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mer, & les bateaux des pêcheurs, faire mille évolutions diverfes. Ici, on
voit des pêcheurs ivres, mouillés depuis les pieds jufqu’à la tête, pouffer
des cris terribles ; là, on entend les difputes & les injures que les pêcheurs
fe difent & fe répliquent lorfque par hafard ou par malice, ils ont pouffé
leurs bateaux les uns contre les autres ; plus loin,, c’eft la jaloufîe des
pêcheurs contre ceux que le bonheur favorife. Lorfque ces poiffons font
allez effrayés & qu’ils font fortis de leurs trous, les pêcheurs jettent les
achanes r) fur les côtés, prennent \ems pogonais u') à la main, &
s’emparent des poilfons qui cherchent à s’échapper avec le courant.
Alors on n’obferve aucun ordre: chacun rame où il peut; ce qui fait
naître mille difputes différentes lorfqu’ils s’approchent trop près les uns
des autres, ou que leurs filets s’embarraffent les uns dans les autres; ce
qui pourtant eft inévitable, parce que l’efpace où fe trouvent ces folfes,
a tout au plus deux cents braffes de longueur.
C’eft un fpectacle amufant de voir une quantité de fi gros poilfons
affemblés dans une fi petite efpace, & il eft fingulier qu’un grand-
efturgeon dont dans un autre tems dix hommes forts peuvent à peine
s’emparer, devienne alors la proie de deux hommes.
Cette pêche dure ordinairement trois heures, & dès qu’elle eft finie,
les pêcheurs retournent à l’endroit d’où ils étoient partis.
Dès que toutes les folfes ont été vifitées, & qu’on en a tiré tous les
poilfons qui y étoient, les fentinelles reprennent leurs poftes, & quelques
jours après, lorfqu’on a remarqué que de nouveaux poilfons y font venus,
on ordonne une nouvelle pêche, & on en fait quelquefois deux ou trois
dans le même endroit, & dans certains elpaces. Cependant cela ne fe
fait que lorfqu’on remarque une grande quantité de poilfons; ce qui, félon
les obfervations des pêcheurs d’Altracan, n’arrive que tous les quatre
ans. Ordinairement la pêche ne fe fait que deux fois.
A Aftracan, la pêche à l’hameçon fe fait fur-tout avec la ligne de
fond, que l’on nomme Snajl x~). Elle eft faite d’une corde médiocre,-
longue de foixante & dix aunes, à laquelle font attachées cent vingt-cinq
petites cordes longues d’une bralfe & demie , /& garnies de gros
hameçons. Une corde ainfi garnie fe nomme nid ( Gnefdo ). Les cordes
des hameçons font attachées à la grolfe corde à la diftance d’une demi-
aune feulement; de manière qu’à chaque bout de cette dernière, il refte
une
/ ) Utie achane eft un filet droit, long" de cent vingt brafles, qui eft tendu en travers.
u) Un pogonai eft un filet en forme de fac long de deux brafles, & large de deux aunes.
x ) Pallas Reifen. Tom. II. p. 33p.
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une longueur d’une bralfe & demie où il n’y a point d’hameçon. Trente
cordes ainfi montées, attachées au bout les unes des autres, forment
une ligne de fond; & cette ligne a par conféquent quelques centaines de
bralfes de long. Entre deux nids ou grolfes cordes, on attache toujours
une pierre de quelques livres, à laquelle on lie en même tems un paquet
de joncs fecs, qui nage attaché à une corde de deux bralfes. Aux
deux bouts d’une ligne de fond entière, font attachés des grappins de
bois. Une de ces ancres confifte en deux morceaux de bois fendus, qui
ont chacun à un bout une grolfe branche qui tient lieu de bras d’ancre.
A l’autre bout, une chêvrète double pli attachée comme à un ancre; &
entre ces morceaux de bois, on colle de lourdes briques, afin de donner
plus de pefanteur à l’ancre ; & pour contenu- le tout, on l’entoure de
nattes & de cordes. Chaque ancre a un cable d’environ vingt-cinq
bralfes, qui eft attaché au bout extérieur de la corde. Lorfqu’on a jetté
l’ancre dans la mer, le bras ou crochet entre dans le fond, & alfujettit
au fond la corde qui eft jettée eh long entre les deux ancres. Pour attirer
le grand-efturgeon, on attache ordinairement à l’hameçon un grislage j ) , ’
que notre poilfon aime beaucoup. Au bras de l’ancre qui eft tourné
en haut, on attache une perche, que l’on palfe par le milieu & en long
dans un paquet de joncs fecs, qui a en haut un bouchon d’abfinthe.
L’ancre tire un bout dans l'eau par le-bas, & 'perpendiculairement le
paquet de joncs fecs, qui nage dans l’eau; & le bouchon-,d’ablinthe
refte toujours en haut, & étant toujours hors de l’eau, il indique de
loin au ’pêcheur les mouvemens qui l’intérelfenti Ordinairement on jette
ces efpèces de, lignes dans des endroits où l’eau n’a pas plus de trois
ou quatre bralfes de fond; de forte que la principale corde eft tirée au
fond par les pierres qui y font attachées, & qu’il ne furnage que, les
perches, avec l’abfinthe & le fagot attaché au cable; ce qui fert à avertir
quand on peut lever la principale corde en forme de nid, pour ôter les
poilfons qui font pris. Les poilfons attachés à l’hameçon, nagent çà &
là dans le fond. Le grand-efturgeon les avale avec avidité, & fe prend
aux hameçons. Comme la corde entière cède, & qu’elle eft pourtant
alfujettie au fond par un gros poids, le poilfon le plus gros ne fauroit fe
détacher; & les ancres empêchent que la corde de fond ne foit dérangée
ni par les mouvemens du poilfon, ni par les ondulations de l’eau. Les
cordes de fond doivent être levées, avec précaution, deux fois par jour
dans toute leur longueur, & on tire avec des.crochets dans le bateau les
poilfons qui fe trouvent pris. Après avoir vifité une corde de fond, on
y ) Obla, Cyprinus Grislagine. L,
. Part, I V ' ' ‘ S té SM lîi H