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(les curicux à une distance respectueuse. I^a partie du ventre s'affaissa alors d'une manière
assez sensible. L'air froid, au lieu de ces gaz et do ces fluides chauds, pénétra jusiiu'ii
un certain point dans les parties intérieures du corps. Il faisait alors obscur. A l'exception
des g-ardiens placés, cbacun s'en retourna chez soi, et j'en tis de même aussi; mais
le lendemain je revins sur la place, accompagné d'un nombre suffisant de travailleurs,
pour dépecer la magnitiijue bête, avant qu'elle fût arrivée ii un plus haut degré de détérioration.
C'était un dimanche, lorsque dès le point du jour je fus là; avec moi étaient 10 vigoureux
garçons-bouchers et plus du double d'autres ouvriers. La matinée était tranquille
et calme. J'étais là près du colosse avec mon bataillon armé. Quoique j'eusse un plan
formé d'avance, quand j'arrivai là, je restai cependant indécis, alors qu'il fallait entamer le
dépècement. Non pas que je ne me fusse pas rendu compte de ce qu'il fallait faire pendant
cette journée-là; mais il s'agissait de savoir par ou je devais commencer; car c'est de
là que dépendait éminemment la richesse ou la pauvreté de la récolte que j'allais faire pour
la science. Cela concernait principalement la peau, reluisante comme un miroir et d'un joli
marbré. Je voulais d'abord n'en prendre qu'une bande de la largeur d'un pied sur le
dos et sur le ventre ainsi que quelques autres bandes entre ces deux parties, afin de conserver
ainsi le souvenir de l'extérieur du Cétacé. Mais au dernier instant, lorsque j'eus
grimpé à l'aide d'une échelle entre le dos et la nageoire pectorale de gauche, j'abandonnai
cette pensée. Cela me semblait trop peu de chose d'un animal si grand, maintenant surtout
que, possédant la bête à terre, j'avais les mains pleinement libres pour ordonner mon travail.
Je voulus alors essayer de conserver tout ce qui pouvait se conserver. Uussé-je
échouer en quelque chose, il serait toujours facile de rejeter en son temps ce qui ne pourrait
pas être conservé pour l'avenir. Au moyeu d'un scalpel trauchant, je tis alors une première
entaille autour de la nageoire pectorale; de là une autre entaille en droite ligne vers
la base de la queue; une entaille sur le côté de la ligue du milieu du dos; nue autre
le long du côté en descendant vers la nageoire pectorale. Vinrent ensuite avec leurs grands
couteaux les bouchers, que d'avance j'avais rendus familiers avec les traits principaux de
la charpente intérieure de la baleine, à l'aide des squelettes d'une "-Bffiioenojjiero rosiraia" et
d'uue "Phocoena communis"; dès-lors alla rapidement l'opération d'ôter la peau en même temps
que le lard, qui à divers endroits avait de 124 à 298 millimètres d'épaisseur. J'avais sur
la rivière à mes pieds quatre chalands tout prêts, pour recevoir le corps dépecé. La nageoire
pectorale avec son homoplate fut séparée du corps; puis furent enlevées les côtes
du côté qui était en dessus, ainsi que des masses de chair le long de l'épine dorsale, laquelle
chair à cet endroit était chaude jusqu'à l'épaisseur d'un tiers de mètre et dans un
état de décomposition qui en faisait une espèce de purée; ensuite les intestins furent lavés
au moyen d'une pompe à incendie placée à distance. Une fois que ces intestins eurent
été rangés en ordre et eurent reçu encore la pluie d'une douche, le travail fut suspendu
pendant une demi-heure, qui fut employée à prendre une photographie des parties intérieures
mises à nu. Couteaux en main, on se remit à l'ouvrage, oeuvre qui pour moi du moins
était aussi intéressante qu'elle était sale. Les entrailles et la peau, les nageoires pectorales
et la queue furent lialées dans un des chalands, pour être portées le lendemain matin au
Musée. Le squelette fut chargé dans un autre chaland pour être transporté à un endroit
hors de la ville; deux autres chalands reçurent la chair. Vers les .5 heures de l'aprèsmidi.
il me survint, par suite de la fatigue excessive que j'avais subie, un violent malaise.
11 me fallut quitter la place aussitôt qu'eut été faite la photographie susdite; je ne regrette
cet accident que parce qu'il a été cause que le sternum et les os dn bassin ainsi que la
partie inférieure de la trachée-artère ont été perdus et n'ont pu se retrouver, quoiqn'à deux
fois différentes les chairs enlevées aient été soigneusement examinées, de même que l'a été
aussi la place oti le dépècement a eu lieu. Je suis surpris au reste qu'il n'ait pas été
fait de plus grandes pertes; car ni les afticlies im])rimées que j'avais fait placer, ni la
police, ni mes prières, ni même les duretés qu'à mon grand regret il m'a fallu dire quelquefois
aussi bien à des personnes de ma connaissance qu'au peuple en général qui se trouvait
là, n'ont eu le pouvoir de tenir à la distance de quelques mètres la foule qui se pressait
autour du cétacé. En dépit de l'odeur infâme et nralgré le gâchis qui entourait le cadavre,
c'étaient les femmes qui alors comme d'habitude étaient le plus hardies et qui s'en approchaient
le plus. J'ai vu par exemple, quoiqu'un gardien de police fût placé à la tête du
cétacé, j'ai vu, dis-je, deux dames, qui se garantissaient au moyen de leurs parapluies
contre la pluie qui tombait, entrer dans la bouche même pour examiner les fanons ou peutêtre
pour s'assurer par elles-mêmes si la voie de l'oesophage était assez grande pour donner
passage à queUiue Jonas. Lorsque ces deux dames se furent éloignées, toutes salies de ce
qui était tombé sur elle, un Monsieur a pris, dit-on, la même place, et a tout d'un coup
arraché 3 ou 4 fanons en "souvenir de la baleine". Les représentations et les prières des
personnes qui étaient près de lui, ne purent rien gagner sur cette espèôe d'enthousiaste à
sa manière. On s'échappait content, pourvu qu'on eût pris un morceau de l'épiderme. Il
a été raconté qu'une personne était occupée à détaeher un petit os, pour l'envoyer en cadeau
ailleurs, à ce qu'on disait; on ne savait pas si cette personne avait réussi dans son entreprise;
mais, attendu qu'il a disparu, comme je l'ai déjà dit, quelques petits os, il est à
croire que ce méfait a été commis par suite d'un zèle bienveillant, dans la pensée surtout
qu'on ne croyait pas faire le moindre dommage à qui que ce fût en s'appropriant seulement
peut-être un millionième du colosse. Je ne voulais pas, plus que ce n'était nécessaire pour
les études que je faisais, priver le public d'un spectacle qui certainement intéressait tout
le monde, attendu surtout que ce public payait une rétribution, quelque légère qu'elle fût.
Mais d'un autre côté je dois dire que rien n'a été plus fatigant pour moi que de me voir
toujours forcé de recourir aux prières et aux apostrophes sévères pour nous faire place,
à mes travailleurs et à moi, auprès du cétacé. Quelques personnes murmuraient de ce que
le dépècement se fît trop vite. D'autres trouvaient qu'on avait eu tort de ne pas hisser le
baleinoptère en l'air au moyen de la grue qui se trouvait là sur place, afin qu'on pût le voir
bien à son aise. Les plus hardis, pour les 35 centimes qu'ils avaient payés, prétendaient avoir
le droit d'entrer dans la baleine et de monter dessus, pendant même qu'on la photographiait.
Il y eut une ])ersonue que j e ne pus faire reculer à la distance de quelques pas qu'en lui tendant
un billet de banque de 35 francs, pour qu'elle se tînt quelques minutes dans l'éloignement qu'il
fallait. Un candidat en théologie vint dans son zèle demander s'il était convenable qu'on
s'occupât d'un pareil travail le jour du sabbat. Lui montrant comme le travail avançait
rapidement, je ne pus que lui répondre: "oui," sachant moi-même que, si le dépècement
avait été ajourné au jour suivant, il n'aurait été possible de conserver que le squelette,
tandis que j'étais au contraire à même maintenant de conserver pour ainsi-dire tout. Si
j e n'avais entrepris aucun dépècement avant que le cétacé fût à terre, c'était constamment
en vue de ce que ce n'était qu'en l'ayant à terre qu'on pouvait compter sur de bous résultats
pour la description des formes et pour la photographie.
A la tombée de la nuit, tout était chargé sur les chalands, excepté la large bande de
l)eau sur laquelle le cétacé était couché, et l'épine dorsale. Les parties plus sensibles
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