
CHAPITRE IV. -
S E C T I O N P R E M I È R E .
Enfeignes militaires.
D io > D o R .b de Sicile nous apprend que les chefs, des,
Egyptiens portoient au bout d’une lance dès figures
d’ animaux , pour conduire & rallier leurs foldats. Il
ajoute que cétte invention ayant fait obtenir des victoires
j & que le peuple s’en croyant redevable à ces
animaux, leur rendit un culte.
Homère ne parle point d’ enfeignes- Il dit feulement
qu’Agamemnon ,. ne pouvant fe faire entendre,, prit un
morceau d’étoffe pourpre, & l’éleva pour rallier les
Grecs qui fuyoient ver.s leurs v.aifleaux. On croit cependant
qu e , dans lës tems héroïques, un bouclier, un
cafque ou une cuiràffe fixée au haut d’une lance férv.oit
d’en feigne militaire. Dans les tems poftérieurs, les. Grecs
firent ufàge d’enfeignes ornées, de fymbole,. Minerve ,
fa chouette & l’olivier brillèrent fur celles des. Athéniens
j un cheval a ilé , Pégafe , fur celles de Corinthe j
la lettre m fur celles des Mefféniens.j. le A fur celles des
Lacédémoniens, & ainfî des autres lettres initiales des
p‘6ms. "
Les Romains n’eurent d’ abord'pour enfeignes qu’une
poignee de foin ou d’herbe ( manipulus) attachée au
bout d’ une perche. De là vint le nom de manipule, donné
aux petits corps qui compofoient la légion. Ovide ( Faft.
}11 j verf. 1 14 ) le dit exprefiement :
Pertica fufpenfos portabatlonga maniplos :
Unie maniplaris domina miles habet.
La légion devenant plus nombreufe, on la divifa en
cohortes, dont les manipules firent partie. Il fallut alors
multiplier les enfeignes. Afin-de les diverfifier, on prit
pour fymboles des animaux & des êtres fantaftiques ;
aigles, fangîiers, chevaux, louv es, minotaures , &c.
Mais Marius, étant conful pour la fécondé fois (649 de
R om e ) , conferva, dit Pline (lib. ï o , cap. 4 ) , l’aigle
feul pour enfeigne de la légion entière ; les autres fymboles
furent affeêtés aux manipules & aux cohortes.
On peut dire en général, d’après Servius ( in 8 ,
Æneidos ) , que les enfeignes dè l’infanterie étoient
rouges , & celles de la cavalerie bleues > celîè du conful
étoit blanche.
Il n'y avoit qu’une aigle pour chaque légion. Le premier
centurion de la légioh étoit chargé de »veiller a fa
garde, & celui qui la pçrtoit étoit défigné par le nom
tfaquilifer. L’aigle étoit d'or ou d’argent, de la groffeur
d’un petit pigeon : aufli vit-on ( Ftorus., 4 , 1 2 , 38 ) , à la
défaite de Varus, un porte-enfeigne s’ enfoncer dans un
pa ra is, tenant l’aigle cachée fous fon baudrier : Inirh
bqlthei fui latebras. Cette aigle étoit éployée ou pofée
fur un foudre , &c. & placée au haut d’une pique.
Au deflbus de l’aigle on attachoit différens ornemens
<3e métal, tels que de grands médaillons, des buftes des
Empereurs, des récomperçlès militaires 8c d’autres lignes
de djftinétion. De là: vint que celui qui la portoit, devoit
être, t rè s -fo r t. Caracalla, affedant de vivre avec les
foldats comme avec fes égaux, portoit quelquefois les
pefantes enfeignes. (Herodian. lib. 4, cap. 12. ); Un crochet
fixé près, de la pointe inférieure de l’aigle fervoit à
la porter. 5. c a r ,. en. voyage même , les porte-enfeignes
en étoient charges. Suetone ( cap. 43 ) fait obferver que
Càligula , marchant contre les Germains, alloit avec tant
de rapidité, que. les cohortes prétoriennes furent obligées
de. charger, contre l’ufage , contra, morem , les en-
fe.ignes fur des bêtes de fo.mme. Les images des Empereurs
étant attachées aux aigles, on rendoit un culte à
celles-ci : on les parfumoit, on les couronnoit de fleurs,
& l’ on faifoit des libations en leur honneur.
A l’aigle, ainfî qu’au bouclier de chaque légion, étoit
fans, doute attache le fymbole qui faifoit diftinguer ce
corps militaire 5 le foudre pour l.a légion fulminatrix 8c
pour la jovienne $ la mafiue pour l’herculéenne, &c,
Claudien (de Bello gildonico , verf., 4,18.) :
Herculeam fuus Alcides, joviamque co'hortem
Rex ducit fuperûm,..........
Nervius infequitur , meritufque vo'çabula felix ,
Diclaque ab Augüfto legio , nomenque probantes
lnvïcii , ciypeoque animofi ceße leones.
La cohorte , qui étoit la dixième partie de la légion ,
avoit une enfeigne; Une enfeigne particulière diftinguoit
aufii chaque manipule, dont trois formoient la cohorte.
Mais on ignore la différence qui exiftoit entre ces deux
enfeignes. Peut-être les manipules confervèrent-ils les
représentations d’animaux & d’êtres fantaftiques 5 telles
que l’ on en verra dans ce chapitre. C e feroit alors aux
cohortes que 1 on attribueroit çes enfeignes furchargées
d’ornemens, qui font répétées fur les colonnes trajane
& prétendue antoninè.
Ces ornemens étoient analogues a des faits glorieux
pour la cohorte, ou à des événemens particuliers à la
légion, entière. On y remarque des couronnes ; de très-
petits boucliers ou médaillons préfentant les portraits
des Empereurs ; des crénaux, des tours, des becs de
navires ,. trophées des villes & des vaiffeaux pris ou détruits
, &c. Celui des ornemens qui frappe le plus eft
une main droite, qui a tous les doigts étendus. C’ étoit
un fymbole de la concorde qui régnoit entre - divers
çorps militaires. Tacite (Hiß. lib. 2 , cap. 8) dit du faux
Néron I Centurionemfifeûnam , déferas, concordia infignia,
Syriaci exercitus nomine ad pr&torianos ferentem, variis
drtibus aggrejfus eft..... C ’étoit aufli un témoignage du
dévouement des troupes à leurs chefs ; dévouement
qu’elles annonçoient ordinairement au chef qui les avoit
haranguées en élevant la main droite ouverte.
Cn fupprimoit çes ornepaens dans les deuils
seconde partie. 5 9
hmM$ publiques. C e ft du moins ce quex firent les
[ jLjo.is à la mort de Germanie us. (Taciius, Annal, lib. 1 ,
[ ^Daiw le quatrième fièc le, oà écrivoit V égèce ( lib. 3,
; cav O , les enfeignes étoient, i° . les aigles > 20. les
dragons ; 30. les vexilla 5 40. les flammes roufles ou d un
blond foncé , flammuU ruf* , g g les pinna.
yai décrit les aigles. Je ne parlerai des dragons qu a j ia fin. Les vexilla étoient généralement les enfeignes.
de la cavalerie, & particuliérement celles de la cavalerie
auxiliaire , qui en prit le nom de vexïllado. Vexillum
‘ déli^na aufli quelquefois, mais rarement, les enfeignes
I de infanterie. Végèce (lib. 2, cap. 1 ) dit exprefiement
i que ia cavalerie, dont étoient formées les ailes de la
légion, prit le nom vexülatio, de l’étoffe q u i, découpée I enflammes g lui fervoit d’enfeigne. Equitum aU dicuntur.....
( que nunc vexillationes vocantur à vélo , quia velis,■ hoc eft,
K \anvnulis utuntur. Ailleurs il dit que ces flammes étoient
I roufles ou d’un blond foncé : ftammuls. ruf a. Une pique,
I traverfée vers la naiflance du fer par une baguette ,
I portoit la draperie carrée qui fôrmoit le vexillum. Sur
i cette draperie étpient peints ou brodés le nom & le
I fymbole de la légion , le n°. de la cohorte ou du mani- I pule A&c.
1 On donnoit probablement au vexillum le nom de flam-
I mula, flamme, lorfque la draperie étoit beaucoup plus
I étroite que longue. Le bas de la draperie etoit peut-etre
l découpe en une ou en plufieurs pointes, pour lui donner
L quelque reffemblance avec les flammes véritables.
I Le labarum, devenu célèbre depuis que Gonftantin y
I eut inferit le monogramme du Chrift, n’ avoir pas une
1 forme nouvelle. C’étoit le vexillum des troupes romaines ;
{ car Tertullien, qui écrivoit avant Conftantin, dit ( Apo-
Ë loget. cap. 1 6 ) , en parlant, de la pique 8c d e là traverfe
|. des vexilla , qui formoient une croix : Siphara ilia vexil-
Les pinn&3 que Végèce compte au nombre des enfeî-
gnes, étoient peut-être des aigrettes de plumes de
diverfes couleurs , qui fervoient de lignai particulier ou
de point de ralliement. Du moins voit-on à la planche
X V e. de la colonne trajane, une aigle & une enfeigne
de cohorte ornées de femblables aigrettes.
Draeones , les dragons , comptés aufli par Végéce
entre les enfeignes, étoient dans l’origine les enfeignes
des Barbares. Suidas en attribue de femblables aux
Indiens & aux Scythes. Les Daces, voifins des Scythes,
en avoient un grand nombre, comme on le voit fur la
colonne trajane. Les Romains, en incorporant depuis
lors les- Barbares comme auxiliaires dans leurs armées ,
s’accoutumèrent à ces enfeignes bizarres , & ils les
adoptèrent pour leurs cohortes j car Végèce , qui écrivoit
fous Valentinien le jeune , dit que chaque cohorte
avoit fon dragon-aire , qui matchoit au combat chargé
d’un dragon. Draeones per- fingulas cohortes a draconariis
ferumur ad pr&lium. Zofime ( lib. 3 , pag. 172. Oxonii ,
A ^79) , parlant de l’expédition de l ’empereur Julien
’contre les. Parthes , dit que le dragon étoit l’enfeigne
dont les Romains faifoient ufage dans les guerres.
Les dragons étoient formés .de deux parties très-différentes.
La tête étoit de métal , d’ argent ou d’argent
cou & le corps, 8c les faifoit t'cflembler à de véritables
dragons. Claudien peint fouver.t ces enfeignes effrayantes
( in Rufi:ium , lib, 2 , verf. 176 ) :
doré. A cette tête étpient attachés un corps & une
queue de dragon, figurés avec des. toiles de lin , in linteo
depisti, dit Tertullien (Apologetic. cap. 16 ) , ou des
étoffés de fo ie , ou de la pourpré. Le v ent, s’ engouffrant
dans leur gueule béante, agitoit la langue, enfloit l e (
.....................................Lateque videres
Surgere purpureis un darnes anguibus haftas ,
Serpeatumque vago ccelurn f&vire volacu.
Ailleurs (de 3 Ho no rii Conful. ad finem) :
................................Hi piSla draconum
Colla levant, multufque tumet per nubila ferpens.
Iratus fiimiUante noto , vivitque receptis
Fiàtibus , & varia mentitur ftbila traStu.
Enfin il les peint affaiffés dans le repos. (Ibidem.')
................................ • Spirjfque remijfis
Manfuefcunt varii vento cejfante draeones.
Les enfeignes ou porte-enfeignes, foit fantaflins, foie
cavaliers, portoient des noms analogues à l’ aigle ou aux
autres enfeignes. Leur coftume étoit remarquable, ÿc
difpofé pour effrayer les ennemis. Ils étoient revêtus
d’une tunique de cuir , plus courte que la tunique ordinaire
■( appelée par Végèce lorica minor ) , & qui tenoit
lieu de cuiràffe. Leur tête étoit couverte du mufle de
quelqu'animal, d'ourS, de lou p , &c. ; le refte de la
dépouille les enveloppoit comme un fagum, & les pattes
étoient nouées fur leur poitrine Ce mufle recouvroit un
cafque ordinaire, comme nous l’apprend Végèce (lib. 2,
cap. 16 ). O mues autem fignarii , vel figniferi , quamvïs
pedites , loricas minores accipicbaht, & galeas ad terrorem
hoftium ù'finis pellibus testas. Ils s'aidaient pour porter
leurs.enfeignes , qui étoient fort pefantes, d’une efpèce
de crochet fixé au bas de Iapiaue.
Fl°. 2 , PI. L X X X lX . Aigle de bronze pofée. Elle
fervoit d’enfeigne à quelque légion. (Recueil de Caylus,
... tome III. )
N°. 3 , PI. L X X X IX . Aigle femblable, éployée.
( I b id .) ' '
N°. 4 , PI. LX X X IX . Aigle femblable, pofée fur
une couronne. ( Ibid. )
N °. 1 , PL XC. Panthère de bronze p o fé e , fervant
d’enfeigne à une cohorte ou à un manipule. ( Recueil de
Cay lus 3 tome I I I , Pi. LX IX .)
N°. 1 , PL XC. Enfeigne de même forte : lionne marchant.
( Ibid. ) -
N 0. 3 , PL XC. Enfeigne de même forte : bélier marchant.
f Colon, traj. tab. 34. )
N°. 4 , PL XC. Aigle éployé e, pofée fur un bâton
très-court. ( Antiq. expliq. tome IV 3 PL X X X V , n°. 1. )
Fi°. y , PL XC. Aigle éployée, pofée fur un foudre
que fupporte un long bâton. L’aigle tient.au bec un
anneau. Tirée des bas-reliefs de Trajan, encâftrés dans
l’arc de Conftantin.
' N°. 6 , PL XC. Aigle éployée , pofée fur un long
bâton, auquel font attachés un médaillon d’Empereur,
un foudre & un très-petit bouclier , chargé d’ un vol
d’ aigle. y( Ibid. )
JV°. 1 , PL XCI. Aigle éployée, pofée fur un long
bâton, auquel font attachés la traverfe & les cordons
qui doivënt porter un vexillum, un foudre, deux médaillons
d’Empereurs & deux portions de pomme de pin,
( Ib id .) .
N°. 2 , PL XCI. Aigle éployée, pofée fur un loi
. bâton , auquel font attachés la traverfe & les coçdons