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manière que les ouvertures font tournées vers le rivage. Dans les deux
cas, on tient toujours en hiver la glace ouverte au-deffus de ces
chambres, & on confirait une cabane de paille au-deffus de l’ouverture,
où il relie encore allez d’efpace des deux côtés, pour que les ouvriers
puiffent y palier librement, & fe chauffer à un petit feu.
On voit que, dans les deux cas, le poiffon coulant le long des
parois, & cherchant une iffue pour continuer à remonter le fleuve, entre
néceffairement dans les chambres. Dans chaque chambre, il y a des
chofes préparées pour avertir de l’entrée du poiffon, & pour aider à le
prendre. Au fond, eft un cadre fait de fortes perches, fur lequel eft
étendu un filet de petites cordes, ou, en Été, une claie dozier, & ce
ce cadre remplit tout l’efpace de la chambre. Aux quatre coins, font
affujettis de fortes cordes, avec lefquelleS on peut lever cette machine,
par le moyen de deux poulies, placées au-deffus des ouvertures. Au-deffus
de l’ouverture de la chambre, on a tout prêt, ou une trappe faite de
perches & d’oziers entrelacés, dont on fe fert en Été, ou un filet monté
fur perche tranfverfale, & qui s’étend devant toute l’ouverture pendant
qu’on fait defcendre la perche par le moyen de deux perches perpendiculaires.
Or, pour que les travailleurs fâchent quand un poiffon eft entré
dans la chambre, & qu’ils puiffent s’en emparer auffitôt avec le trident,
il y a encore outre cela devant l’ouverture de la chambre un grand
nombre de cordons courts tendus fur un morceau de bois mouvant mis
en travers, & qui s’étendent depuis le morceau de bois jufqu’au cadre qui
eftpofé au fond; de forte que tout gros poiffon qui entre dans la chambre
& qui touche quelques-uns de ces cordons, fait remuer le morceau dé
bois qui furnage. Dès que l’on remarque quelques mouvemens à ce
morceau de bois, on baiffe la trappe ou le filet, & la chambre fe trouvant
fermée, on lève la machine mobile qui eft au fond, & on amène ainfi
tout le poiffon qui s'y trouve. Alors on prend les poiffons avec un crochet,
on laiffe retomber la machine , & on rouvre la chambre pour une
nouvelle prife. Trois ouvriers fuffifent pour tout ce travail.
Afin de n’être pas obligé de veiller fans ceffe pendant la nuit, on a
imaginé un autre moyen fort fimple, par lequel le poiffon fe prend de
lui-même dans la chambre comme dans une ratière, & annonce, par fes
mouvemens, fa prife aux pêcheurs. On pend à la farrafine ou aux perches
qui fervent à abattre le filet, quelques pierres qui peuvent l’abaiffer au
■fond. Afin de les tenir au-deffus de l’ouverture, on place à la farrafine
quatre petits morceaux de bois; de manière que le premier porte le
filet ou la farrafine comme un levier, & que le dernier eft attaché
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aux cordons qui font tendus fur l’ouverture. Lorfque le poiffon fait
remuer les cordons, le levier auquel le mouvement fe communique très-
aifément, fe détache, le trébuchet s’abaiffe, & le filet ou grille qui le
tenoit, tombe au fond, & ferme la chambre. En même tems, cela tire
un cordon, auquel eft attaché une fonnette, qui éveille les ouvriers
endormis, & les avertit qu’il faut ôter le poiffon & rétendre le trébuchet.
La pêche au filet ufitée parmi les pêcheurs d’Aftracan pour prendre
ce poiffon, mérite d’être rapportée., à caufe de la folemnité avec laquelle
elle fe fait s). Le filet ou fac dont on fe fert pour cela, a deux braffes de
long & feulement deux aunes de large. On l’emploie pour pêcher le
grand-efturgeon dans les trous où il fe cache pendant l’hiver. Lorfque
la rigueur de cette faifon commence à fe faire fentir, on envoie ordre aux
infpecteurs des parcs, de défendre toute efpèçe de pêche dans tous les
endroits où l’on a remarqué des trous à grands-efturgeons, & d’enjoindre
à tous les bateaux qui paffent, de ne faire aucun cri, & fur-tout de ne
tirer aucune arme à feu. Après cela, les pêcheurs s’éloignent, & on
place des fentinelles pour empêcher que le poiffon ne foit troublé. On
fixe un jour pour la pêche; ce qui arrive ordinairement au commencement
de Novembre, lorfqu’on a remarqué que le poiffon monte & defcend plus
fouvent. Au jour fixé, on annonce â tous les pécheurs de fe trouver
à une certaine heure à une certaine place avec tous les inftrumens
néceffaires. Le directeur du comptoir de la pêche invite la veille plufieurs
perfonnes, & particulièrement les perfonnes les plus confidérables
d’Aftracan, & il les conduit vers l’endroit de la pèche, où il leur donne
un grand repas. Le lendemain matin, le directeur fuivi de fa compagnie
& de la moitié des pêcheurs, fe rend vers un certain canton des foffes,
& il envoie l’autre moitié avec fes infpecteurs vers les autres foffes.
Quand on s’approche de l’endroit, il eft ordonné d’obferver un filence
général. Après cela les pêcheurs"préparent leurs filets A la hâte; un coup
de fufil donne le fignal du départ, & tous les bateaux, ordinairement au
nombre de plus de trois cents, partent en même tems. Dès .que les filets
fontjettés& que toutes les iffues font fermées, un grand cri fuccède au
filence. Les poiffons effrayés cherchent à fe fauver, les uns d’un côté,
les autres de l’autre. Quelques-uns montent fur la furface de l’eau;
d’autres relient au milieu ; d’autres aufîi cherchent leur falut dans des
mouvemens extraordinaires ; mais c’eft en vain : ils font entourés par
une quantité de pêcheurs occupés tous à les empêcher d’échapper. Alors
on voit un grand nombre de machines fe mouvoir fur la furface de la
s ) Voyez Gmelin Reif.. Tom. II. p. 225—227.
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