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 des  hommes  seuls,  est  une  sorte  de  jeu  de  dames,  appelé  sô rah ,  analogue  
 au  jeu  que  les  Veys  de  Libéria  emploient  sous  le  nom  de  poh  '),  et  
 à  celui  que  l’on  trouve  sur  l’ancienne  Côte  d Or  hollandaise,  à  Madagascar  
 î)  et  aussi  dans  les  Indes  orientales  néerlandaises.  Cependant  nous  
 n’avons  pas  vu  que  dans  le  Mozambique,  comme  dans  les  contrées  que  
 nous  venons  de  citer,  on  fasse  usage  pour  ce  jeu  d’un  objet  tenant  lieu  
 de  damier ;  sur  le  Zambèze,  où  nous  avons  vu  jouer  du  sorâh ,  le  sol  servait  
 de  damier  et  on  y  faisait  des  creux pour y  déposer  les  petits  cailloux  ou  
 les  fruits  employés  en  guise  de  dames. 
 Depuis  des  siècles  on  a  fait  des  efforts  plus  ou moins  énergiques  pour  
 évangéliser  ces  populations,  mais  c’est  sans  résultats  palpables.  Quelques  
 noirs,  en  petit  nombre,  ont  été  baptisés,  mais  aucun,  ou  à  peu  près,  ne  
 pratique  la  religion  chrétienne. 
 Les  peuplades  du  Sud-Est  de  l’Afrique  partagent  nos  idées  sur  le  
 bien  et  le  mal  en  général  pas  plus  que  sur  la  chasteté.  Elles  considèrent  
 bien  le  vol  comme  un  délit  punissable,  mais  point  comme  une  action  honteuse, 
   comme  un  péché,  et  elles  lui  accordent  bien  plus  d indulgence,  surtout  
 dans  la  moitié  méridionale  du  territoire  qui  nous  occupe,  que  par  
 exemple  à  la  lâcheté  ou  au  manque  de  fidélité  au  chef  de  clan.  Il  peut  arriver, 
   surtout  chez  les  Zoulous,  qu’un  noir  tienne  sa  parole  donnée;  néanmoins, 
   bien  loin  d’être  considérée  comme  une  vertu,  la  véracité  passe  chez  
 ces  gens  pour  ridicule;  le  mensonge  n’est  point  un  péché. 
 Us  croient  cependant  à  l’immortalité  de  l’âme.  Ils  parlent  souvent  des  
 esprits  de  leurs  ancêtres  et  les  invoquent;  il  n’est pas  impossible  même  que  
 leur  conservatisme  tienne  pour  une  part  à  la  crainte  d irriter  ces  esprits  en  
 changeant  quelque  chose  aux  vieilles  coutumes.  Il  arrive  souvent  d après  
 eux  que  les  esprits  des  morts  choisissent  des  animaux  pour  résidence,  et  
 ils  reçoivent  chez  eux  avec  le  plus  grand  respect  tout  animal,  fût-ce  un  serpent, 
   qu’ils  croient  servir  ainsi  de  demeure  à  un  mort.  Cette  croyance  se  
 retrouve  chez  les  Zoulous  et  parmi  les  autres  peuplades  du  Midi  de 1 Afrique. 
   Sur  le  Zambèze  ce  sont  surtout  les  carnassiers  que  l’on  considère 
 1)  Comp.  J.  Büttikofer,  Reisebilder  atts  L ibe ria ,  Leyde,  E.  J.  Brill,  p.  334 
 2)  On  conserve  sous  le  N°  177*  au  musée  royal  d’ethnographie  de  Copenhague  un  damier  de  Madagascar  en  
 tout  semblable,  sauf qu'il  est  plus  grossièrement  travaillé,  à  un  autre,  provenant  de  l’ancienne Côte d’Or hollandaise,  que  
 possède  M.  Muller. 
 comme  servant  d’asile  aux  esprits;  on  a  entre  autres  désigné  à  M,  Muller  
 un  certain  crocodile  et  un  certain  lion  comme  étant  dans  ce  cas. 
 Il  y  a  des  noirs  rusés  qui  parviennent  à  se  faire  passer  pour  posséder  
 le  pouvoir  de  se  changer  en  bête  de  proie,  d’ordinaire  en  lion;  ils  s'entourent  
 de  mystère  et  vivent  à  part.  Les  autres  noirs  les  ont  en  grande  vénération  
 et  leur  font  des  présents,  tant  pour  acheter  leur  faveur  que  pour  
 détourner  leur  inimitié.  Les  hommes-lions  rendent  aussi  des  oracles.  Ce  chef  
 Bonga  dont  il  est  question  plus  loin  en  avait  un  dans  son  parti  à  l’époque  
 de  sa  révolte  contre  le  gouvernement  portugais. 
 Les  indigènes  du  Sud-Est  de  l’Afrique  n’ont  point  de  religion  proprement  
 dite;  on  ne  trouve  pas  chez  eux  d’idoles  et  ils  ne  prient  pas.  Ils  
 croient  pourtant  en  un  pouvoir  supérieur  aux  choses  visibles,  qui  réside  dans  
 l’air  (le  ciel)  et  qu’ils  appellent maloungo  au  Zambèze.  Si  par  exemple  on  fait  
 à  un  indigène  une  question  à  laquelle  il  ne  sache  pas  répondre,  il  dira peno  
 maloungo,  c’est-à-dire:  »Je  ne  sais  pas  le  ciel” ,  ou:  »Cela  dépend  du  ciel” .  
 C ’est  à  ce  pouvoir  qu’ils  attribuent  tous  les  phénomènes  de  la  nature,  et  
 ils  diront  maloungo  foum ba,  »le  ciel  fait  pleuvoir” . 
 On  peut  dire  que  la  superstition  prend  chez  eux  la  place  de  la  religion, 
   et  que  celle  des  prêtres  est  prise  par  les  fetich eiro s ;  ils  appellent  
 feticho  les  objets  auxquels  ils  attribuent  une  influence  surnaturelle  *).  On  
 a  recours  aux  fetich eiro s  pour  découvrir  l’auteur  inconnu  d’un  crime;  ils  
 désignent  alors  le  coupable,  et  se  trompent  rarement.  On  les  appelle  aussi  
 auprès  des  malades,  auxquels  ils  donnent  alors  quelque  charme  enfermé  
 dans  une  petite  corne  ou  dans  une  boite,  que  l’on  suspend  au  cou  du  
 patient.  On  croit  de  plus  qu’ils peuvent  exercer une  influence  sur  la  température  
 et  en  général  qu’ils  possèdent  un  pouvoir  surnaturel.  —  Dans  tout  le  
 Sud-Est  de  l’Afrique  on  est  profondément  convaincu  que  les  malheurs  sont  
 souvent  causés  pas  ^influence  occulte  de  certaines  gens,  et  l’on  en  soupçonne  
 surtout  les  vieilles  femmes.  On  rend  la  vie  dure  à  ces  sorcières,  et  là  où  
 ne  s’étend  pas  le  pouvoir  protecteur  des  autorités  européennes,  on  les  torture  
 souvent  et  les  fait  périr  dans  les  tourments.  Voici  une  note  écrite  dans  
 le  bassin  du  Zambèze,  que  nous  retrouvons  à  ce  sujet  dans  nos  papiers:  
 »J’ai  été  témoin  oculaire  de  l’accident  arrivé  à  un  pêcheur  qui,  étant  ivre, 
 l )   Comp.  D aniel  Veth's  reizen  in  Angola,  pages  143—148.