
 
        
         
		ils  reconnaissaient  l’original  d’un  portrait,  même  s’il  était  présent,  et  dans  
 un  nombreux  groupe  de  noirs  il  ne  s’en  est  pas  trouvé  un  seul  pour  dire  
 ce  qu’était  un  tigre  représenté  sur  une  couverture,  en  grandeur  et  en  couleurs  
 naturelles,  quoique  ils  eussent  sous  les  yeux,  tout  à  côté,  un  vrai  
 tigre  mort. 
 Une  fois  en  mouvement,  les  noirs  ont  souvent  des  accès  de  grande  
 surexcitation.  Ainsi  il  nous  est  arrivé  en  voyage  de  voir  soudain  quelqu un  
 des  porteurs  quitter  la  file  indienne  pour  se  livrer  à  côté  du  sentier  à  des  
 cabrioles  et  à  des  gesticulations  insensées,  accompagnées  de  cris;  après  quoi  
 il  reprenait  tranquillement  son  rang.  En  marche,  ils  s’animent  de  la  parole  
 continuellement  les  uns  les  autres  et  ont  toujours  de-  la  musique,  qui  ne  
 s’interrompt  pas  même  quand  la  troupe  se  met  au  trot;  cela  peut  contribuer  
 à provoquer l’exubérance dont nous parlons.  Cette excitabilité se manifeste surtout  
 à  la  guerre  et  quand  ils  voient  du  sang ;  alors  ils  sont hors  d’eux-mêmes  et  
 capables  de  tout;  mais  le  paroxisme  ne  dure  pas  longtemps,  ils  recouvrent  
 bientôt  leur  calme  et  leur  gaîté,  et  l’ardeur  batailleuse  s’éteint.  Aussi  les  
 guerres  se  prolongent-elles  rarement. 
 Il  n’est  pas  dans  le  caractère  des  noirs  du Sud-Est  de  l’Afrique  d’empoigner  
 une  besogne  avec  une  énergie  soudaine  pour  l’accomplir  d’un  cou  
 de  collier;  en  revanche  ils  ont  une  patience  et  une  persévérance,  jointes  à  
 une  capacité  d’endurance  physique,  qui  leur  permettent  d’accomplir  des tâches  
 que  les  blancs  les plus  vigoureux  seraient forcés d’abandonner.  L à  se trouvent,  
 d’après  notre  expérience,  leurs  plus  précieuses  qualités.  M.  Muller  devant  
 se  rendre  par  eau  dans  une  localité  du  Zambèze,  et  se  trouvant  un  peu  
 pressé,  promit  aux  rameurs  un  matabichou  (tournée  d’eau  de  vie)  s’il  y  
 arrivait  avant  un  moment  donné,  et  cette  promesse  se  trouva  constituer  un  
 appas  assez  puissant  pour  que  ses  douze  noirs  le  pagayassent  sans.s’arrêter  
 pendant  vingt-deux  heures  de  suite.  Une  fois  en  train,  le  noir  continue  jusqu’à  
 ce  qu’on  lui  dise  de  s’arrêter.  Nous  donnâmes  une  fois  à  Inhambane  
 un  couteau  à  aiguiser,  mais  négligeâmes  d’avertir  de  se  borner  à  le  rendre  
 tranchant,  si  bien  qu’au  bout  de  quelques  jours  nous  découvrîmes  que  le  
 noir  chargé  de  cette  tâche  avait  consciencieusement  aiguisé  et  aiguisé  et  que  
 la  moitié  du  couteau  y  avait  déjà  passé.  Un  exemple un  peu  différent,  mais  
 qui  révèle  la  même  tournure  d’esprit,  est  celui  de  ce  jeune  homme  qui,  
 après  avoir  été  domestique  chez  des  blancs  de  notre  connaissance,  retourna 
 à  la  vie  sauvage,  puis  revint  au  bout  de  cinq  ans  reprendre  ses  fonctions  
 de  valet;  or,  dès  le  premier  jour,  sans  qu’on  lui  donnât  d’ordres,  il  fit  tout  
 ce  qu’il  avait  eu  à  faire  pendant  son  premier  service,  ponctuellement,  consciencieusement, 
   chaque  chose  à  son  heure,  chaque  objet  à  sa  place. 
 Il  va  sans  dire  que  ces  noirs  routiniers  détestent  changer  les  habitudes  
 une  fois  acquises.  Ainsi,  occupé  de  la  construction  d’un  bateau  et voulant  
 faire  planter  des  clous  à  des  noirs  qui  jusqu’à  ce  moment  avaient  eu  
 à  manier  la  scie,  nous  nous  heurtâmes  à  de  la  résistance.  E n   voyage,  nos  
 domestiques  gardaient  soigneusement  vide  dans  nos  coffres  la  place  d’objets  
 qui  s’y  étaient  une  fois  trouvés,  mais  qui  avaient  disparu,  et  nous  avions  
 de  la  peine  à  obtenir  qu’ils  utilisassent  pour  de  nouveaux  objets  l’espace  
 inutilement  réservé. 
 Les  noirs  du  Sud-Est  de  l’Afrique  ont  cet  esprit  de  routine  conservatrice  
 en  commun  avec  la  plupart  des  tribus  de  noirs;  et  c’est  ainsi,  par  
 exemple,  que  ce  que  le  voyageur  hollandais  Dapper  écrivait  il  y  a  deux  
 cents  ans  des  indigènes  de  Libéria,  de  leurs  moeurs  et  usages  et  de  leurs  
 qualités,  pourrait  se  dire  d’eux  maintenant  encore,  presque sans y rien changer. 
 L e   noir  ne  sait  pas  ou  ne  veut  pas  accepter  que  le  travail  soit  un  
 devoir,  et  il  ne  se  livre  à  aucun  travail  régulier.  Quand  il  s’astreint  à  une  
 besogne  de  quelque  durée,  c’est  qu’il  lui  faut  gagner  le  douaire  qu’il  doit  
 payer  au  père  de  sa  fiancée  pour  pouvoir  épouser  celle-ci ;  c’est  d’ordinaire  
 en  bétail  qu’on  le  paie,  par  exemple  chez  les  Zoulous,  qui  l’appellent  
 lo u b o la chez  ceux  des  noirs  du  Sud-Est qui  ne  se  livrent pas à l’élevage,  
 il  consiste  principalement  en  cotonnade  bleue  et  en  pelles  en  fer  (enxadas).  
 Tant  qu’ ils  ont  de  quoi  subvenir  à  leurs  besoins,  il  est  très  difficile  de  les  
 décider  à  travailler.  Ils n’épargnent guère ; en outre ils ont les mains ouvertes, en  
 quoi  ils  se  distinguent  de  maints  de  leurs  congénères  de l’Afrique  occidentale,  
 en  particulier  des  Veys  de  Libéria;  de  plus,  grands  enfants  qu’ils  sont,  
 ils  sé  hâtent  d’acheter  toutes  sortes  d’inutilités  quand  ils  ont  gagné  quelque  
 chose.  Il  s’en  suit  que  leurs  gains  ne  durent  pas  longtemps.  Quand  
 ils  n’ ont  plus  rien,  ils  se  serrent  le  ventre  avec  une  ceinture,  jusqu à  ce  
 qu’enfin  il  crie  si  fort  famine  qu’il  faille  bien  reprendre  de  la  besogne  pour  
 le  faire  taire. 
 Beaucoup  de  noirs  de  la  partie  méridionale  de  la  colonie  de  Mozambique  
 et  même  des  districts  à  l’ ouest  du  pays  de  Sofalla  vont  chercher  for