amérique intertropicale, pourvu qu’ils y rencontrent
la température qui leur convient.