A R G U M E N T ,
Saint Marc, non celui qui est nommé Jean, fils de Marie et disciple de S.
Paul, mais celui qui a été disciple, compagnon et interprète de S. Pierre, est le
second des évangélistes, par rapport à l’ordre des temps, au moins selon les témoignages
de Papias, de S. Clément d’Alexandrîe, et de S. Jérôme, qui tous
prétendent qu’il a écrit son évangile avant la mort de S. Pierre, c’est-à-dire, l’an
troisième de la aoJe olympiade, la troisième année du règne de l’empereur Claude,
la quarante-troisième année de l’ère vulgaire, et dix ans ou environ après la mort
de Jésus-Christ. S. Jrenée insinue cependant .que S. Marc n’a écrit sou évangile
qu’après la mort de S. Pierre, c’est-à-dire, vers l’an 67 de l’ère vulgaire : mais,
commeEusèbe cite ce même endroit de ce Père, aussi-bien que ceux de Papias et
de S. Clément d’Alexandrie, et qu’il n’a fait aucune attention sur ces mots fj,erd
TV)V Tütcûv i^oS'ov, c’est-à-dire, post horum discessum, qui semblent détruire le
sentiment de ces deux anciens Pères, plusieurs ont cru que ces paroles post horum
discessum j ou n’étoient pas dans le manuscrit que lisoit alors Eusèbe, ou que cet
historien ne les interprétoit pas de la mort des apôtres S. Pierre et S. Paul, mais
de leur départ de Rome long-temps avant leur martyre. Le même Papias, au
rapport d’Eusèbe, dit que S. Marc écrivit son évangile à la prière des fidèles de la
ville de Rome, et que lorsqu’il l’eut achevé, il le montra à l’apôtre S. Pierre sou
maître qui l’approuva j ce qui a fait croire à quelques-uns que cet évangéliste l’ayant
composé pour les Romains, il l’avoit écrit en latin, langue vulgaire et commune
aux peuples naturels de cette ville : mais S. Jérôme et S. Augustin disent, comme
une chose constante, que S. Marc a écrit en grec, ce qu’ils n’auroient pas assuré s’ils
n’eussent su que non-seulement il y avoit alors à Rome un grand nombre de Juifs
qui n’entendoient pas le latin , mais que le grec y étoit si commun, que les femmes
même romaines l’entendoient, le parloient, et que quelques-unes d’elles l’appre-
noient à leurs perroquets. On ne sauroit en effet lire cet évangéliste, sans s’apercevoir
que son style et que les expressions dont il se sert, ont tout le tour et le
caractère de la langue grecque; ce qui a fait dire à plusieurs, que S. Marc, qui,
selon S. Augustin, est appelé l’abréviateur de S. Matthieu, n’avoit pas écrit son
évangile çur le texte hébreu de cet évangéliste, mais sur la version grecque : car
non-seulement il en a suivi l’ordre, mais il en a copié souvent jusqu’aux expressions
et aux termes ; et s’il y a laissé quelques bébraïsmes, il les a pris dans cette version
ou dans sa propre langue; car il est vraisemblable qu’il étoit juif-hébreu, et non
helléniste. Il est vrai que les inscriptions de la version syriaque, et de plusieurs
autres orientales, disent que S. Marc a écrit son évangile en latin pour les Romains.
Baronius est de ce sentiment; mais, comme ilu’est appuyé sur aucune autorité qui
soit ancienne, et que les raisons qu’il allègue ne sont point solides, les savans n’ont
point fait de difficulté de s’en tenir au sentiment des anciens Pères, d’autant plus
qu’il est constant que le latin de S. Marc ( c ’est-à-dire notre vu]gâte) n’est point
l’ouvrage de cet évangéliste, mais qu’il a été fait long-temps après sur le texte
grec.
Cet évangéliste ne s’est point attaché à suivre dans sa narration l’ordre des
temps, il a imité en cela S. Matthieu, ou plutôt il a transcrit de mémoire ce qu’il
avoit appris de S. Pierre son maître, qui, selon la nécessité et les occasions, avoit
récité aux fidèles, et en sa présence, diverses circonstances de la vie et de la doctrine
de Jésus-Christ. Ainsi il n’est pas étonnant de lui voir abréger des faits plus
étendus par d’autres évangélistes, de s’étendre aussi quelquefois beaucoup plus
qu’eux, et de ne pas observer la suite naturelle de la chronologie et de l’histoire.
On prétend garder à Venise l’original grec, écrit, dit-on, de la propre main de
cet évangéliste; mais on assure que ce livre qu’ôu n’ouvre plus à personne, et qui
pour cela est fermé avec des sceaux, a ses caractères presque tout effacés.