
viens de parler des idoles, je vais raconter à votre seigneurie
quelques-unes de leurs cérémonies superstitieuses, dont
l’une est celle de la bénédiction du cochon. On commence
cette cérémonie par battre des grandes timballes. On porte
ensùiîe trois grands plats, dont deux sont chargés de poisson
iòti et de gâteaux de riz et de millet cuit, enveloppés
dans des feuilles ; sur l’autre il y a des draps de toile de
Cambaie et deux bandes de toile de palmier. On étend par
terre un de ces linceuils de toile. Alors viennent deux vieilles
femmes, dont chacune tient à la main une grande trompette
de roseau. Elles se placent sur le drap, font une salutation
au soleil, et s’enveloppent des autres draps de toile qui étoient
sur le plat. La première de ces deux vieilles se couvre la
tête d un mouchoir qu’elle lie sur son front, de manière qu’il
y forme deux cornes ; et prenant un autre mouchoir dans ses
mains, elle danse et sonne en même tems de la trompette, en
invoquant de tems en tems le soleil. L’autre vieille prend une
des bandes de toile de palmier, danse et sonne également de
sa trompette, et se tournant vers le soleil lui addresse, quelques
mots. La première saisit alors l’autre bande de toile de
palmier, jette le mouchoir qu’elle tenoit à la main, et toutes
les deux sonnent ensemble de leurs trompettes et dansent long-
tems autour du cochon qui est lié et couché par terre. Pendant
ce tems la première parle toujours d’une voix basse au
soleil, tandis que l’autre lui répond. Après cela on présente
une tasse de vin à la première, qu’elle prend, sans cesser de
danser et de s addrésser au soleil, l’approche quatre ou cinq
fois de sa bouche en feignant de vouloir boire, mais ejle verse
la liqueur sur le coeur du cochon. Elle rend ensuite la tasse,
et on lui donne une lance, qu’elle agite, toujours en dansant
et parlant et la dirige plusieurs fois contre le coeur du cochon,
qu elle perce à la fin d outre en outre d’un coup prompt et
bien, mesuré. Aussitôt qu’elle a retiré la lance de la blessure,
on lâ ferme et on la pansé avec des herbes salutaires. Durant
toute cette cérémonie il y a un flambeau allumé, que la
vieille qui a percé le cochon prend et met dans sa bouche
pour l’éteindre. L’autre vieille trempe dans le sang du cochon
le bout de sa trompette dont elle va toucher et ensanglanter
le front des assistans, en commençant par celui de son
mari ; mais elle ne vint pas à nous. Cela fini les deux vieilles
se déshabillent, mangent ce qu’on avoit apporté dans les
deux premiers plats et invitent les femmes, et non les hommes,
à manger avec elles. On dépile ensuite le cochon au feu.
Jamais on ne mange de cet animal qü’il n’ait été auparavant
purifié de-cette manière, et il n’y a que de vieilles femmes
qui puissent faire cette cérémonie.’’— Premier Voyage autour
du Monde, p. 113, 114, 115.