HISTOIRE NATURELLE
DES QUINQUINAS.
Établi par Linné, en 1742, sur la description de Y arbre du quinquina de La Condamine, le genre
Cinchona (') ne renferma dans l’origine que deux espèces : celle dont je viens de parler, qui reçut le nom
(') Linné en fit la dédicace, comme on le sa it, h la comtesse de Cbincbon. Le conte dans lequel il en puisa l’idée est devenu populaire, et
quoique son authenticité ne soit pas irès bien prouvée, il est maintenant si intimement lié à l'histoire du quinquina, q u ’il y aurait mauvaise grâce
h le rejeter complètement.— Ce fut en 1638, d it la tradition, que le vice-roi du Pérou, comte de Chinchon, appela du fond de la province de Loxa, au
secours de son épouse malade, un corrégidor qui prétendait connaître un merveilleux remède contre les fièvres intermittentes ; e t la vice-reine, qui
souffrait alors d'un e de ces maladies, d u t un prompt salut au médicament qu'il lui administra. C’était le quinquina, qui commença, dès ce moment,
par les soins et la générosité de la comtesse de Chinchon, à prendre de la publicité. De là le nom de Poudre de la comtesse, sous lequel il a été
connu pendant un temps. — Le savant de Humboldt d i t, au sujet de cette histoire, qu’il ne croit p a s, même en accordant qu'elle soit vraie jusque-
là , que l’on doive admettre que le corrégidor, dont il est question, ait obtenu des Indiens la connaissance de son remède. Les Indiens, d it- il, de
même que les Indous, tiennent à leurs usages avec une telle opiniâtreté, que s’ils eussent eu connaissance d u quinquina avant les Espagnols, ils
l’emploieraient certainement encore; tandis qu’au contraire ils montrent presque partout pour lui une invincible répugnance. Ce n’est guère qu’à
Malacatos, continue-t-il, où il demeure beaucoup de coupeurs d'é corces, que les Indiens commencent à placer quelque conGance dans les vertus
de ce produit. — D'après une vieille tradition ayant cours dans la province de Loxa, e t rapportée par le même auteur, il s’ensuivrait'que ce sont
les jésuites qui en auraient eu les premiers, e t accidentellement, la connaissance, en goûtant, selon l’habitude de ces pay s, les écorces des arbres
qu’ils faisaient abattre. Ils l'auraient employé alors, par analogie avec d’autres amers, dans le traitement des fièvres intermittentes.—Cela peut ê tre ;
mais d'autres au teu rs, e t avec eux Ruiz e t Pavon, semblent croire que les Indiens de Loxa connaissaient l'usage d u quinquina bien avant l’invasion
espagnole. Joseph de Jussieu su rto u t, qui visita Loxa en 1739, place positivement parmi les Indiens d u village d e Malacatos, à quelques lieues au
sud de Loxa, le berceau de la science de ce précieux remède. Voici textuellement la note qu’il je ta su r le papier à ce sujet lors d e son voyage à
Loxa ; elle fait partie de son mémoire sur le quinquina, resté inédit.
« Cerlum est qui prius notitiam virtutis et efficacité hujus arboris habuere, fuisse Indos vici Malacatos. His, cum, ob caliduin simul ac humidum
» e t inconstantiam temperamenti ac indementiam, febribus intermittentibus maxime essent obnoxii, remedium tant importuni morbi quæsivisse
» neccssum fuit ; e t, c um , regna elibus Ingas, fuerunt Indi Botanices periti e t virlutum herbarum indagatores acerrimi, facta variarum plantarum
» experientia, tandem Kinakina corlicem ultimum ac fere unicum intermitlentium febrium speciGcum remedium invenere. Nec alio nomine apud
» illos arbor nota quam ab elfectu. Vocarunt Yara-chucchu, Cava-chucchu. Yara idem est ac arbor; cava idem est ac co rtex; chucchu : horripi-
» latio, frigus, febris horripilalio ; quasi diceres arbor febrium intermittentium. Ayac-cava vocarunt quasi diceres corlicem amaruin. — Forte
>■ fortuna, lum unusex socielate Jesu ite r habucrat per vicum Malacatos, is laborans febri intermittente. Misericordia commotus ludorum d u x ,
» Cacique vocant, cognito R. P. morbo : Sine paululum, inquit, e t ad sanitatem perfeelam te restituant. Ho cd icto , exilit ad montent In dus,
» corlicem dictum attulit e t dccoctum ipsius patri propinavi!. Sanatus e t ad perfeelam sanitatem restilutus Jc su ita , perquisivit quod genus medili
cantenli applicavcral Indus. Cognito cortice, hujus non exiguam quantitalem collexit Je suita, e t , ad patriam red u x , eadem ac in Peruviana
» regione pollere expertes e s t, inde notus primo fuit cortex Pulveris je su ltici nomine ; deinde Pu lv eris ca rd in a litii ; e t , cura simul inter varia
» fruetnum e t resinarunt spccimina, fructus arboris Quinaquina attillerai je su ita , fruclum arboris fugandis febribus intermittentibus existimaruut ;
» noe jesuita contradiccre poterai, cum arborent nec vidcrat nec cognoverat; solummodo corticem attulerat; valeatque Quinaquina in febribus
» fugandis non exigua virtute, Quina-Quina Kina-Kina vocarunt per antonomasiam. Itaque, cum sit Quina-Quina arbor loto genere diversa a corticc
■> Peruviano, u t videbintus, vel scribalur Kina Rina usus reccplum, u t distinguami- a Quina-Quina ; aut, melius, cortex febrifugus ac arbor Maure-
» pasia ut cognoscat posteritas quantum Botanices e t Itela scientia illustrissimo cornili de àlaurcpas debent. »
Enfin l’opinion de La Condantinc sur le même sujet est aussi tout à fait en faveur de la découverte par les Indiens ;— et son assertion a d ’autant
plus de valeur qu'en général les notions qu’il nous a transmises sur la découverte e t l'histoire du quinquina n’ont pas été recueillies seulement
dans des récits o raux, mais puisés dans un précieux manuscrit qu’il rencontra dans le collège des Jésuites de Saint-Paul de Lima, e t qui paraît
avoir été écrit en 1696 : son auteur, don Diego Hcrrcra, pouvant être considéré, par conséquent, comme ayant été témoin oculaire de ce q u ’il
raconte.