
§. II. Tunique intérieure ou chemife.
Dans les écrivains anciens on voit que les Grecs 8c les
Latins, hommes & femmes, portoient plufieurs tuniques
à la fois. Les témoignages font plus rares pour les Grecs j
mais ils ne font pas moins co'ncluans. Plaute peint les
moeurs de ce peuple dans fes comédies ; & dans le Te/fa3
dont la fcène eft à Athènes ( acl. I I I 3fc. i 3 verf. 32) 3
il fait dire à un de fes interlocuteurs3 qu’un efclave, frès d’être fuftigé3 quitte fes tuniques, tunicas ponic.
)ans Jôfephe ( Antiq. jud. lib. 1 7 , cap, 7 ) on voit l’ef-
• çlave d’Antiphile cacher une lettre d’Àcmé à Antidater
entre fes tuniques 5 ca r, dit l’hiftorien, il en portoit deux.
Zofime ( lib. 1 , pag. 64, Oxon. 1679) fe fert des mots
de vêtement intérieur pour défigner la fécondé tunique ,
t$s s ia-xÛTus. Enfin Libanius, parlant de Malchus
(tom. I I , pag. 6 1 1 , 16 2 7 ), que Severus avoit fait dépouiller
pour lui donner la queftion, dit qu’on lui ôta
4on manteau, , fa première tunique 3 rS
rrf dns V»?, & même la troifième , qui étoit de lin ,
TU TflTtt A(»K.
Quant aux femmes grecques , Àrifténète parle expref-
fément de leur tunique intérieure. Un pêcheur raconte,
.dans une de fes épitres {lib: 1 , epift. 7 ) qu’ il vit une
jeune fille très-belle quitter fes habits 8c fa tunique' intérieure,
tov layjATt'i %iTav(<ncov3 pour fe baigner dans la
mer. Je dirai ici par anticipation , que-le diminutif
.%iTMt<ncoç n’eft-pas relatif à la longueur des tuniques ,
mais à leur fineffe ; car on trouve les mots •æo§'^rls 3 def-
cendant jufqu’aux pieds, 8c o-purt^s 3 petit, joints au premier.
Pollux {lib. y 3 cap. 13) parle du cyvajjis 3 qu’il
décrit ainfï : « C ’eft une petite tunique de lin , qui finit
» au milieu de la cuifle, comme le dit Ion..»-J’en ai
trouvé une fur les vafes grecs d’Hamilton ( 2 e. colle ci.
1800, 7, PI. L IX ). On la verra ici au n°. 2 , PI. CX ll.
Il n’eft pas douteux que ce foit la tunique intérieure
( notre chemife ) de la jeune fille qui y eft repréfentée,
puifqu’elîe va fe laver dans un très-grand vafe, fur lequel
■ felle s’ appuie. Zofîme { lib. 4 , pag. 242, Oxon. 1679)
parle d’ un femblable vêtement de femme lorfqu’il dit
qu e « les exa&eurs de Théodofe, après avoir perçu les
» impôts, ehlevoient encore les ornemens des femmes,
.» tous leurs habits, & même celui qui couvre les parties
.» les plus fecrètes. » Mais n’ayant point employé, pour
le défigner, le mot tunique ni fes dérivés,-on ne peut
décrire ce vêtement avec précifion* Peut-être ne faut-il
voir ici qu’ une efpèce de jupe très-courte, telle que
celle du na. 3 , PI. CXII. Pafferî ( P ici tirs. etrufc. 13 Pref.
pag. 63) P a- fait deffmer d’ après une figure de femme
d’un vafe grec , appelé improprement étrufque.
Les Romains, qui, dans leur premier â g e , ne portèrent
qu’un manteau fans tunique, portèrent enfuite
.deux tuniques long-tems avant Yarron , qui fervit fous
Pompée. C e t écrivain {de Vitâ Pop. Rom. lib, 1 3 apud
Nonium,. 1 4 , 36) nous l’apprend 5 8c il ajoute qu’ ils
appelèrent la tunique intérieure fubucula 8c indufium. Jl
paroît que, depuis cette époque, ce vêtement, que j ’ap-
pellerois chemife avec les Modernes , devint d’un ufage
général che.z les Romains 8c les Grecs, au moins parmi
les gens riches. Augufte ( Suetonius) portoit la fubucula
fous fes quatre tuniques. Horace ( 7, epift. 1.,. p y ) parle
de la< fubucula. Tertullien l’appelle interula. Suétone
( Vitell. cap. 2) parle de plufieurs tuniques : Inter togam
tunicafque. Pline-le-Jeune dit que, dans la foule qui en-
touroit le tribunal des- centumvirs ( J F , epift. 1 6 ) , un
Jeune homme ayant.eu. fes tuniques, déchirées, fciftfis
tunicis , demeura pendant fept heures vêtu de la to J
feule , fôlâ velatus togâ.
Le mot camifia3 d’ où a été formé le français chemifeI
fe trouve employé dans ce fens, pour la première fois*
dans Viétôr de Vite (lib'.i 1 ) , qui, décrivant la perféqll
tiori dés Chrétiéns d’ Afrique au cinquième fiècle, ditq J
le miniftre des cruautés au roi Genféric « employa ] !
» nappes des autels à faire des ehemifes 8c des caleçons!
» pour fon ufage. » De pallis aliaris camijtas ftbi &JemM
ralia faciebat. Deux fiècles après, Ifidore de Séville écris!
que.ce vêtement étoit appelé camijîa parce qu’ on le por!
toit dans le lit , in'camis , id eft, in ftrati's rioft'ris.
Cette tuniqüë intérieure, que l’on portoit le jour foui!
la tunique extérieure, 8c que l’ on gardoit feule dans 1{I
lit lorfquë l’on ne couchoit pas nu (comme on le faj!
fouvent dans les pays chauds) , "avoit la forme d’u 115:
tunique fans manches, 8c ne defcendoit qu’au milieu des!
ciiiffes. Pollux le dit en parlant du cupajfts, & on peu!
le conclure des mots w t ISv, xirmlncos 3 8c autres dérivés}
du premier, que les Anciens emploient pour défigner In
chemife. ' *
Le lin étoit la matière dont on la faîfoit ordinaire!
ment : tel étoit le cupaffis. On l’apprend auûi du texte!
de Viêtor de Vite 8c de celui de Libanius, cités plu!
haut.
Aufone j décrivant les occupations de fa-journée dans;
le petit poème intitulé Ephemtris, demande (.in-PamM
bàft.) à fon domeftique, pour fe le v e r , « fa chauffure!
» fon ; habillement de lin , enfin tout ce qui fert à l’hà-1
» biller. » Pzzér eia fitrgt, & calceos , & linteam da findom
nem. D a , quidquid eft 3 amiclui qitod jam pàrafti. Ce poète;
vivoit dans le quatrième fiècle de l’ère vulgaire, & fut
conful l’àn 379. On voit par-fès vers, qu’ alors on portoi!
immédiatement fur la peau, ou un linge-qui entouroi!
les reins Sc ies cuiflès, o u ,.c e qui me paroît plus vrai!
femblable, une tunique de lin. Sans doute on en fit de||
foie lorfqüe le luxe fut porté à l’excès fous les Empe!
reurs-romains. La légéreté 8c la tranfparence de ces!
tuniques intérieures les fit appeler */« vent tijfu , un hallI
aérien, &ç. ( Voye[ l’article de la Soie dans les ObftmI
dons générales qui commencent ce livre.)
§. I I I . Diverfes parties de vêtemens.
Suétone, décrivant les vêtemens d’Augufte, parle!
d’ un plaftron de laine, thorax laneus. Les monumens 11’en
préfentent aucun exemple.
Une figure de bronze, publiée par Caylus ( tom. VIM
PL LXX1 ) , repréfente une femme qui- s’attache -fur l i l
peau une large ceinture, immédiatement fous la gorge!
On la voit ici au n°. 4 , PI. CXIL Martial ( lib. 1 4 !
epigr. 134) l’appelle fa j cia peSloralis.
Fafc'ta crefcentes domina compefce papillas.
Caftula : efpèce de jupe qu’ on, lioit au defliis d>!
nombril, 8c qui defcendoit jufqu’aux pieds j elle ell
décrite ci-apres ,. dans le paragraphe, de la tunique des!
femmes.
S E C T IO N II.
Tunique.
§. I*r. De l'a tunique en général, & de fes noms divers. ■
La ...tunique étoit le vêtement que l’on portoit le pWJH
fouvent fur la peau, 8c fous le manteau. Dans ce fe*lSB
JL étoit le vêtement intérieur, relativement au manteau
; mais elle dut être appelée vêtement exteneur lorf-
portoit uneTeconde tunique intérieure, celle qui
I appelée, aujourd’h u i ^ ^ . ; ..... -,
ÏLa tunique étoit commune aux deux fexes , de meme
» e le manteau : l’un 8c l’autre ne différoient point pour
;||aqUe fexe par la forme : les proportions feules , 8c
quelquefois la matière', étoient differentes.
^ E a tunique eft défignée dans les écrits des Grecs par
plufieurs noms. x,T«Veft le nom commun aux tuniques
des deux fexes 8c à la chemife, comme on peut le prou-
vèr par cent palfages, quoique Siiidas l’appelle un habilement
d’homme, 8c buftathe {in S Iliad.pag. 1166)
un habillement de femme. Le dernier dit au même endroit,
que le mot %iTavi<ncâfioy défignoit une tunique
courte, 8c que les mots ^tranov ftc %iTa>ïct?iov dél|gnoient
proprement la tunique des femmes. Cependant on voit
lé dernier mot défigner le manteau des philofôphes
ÛAnihol. lib. 3 , cap. 52 , n°. 2 ) , 8c Lucien ( Meretric..
XIV, tom. Hé) dit en parlant d’un pilote : « Sa tunique
»Tétoit petite, me defcendoit que jufqu’ aux cuiffes 5 » il
l’appelleyjrânov. Zofime {lib. y , pag. 341, Oxon. 1679)
fé fert au3i du même mot pour'défigner la tunique de
î’impereur Honorius : d’où il faut conclure qu’ on ne
dloif pas trop refferrer l’acception-de ces mots.
^■ On- dira la même chofe de xtTml<ncos. Il eft employé
pour défigner la tunique des hommes par Ariftide (Szzcr.
âe/mon. 1 3 pag. 274, & U , pug. 3C§ ô v . )-, par Dion
GaiTius {lib. 7 7 , cap. 4 , de Cilone) 3 par Appien {Bell,
civil, lib. 4 , pag. 97 6 T o llii, 6* Bell, furiic. pag. 66 3
ri?. 41 ) , par Plutarque { Apopk. C&cilii Metelh, 6? in
Marcello , Briani, II , pag. 2 6 7 , & in Alexandra, IV ,
pag. 8, Ùc. &c. ). Ammonius (de Differentiis vocum ) dit
ajiiïi que eft la tunique des femmes, comme
’girancx.os eft celle dés hommes j mais Arifténète (lib. 1,
epift. 7 ) appelle une tunique de femme xtrario-xos, dè
■ même qu’Alciphron en parlant de celle de Phryné. Ainfî
@ mot é to it, comme commun aux-deux fexes.
ha forme des deux vêtemens étoit au (fi la même j car on
y{oit quelquefois %traivl<rx.os defçendre jufqu’aux pieds, 8c
^oir des manches prolongées jufqu’ au poignet ( Athen.
Deipnofopk. lib.. 12 , câp. 1 2 , & Dionyf. PLalicani. lib. 7 ,
cbp. 9). Dans le paffage de ce dernier écrivain, un tyran
de Cymes, voulant ren'dre efféminés les jeunes hommes
de fa ville, les fait revêtir de tuniques traînantes de
diverfes couleurs, 8c de manteaux légers 8c moëleux.
|e trouve donc dans la fineffe de la matière, 8c dans celle
du tiffu, le caractère qui diftingue ordinairement la tunique
appelée %irml(rx.as5 ce qui fe prouve d’ ailleurs par la
qu dite 8c les moeurs des perfonnes auxquelles s’appliquent
les pafîagës cités.
B | l - e mot tfcàmov, qui défigne en général un vêtement,
% en particulier un manteau, eft quelquefois employé
Pour défigner la tunique; Polyen ( Strat. V I I I , cap. 66)
<|t que les-habitans de C hios, preffés par les Érythréens,
«engagèrent par ferment à fe retirer, fcUi tx.ct&«s
ty-t <uciTi<ni txovl iv , avec une feule chUna 8c une tunique.
|eurs femmes, honteufes de les voir défarmés, leur
confuilèrent de garder leurs armes malgré les fermens,
oc de dire que leur ufage étoit d’ appeler le javei
p j & le bouclier.. On voit évidemment que
f°iyen appelle ici la tunique tfcàriev.
§• IL Tunique des hommes.
j a | Les Lacédémoniens, chez les Grecs, ne portoient pas
ordinairemént de tunique fous le manteau. Les phifofo-
phes cyniques les imitèrent Dans les premiers fiècles
de la République, les Romains portèrent auffi la toge
fans tunique, 8c les candidats coniervèrent long-tems cet
ufage. •
La tunique étoit ordinairement compofée de deux
pièces , coupées fous la .forme de carré ou de carré
long : l’une couvroit la poitrine 8c le ventre j 1 autre, les
épaules Sc le dos. Elles fe réuniffoient fur les épa .les par
des coutures ou par des agraffes : quelquefois elles n’ a-
voient pas d’autres points de réunion. Pafferî en donne
deux modèles, tirés des vafes grecs du Vatican ( P/dura
Etrufc. tom. I , pag. 63 ). Le premier, repréfenté ici fous
le n°. 5 , PL C X I I , eft formé de pièces carrées. Le
fécond , n9. 4 , Pl. C X I I , eft formé de pièces coupées
en carré long. Cette forme de tunique étoit la plus Ample.
On la retrouve, mais rétrécie, dans le fcapulaire
des.moines, qu’ ils plaçoient fur la tunique ordinaire
pour la conferver lorfqu’ ils'alloient au travail.
Dans la tunique de la fécondé forme, les deux pièces
étoient.réunies fur les épaules, comme dans la première j
mais de plus elles étoient réunies depuis les ouvertures
par lefquellés paffoient les bras, jufqu’au bas de la tunique.
Pafferî ( ibidem ) nous en fournit deux modèles,
tirés des vafes grecs. On les voit ici fous les n°4. 1 6* 2 ,
Pl. C X I I l. La ceinture qui les lie , en diminue la longueur
à l’oeil 5 mais il eft facile d’évaluer cet effet.
Les tuniques que j’ ai décrites étoient cou rte s, étroite
s , 8c laiffoient découverts lès bras 8c une partie des
épaulés : d’où leur vint , félon Aülu-Gelle (lib. 7 ,
cap. 12 ) , le nom i\upàc chez les Grecs, exomis chez les
Latins . Elles furent le vêtement du peuple 8c des efclaves
en G rè ce , 8c à Rome après que les Romains eurent
adopté l ’ufage de la tunique ; mais dès les troifième &
quatrième fiècles de la République, les Romains donnèrent
plus d’ampleur à la tunique : de là vint qu’elle
couvrit les épaules 8c la moitié du bras. La ceinture qui
refferroit la tunique donnoit aux prolongemens du haut
une apparence de manches, quoiqu'il n’ y'en eût réellement
aucune. On trouve ici pour modèle la figure du
n°. 3 3 P l. C X I I l; elle a été publiée par-Gori ( M uf
etrufc. tom. £, tab. p § , n°. i ). On ajouta par la fuite de
véritables manches, mais fi courtes, qu’elles n’attei-
gnoient pas- le coude, 8c la tunique fut alors appelée
J’ai dit plus haut que la tunique étoit ordinairement
compofée de deux pièces réunies par deux coutures}
mais elle pouvoit être compofée d’une feule pièce pliée-
en deux , 8c réunie par une feule couture. Alors on perçoit
l’ ouverture du bras gauche dans le pli de l’étoffe,.
8c on ré fer voit celle dû bras droit dans la couture dir
côté droit. On trouveroit peut-être dans cette contexture
de la tunique l’explication de paffages très-difficiles
des'lexicographes grecs. La tunique, <xftq>tftù<rx*\oç, avoit
deux aiffelles-, deux ailes ( Vjt^«v, fceer^âAg ) ou deux:
prolongemens fur les bras. Le fcholiafte d’Ariftophane-
( Equit. acl. I I , fc. 4 3 verf. 47.) dit que c’ étoit l'habil--
lement des gens libres. En effet, ces prolongemens
étoient produits par l’ampleur du vêtement. Les lexicographes
oppôfent à cette ample tunique =« la petite tu-
» nique des efclaves, garnie d’ une feule aile , dit Suidas
- » ( voce 'Afttf>ifcec<r%uXosf3 ou dont on coufoit une aile. »
Pollux ( IV , fegm. 118 ) dit auffi que l ‘exomis n’avoit
point de couture fur le côté gauche. .
Dans les textes' relatifs à Y exomis 3 on lit les mots : &
, une aile ou à deux ailes , 8c non celui de tunigue garnie