noirs. Les femmes de couleur ne cohabitent pas avec les noirs, bien les
hommes de couleur avec les négresses; — il n’y a presque pas de femmes
blanches dans ces contrées.
Dans la contrée du Zambèze en amont de Senna les dominateurs métis
résident souvent dans un a rin e g a , groupe de huttes enfermées par plusieurs
rangées de hautes et très fortes palissades. L à habitent avec eux leurs serviteurs,
et ils y gardent de grands approvisionnements. Ainsi se trouve, entre
Senna et Tête sur le Zambèze, 1} arinega de Donna Louisa *), la soeur bien
connue du terrible Bonga.
L ’établissement dessine un vaste demi-cercle, dont la corde est formée
par le fleuve et n’est pas fortifiée, de sorte que la vue s’étend libreînent
jusqu’à l’autre bord. L e pourtour du côté de terre est fermé d’une enceinte
continue en solides pieux, auxquels se mêlent quelques arbres vivants, percée
en deux ou trois endroits de portes d’assez faibles dimensions. Près des
portes et en quelques autres endroits, on a élevé des sortes de terre-pleins,
qui permettent d’épier l’extérieur par dessus la palissade. On a coupé , tout
le bois dans un certain rayon, pour que personne ne puisse s’approcher
sans être aperçu. Dans l’intérieur on a érigé deux grands magasins contenant
des provisions de riz, de mais, de fèves etc. Tout-à-fait au centre sont
les bâtiments de la propriétaire et de sa suite, entourés par un très grand
nombre de huttes en bon ordre, où demeurent trois mille cafres en état
de combattre (cipaes). Ce grand village est très propre et l’on y a établi
des puits. Il y a des arinegas bien moins importants, n’abritant, par exemple,
pas plus d’une cinquantaine de cip a es2).
Les autorités portugaises ne voient de fort bon oeil ni ces arinegas
ni les tyrans locaux qui en font leurs nids, souvent se livrent à des
exactions, entravent la navigation sur le fleuve et y lèvent des péages, et
se font la guerre les uns aux autres. Les noirs prennent toujours absolument
parti pour leur suzerain propriétaire d’a rineg a , et souvent ils en viennent
aux mains sans même que leurs maîtres le sachent. Quand ceux-ci
entreprennent une expédition, ils font part du butin à leurs cipaes. Il y a
là un état d’anarchie que les Portugais cherchent à atténuer, d’une part en
1) Le royaume de Mapouta près de Lourenço-Marques est aussi soumis à une femme, la reine Zambea, quon
appelle aussi Zambili.
2) Voyez, le plan d’un arinega dans le Boletim da Soc. de Geogr. de Lisboa 1885 page 5 19-
L ’arinega de Donna Louisa a été récemment démoli en partie.
faisant raser des a rin eg a s, quand ils peuvent, d’autre part en conférant
aux »grands” qui les détiennent des titres militaires, même parfois un traitement,
mais en les obligeant alors à déployer le drapeau portugais et, au
besoin, à assister le gouvernement de leurs troupes ‘). Ainsi à l’heure qu’il
est les arinegas ont beaucoup diminué en nombre, en même temps qu’a
baissé le pouvoir de leurs seigneurs et que ceux-ci sont devenus moins
dangereux. L e plus redouté de ces »grands” a été le fameux Bonga, qui
résidait vers le milieu de ce siècle à Massangano sur le Bas-Zambèze, où
il possédaifiun a rinega très fort et a exercé pendant quelque temps une
grande puissance qui a donné bien du mal aux Portugais. Il avait dans les
veines du sang indien et du sang nègre. L e nom de Bonga n’est qu’un
surnom et depuis a toujours été porté par quelqu’un. L e vrai Bonga est
mort il y a longtemps.
Le s noirs adoptent très aisément ainsi des surnoms, qui dans l’usage
se substituent alors à leurs noms véritables. Ils changent de nom à tout
moment. Quand ils ont régulièrement affaire aux Européens, ils prennent
souvent un prénom portugais, à moins que ce ne soit, en guise de nom,
un mot portugais quelconque, ou même toute une phrase. Nous avons connu
un noir qui se faisait appeler vamos a v e r , »allons voir” . Cette facilité de
prendre une appellation quelconque, fait qu’il est inutile, en s’informant d’un
noir particulier, de dire comment il s’appelle. Quant aux gens de couleur,
ils adoptent, au petit bonheur, des noms de famille portugais, souvent des
noms de personnages célèbres, ou des noms bibliques; par exemple Albu-
querque, Jésus Maria, Messias, de Nazareth, etc.
Même les blancs sont désignés par les noirs, non pas au moyen
de leurs vrais noms, mais au moyen de surnoms, empruntés avec un véritable
esprit d’observation à quelqu’une des qualités qui les distinguent. On
en trouvera un exemple dans un chant guerrier des Massinghiri, joint à ces
pages. Comme, surtout sur le Zambèze, où l’influence portugaise a pénétré
le plus loin et se fait le plus sentir, le Roi de Portugal et le Gouverneur
Général sont les deux plus grands personnages existant aux yeux des indigènes,
ceux-ci désignent aisément un blanc qui leur semble de haut rang
par l’expression de »fils du Roi” ou »fils du Gouverneur Général” . C ’est
1) Nous sortirions du sujet de cette étude si nous nous étendions sur le thème intéressant qu’offrent les relations
du gouvernement de Sa Majesté Très Fidèle avec les chefs et les noirs de l’intérieur.