
LIV R E II.
C O S T U M E S C i r i L S .
O b s e r v â t i o N s générales fur les Coflumes civils-.
L e s peuples anciens dont l’Hiftoîre nous a confervé
le fou venir, même ceux du Nord, étoient fortis, au
moins en partie , de F état fauvage à F époque où ils y
qccupent une place : cfeft pourquoi je puis dire de tous,
qu'ils étoient vêtus. Nous liions, en effet, dans le plus
ancien des hiftoriens, dans Hérodote ( lïb. i , pag. 6 3
Wejfeling. ) , qu e , « chez les Lydiens 8c prefque chez
» tous les autres Barbares, c ’eft une grande honte que
»> de paroître nu. »
C e fera donc def lamatière, du nombre & de là forme
des vêtemens que je traiterai dans- ce t ouvrage. Ce livre
fécond de la fécondé partie préfentera chaque vêtement
ilblé, & la troifiènae- partie préfentera les figures antiques
revêtues de ces. mêmes habillemehs > de forte que.
io n . trouvera ic i , par exemple, la forme, la coupe
d une .toge,. & que F on- en verra le'jeu-fur des figures
romaines dans la troilième partie. Je le répète : quoique
diftin&es pour l’ordre, ces deux parties font inféparables
pour Fétude.
La divifion de ce livre en chapitres aura pour bafe les
variétés que F on trouve dans lès différentes parties de
I habillement. Les vêtemens du tronc ou du torfe ( pour
parler la langue des artiftes ) , préfèntant lé plus grand
nombre de variétés , feront décrits dans le premier chapitre.
Les chauflûres ayant moins varié ,-feront décrites
dans le fécond. Les coiffures, les cheveux 8c la barbe,
qui prélèntent le plus petit nombre de variétés, feront
le fujet du troilième chapitre. Enfin, dans le quatrième,
jq décrirai, -les ornemens divers dont les Anciens ont
formé leur parure.Chacun de ces chapitres traitera en
particulier des- objets qui appartiennent aux hommes,
aux femmes , aux enfansy & aux Rois ou chefs des
nations.
N°. I. Matières employées par les Anciens pour
leurs, vêtemens.
§. Ier. Corps organises, animaux.
Peaux. Plufieurs peuples eonlèrvèrent les vêtemens
de peaux d’ animaux, qui leur avoient fervi de premier
habillemeut. Sans parler des dépouilles d’animaux féroces
, dont lès chaneurs aimoient à fe parer, les Sardes;
portoient encore, du tems de Cicéron, la mafirucca.
lfidore ( lib. 19 , cap. 3 ), nous apprend que ce vêtement
étoit fait de peaux d’ animaux fauvages ( ferarum ) , &
que les Germains ou. peuples du Nord s’en fervoient
aulfi ; ce que Prudence ( in Symmach. 1 , 698 ) avoit
déjà dit. On verra dans la troilième partie un Scythe à
cheval, portant ce vêtement. La fifyra1 fifura & Jifurna
étoit un manteau du même genre (Mcfychius) | fait de
peaux de chèvre garnies de poils. Julien ( Amm.. Marcell. ;
16 y j ) ne Te fervoit, pour dormir, que d’un tapis &
d’une fyyra. Pollux dit que les Scythes en faifoient ufage}
il dit aulfi ( lïb. 10 , fegm. 186 ) qu’ il y en avoit de peaux
de lion» Ammonius (de Differ. vocum) diftingue la fifyra
de la fifyrma, & dit que celle-ci étoit faite avec des
flocons de laine réunis par des coutures, probablement
comme nos étoffes peluchées-. La <h<p6iç» étoit aulfi un
vêtement de peau ou plutôt de cu ir , c’eft-à-dire, de
peau- corroyée. On peut le conclure de ce que ce mot
défigne des peaux fur lefquelles on pouvoit écrire,
avec lefquelles on faifoit des tentes, des voiles dè vaif-
feaux, &c. C ’étoit le vêtement ordinaire des- habitans
des campagnes» P'aufanias (Arcadie, cap. 1 , pag.^ 599'
Kuhnii )■ dit- que, dans la Phocide 8c dans les environs
de File d’Eubée, les pauvres portoient encore des tuniques
de peaux de porc , dont on attribuoit l'invention
au roi Pélafgus.
Ce n’étoit pas feulement de la peau des quadrupèdes
ter-reftrés que l’ on fit dès vêtemens. On v it attfli des
peuples pêcheurs , les ichthyophages des bords de l’A-
raxe, fe revêtir de celle des poiffons 8c des cétacées,
des veaux marins, des phoques, & c . (Herodot. lib. 1,
pag. 202', & Strab. X I 3 p a g .'f il , 1620).
Po ils. Les Cificiens' fabriquoient avec des poils de
chèvres 8c de boucs, des étoffes auxquelles on donna le
nom de cilice, & qui fervoient à faire des vêtemens
groffiers, ufités dans l’Orient, des tentes 8c des voiles
de vaiflèaux.
Les poils de chameaux furent aulfi employés dans
l’Orient,' comme ils le font encore, à faire aes tiffus1
que F on a appelés, dans le Bas-Empire, camèlots, à
l’époque où ils n’étoient éncore fabriqués qu’ avec ces
poils. Elién (lib. 1 7 , cap. 34) dit que lés habitans de
la mer Cafpienne avoient une- efpèee de chameau dont
le poil étoit aulfi doux que la laine des brebis de Milet,
8c que les prêtres 8c les grands en cômpofoient leurs
vêtemens. Probablement que les Grecs étoient trompés
fur cet ob jet, comme le leroient aujourd’hui-ceux qui
ignorent que l’ on donne, dans le commerce du Levant,
- le nom àe poil de chameau à celui d’un bouc très-commun
en Perfe.
La in e . De tous les poils des animaux qui fervirent à
faire des vêtemens, la laine fut le plus généralement
employée. Tous les peuples connus fe font habillés de
draps, qu’ils ont coupés & teints chacun félon fon goût
ou fes befoins. Les laines qui étoient le plus recherchées
à caufe de leur finefîè ou de leur blancheur, étoient
apportées de la Galatie ( Angora ou Angoury eft l’antique
Ancyre, capitale de cette contrée ), de Milet, de
l’Attique , de la Pouille, de. Tarente & des bords du
Galæfus qui fe jette dans Ion. golfe,.d es Gaules,.de la
Bétique 8c de F Afrique..
Le eeutre » étoffe de laine foulée „ 8c durcie par le
ou par l'acide acéteux. Pline ( h i . 8 , cap 48)
U L apprend que les Anciens favoient préparer le feutre
io u r en fa ir e des vêtemens & des meubles; qti ils em-
Slovoient pour le feiirage a lame courte ; qu ils 1 imbi-
,L ie n t de vinaigre. & qu'alors le feutre etoit très-dur ;
• ou’il réfiffoit même aux coups depee. Cefar (bell. civil.
Mib - cap. 44) parle de manteaux de feutre, ex Jub-
Ëtoattis avec lefqiièls les foldats fe garantiffbient des
iraits • il-les place auprès des manteaux de cuir & d’autre
fubftance plus dure que les étoffes ordinaires. Les Ta-
Rares portent des manteaux de feutre, & forment leurs
Rentes avec ' des couvertures de feutre, qui font impé-
%étrahies à l’eau» Les Romains appeloient les étoffes
|de feutre, coaëtiliay les manufactures de feutre, taberns.
McoaaUiaru (Capitol. Per tin. 3 ) , & les ouvriers de ces
manufactures, coaftiliarii. Les mots xizas, vitoros &
%ciZovoloS avoient, chèz lés Grecs , les mêmes fignifica-
tionsj mais Waos pileus n’ont-ils jamais défigné que
f ie s bonnets de feutre , comme Fa penfé Cafaubon
•( Exerc. ad Annal, Baron. X V I , 84 ) ? C’ elt ce dont on
ie iit douter, quoiqu’ ils aient eu très-fouvent cette lignification.
Àgatarchide ( Photius , pag,t 13 3 3 ) raconté
qu’un Ptolémée , faifant la' guerre aux Ethiopiens, prit à
ifa folde cinq cents cavaliers grecs, & qu’ il donna à cent
Id’entr’eux qui devoiènt former la première ligne , Far-
viïiure extraordinaire que voici : il revêtit les .hommes
■ file longues fioles de feutre , & il couvrit les chevaux de
jlpareilles étoffes, que les Égyptiens appeloient ou
r :*«5rK-«s j de forte que, le corps entier étoit caché, a
l’exception dés yeux.
f i Étoffes de T arente. La tranfparence & la finéffe
:ides tiffus fabriqués à Tarente les ont rendus célèbres dans
'l’antiquité, &: on vendoit ces tiffus à grand prix. Leur
fiineffe étoit due aux belles laines du pays leur tranf-
■ iiparence venoit de la manière de les fabriquer, ü n en
■ prendra une idée en voyant les crêpes d'Angleterre,.
;maits avec de la laine liffe ou frifée 5 mais il faut les dif-
. itinguer des crêpes ordinaires de foie, &,de la g aze, qui
. ih’eft faite qu’avec la foie. Cette grande .tranfparence eft
ïbtteftée par plufieurs écrivains « Thelxinoë, dit Arifte-
: » nète ( lib. 1 , epifi.. 2 f ) , étoit vêtue d’ un tiflu de Ta-
« rente, qui, par fa tranfparence, laiffoit briller toute
WÊ1- la beauté dé cette femme. « Cléarque, cité par Athé-
■ née (lib. 12, cap. y , pag, f i l ) , décrit le luxe des Ta-
1 ; rentins : « Ils portoient des vêtemens ornés de bordures
33 & tranfparens, femblables à ceux des femmes. » Suidas
. flous apprend que ces bordures étoient faites de pour-
pre, c’eft-à-dire, de laine teinte en pourpre & dffue
■ avec l’étoffe, ou brochée fur l ’étoffe (pour me fervir du
.«langage des manufacturiers ) j il dit que la tareniine étoit
un habillement lég er, tranfparent-, tilfu de pourpre en
. [partie, & non dans fon entier. On en faifoit aufti des
^diadèmes pour les Reines, comme on le voit dans le
..|mêrne article du lexicographe.
B L’île de Malte fut aufti célèbre par la finelfe des tiffus
« q u elle fabriquoit} ils étoient probablement faits de di-
' verfes fubftances : de coton , comme on le verra plus
;* b a s , & de laine, comme on lit dans Silius Italicus
I - (luK. 14, verf 2.y-o)l,.:
\ f.t » . . . . . . 1 » . fclaque fupcrba.
Zanigera Melite. . . . . . . . .
L ^0lE* Jufqu’au fixième fiècle de l’ère vulgaire, les
européens ignorèrent l’origine de la foie. Alors feulement
ils virent Finfeéte qui la produit. Avant cette épo-
p ue-» ^es Aflÿriens fournirent a l’Europe les-étoffes de
foie qu’ils fabriquoient, 8c dont ils tiroient .une partie du
pays des Sères. Depuis les conquêtes d’Alexandre, il
s’ établit dans l’île de C o s (aujourd’hui Lango) une fabrique
de tiffus de foie , que les Grecs 8c les Romains,
corrompus par le luxe, payoient au poids de For. C ’ é-
toient des efpèces de gaze ou des tiffus légers 8c tranfparens.
On ne fabriquoit pas feulement des étoffes de
foie pure (holofericum) , mais on en formoir des tiffus,
dont la chaîne 8c la trame étoient, l’ une de fo ie , 8cr
l’autre de coton ( fubfericum) , afin de pouvoir les vendre
à un prix moins élevé. Le luxe fut exceflîf fous les premiers
Empereurs romains ; cependant les femmes feules
purent fe vêtir d’étoffes de foie pure. Les hommes ne
portoient que des étoffes de foie mélangée. Elagabsle ,
fameux par tous les excès, porta le premier des tiffus de
foie pure , difant que les habillemens des Grecs & des
Romains étoient méprifables, parce qu’ ils étoient faits
avec une matière v ile , avec la laine (Herodian. lib. y ,
cap. i i ) :aufli ne s’habilloit-il que d’étoffes tiffues par
les Syriens, c’eft-à-dire, de toiles de coton & d’étoffes
de foie. Un demi-fiècle après, Aurélien (Vopife. cap. 45)
refufa à fon époufe la permiflion qu’elle foîlicitoit de fe
fervir feulement d’un manteau de foie pure, teinte en
pourpre, parce que la foie fe vendoit encore au poids
de For. Au cinquième fiècle, Paulin, évêque de Noie
( de laude Sanctorum ) , lôuoit les femmes chrétiennes de
Rouen dans les Gauies, de ce qu’elles ne faifoient ufage
ni de pourpre ni de foie. A la même époque , Alaric ,
aflîégeant Rome, demande (Zojim. lib. y ) pour contribution
aux malheureux habitans de lui livrer, entr’ autres
objets, quatre mille tuniques de foie. Enfin , les oeufs
de vers a foie , apportés au fixième fiècle à Juftinien,
fervirent à établir des fabriques de foie à Athènes, à.
Thèbes & à Corinthe, jufqu’à ce'qu’en 1130, R o g e r ,
roi de Sicile, en établit une à Palerme, qui fervit à former
toutes les autrès fabriques de l’Occident.
ce On fabrique encore, dans la partie méridionale de
la Macédoine, des chemifes de loié qui prélèntent le
réfeau le plus fin, le plus uni, le plus régulier, & qui
o n t , outre cela , un moëleux 8c une fouplefle qu’ on ne
trouve pas dans nos toiles européennes. Les Anciens
défignoient ces ouvrages délicats par les expreflions
figurées de vent tijfa y à'habit aérien y 8cc. Les femmes
paroiffent nues fous ces chemifes de foie , qui drapent
merveilleufement le nu. Salonique en exporte annuellement
dix mille >. elles fe vendent chacune de huit à dix
piaftres ( de 42 à 54 francs), & on les recherche beau-
’ coup dans toutes les villes dè la Turquie. Les plus fines
paflent à Conftantinople, où elles, fervent à la parure
des femmes du férail 8c à celle .des Princelfes grecques.
(Félix Beaujour, Commerce delà Grèce.) »»
La PINNE-MARINE, coquillage bivalve, fourniffoit
aux Anciens un'duvet très-fin, avec lequel on fabriquoit
des étoffes légères 8c très-chères. Le mbllufque , habitant
de cette coquille, fe fert de ce duvet, que l’on &
défigné quelquefois fous le nom de byjfus, pour s’ attacher
aux.rochers ou au fond de la mer. On en fait encore
à Tarente des gants 8c des bas fins 8c très-chauds. Les.
tiffus de ce duvet étoient probablement compris fous la
dénomination de tarentins vep.es, avec ceux de la belle
laine de Tarente. \ ^ .
Le poil de c a s to r a été employé par les Anciens,
pour faire des tiffus légers 8c chauds. Samt Ambroife ( at
Dignit. Sacerdotii) dit : « Nous recherchons les étoffes
» de caftor 8c de foie ; 8c celui-là fe croit le plus dif-
tingué entre les évêques, qui porte les vêtemens les