„ à quatre pieds, femblable à une anguille, groffe comme la jambe, &
„ telle que celle de mer que les pêcheurs appellent congre, lequel étant
„ touché non-feulement avec le doigt, mais même avec l’extrémité d’un
„ bâton, engourdit tellement le bras & la partie du corps qui lui eft la
„ plus proche, que l’on demeure pendant un demi-quart d’heure fans
„ pouvoir le remuer, & caufe même un éblouilfement qui feroit tomber
„ fi on ne prévenoit pas la chûte en fe couchant par terre, & enfuite on
„ revient au même état qu’auparavant. J’ai été témoin de cet effet, &
„ je l’ai fenti, ayant touché ce poilfon avec le doigt, un jour que je
„ rencontrai des fauvages qui en avoient un encore vivant, lequel ils
„ avoient blelfé d’un coup de flèche, & tiré de l’eau avec la flèche même.
„ Je n’ai pu favoir d’eux le noni de ce poilfon : ils difent qu’en frappant
„ les autres poiffons avec fa queue, il les endort, & les mange; ce qui
„ eft aifé à croire, voyant l’effet qu’il produit fur les hommes lorfqu’ils
„ le touchent” c).
Il fe paffa près de foixante & quinze ans avant qu’on apprît quelque
chofe de plus fur ce poilfon; car ce n’eft que vers le milieu de ce fiècle
que Mr. de la Condamine parle dans fes voyages en Amérique d~) d’un
poilfon qu’il nomme puraque, qu’on trouve dans la rivière des Amazones,
& qui produit le même effet. ' C’elt fans doute encore notre poilfon. Mais
Ingram dans une lettre de Towerhill, du mois de Février 1750, nous a
donné des connoiffances certaines fur ce poilfon. Il le nomme torpédo e');
mais il eft évident par la defcription qu’il en donne, qu’il avoit une
anguille tremblante fous les yeux. Il nous apprend en même tems, que
ce poilfon avoit probablement une athmofphère électrique autour de lui;
car lorfqu’il vouloit le toucher avec un morceau de fer, fon bras reffentoit
même avant l’attouchement, une commotion fi forte, qu’il étoit obligé
de lâcher le fer / ) .
Mr. Gravefatid découvrit le premier que cette commotion venoit d’uné
matière éleétrique. Il dit dans une lettre de Rio IJfequebo, du sa Novembre
1755, qu’il écrit à Mr. le profeffeur A llem a n d Ce poilfon fait le même
„ effet que l’électricité que j’ai éprouvée chez vous en touchant la
„ bouteille de Leyde; mais avec cette différence, qu’on ne remarque
„ aucune étincelle, quoique la commotion foit beaucoup plus forte : car
„ quand
c ) Mémoires de I’Académ. des Scienc. de Paris. dionale. 1745. in - 8°. Allgemeine Reif. Tom. VI.
Tom. VII. p. 93. p. 13a.
d ) Voyage de l’Amérique méridionale, in -4 0. e ) Neue phyficalifche Beluilig,Tom. I, p. a88*
1743. Relation d’un Voyage de l’Amérique méri- f ) Au livre cité, p. 190.
D e t ’ A N G P. Ají LE T R E M B L A N T E . 41
„ quand le poilfon eft un peu gros, elle renverfe infailliblement ceux
„ qui le touchent, & on reffent le coup par-tout le corps” g);
Bientôt après, Gronov publia des expériences h ') qu’une perfonne de
fa connoiffance avoit faites en Amérique fur une anguille de cette efpèce;
& elles nous prouvent d’une manière inconteltable l’électricité animale de
ce poilfon. Nous voyons aufii par ces expériences que le fluide éleétrique
fe communique à plufieurs perfonnes, fi la première touche la tête du
poilfon, pendant que la dernière, à une certaine diftance, tient une main
dans l’eau, & que cette matière eft interrompue lorfqu’on touche ce poilfon
avec des corps éleétriques, tels que de la cire d’Efpagne ou de la foie.
Mufchenbroeck qui reconnut ¡’électricité animale z), en donna avis â
l’on ami Nollet. Cependant l’Auteur de l’Hiltoire de l’Académie des
Sciences de Paris, doute encore de l’exiftence de cette matière k'), &
attribue l’effet à certains mufcles, que Réaumur prétend avoir trouvés
dans la torpille /). Mr. le profeffeur Allemand étoit aufli de Cet avis m).
Peu de tems après, van der Latt confirma davantage encore par fes
expériences l’éleétricité animale, en remontrant, qu’en touchant ce poilfon
avec différens métaux, on reffentoit une commotion confidérable, &
qu’on n’en reffentoit aucune, en le touchant avec de la cire d’Efpagne
&c. zz) Fermín alla plus loin encore, il éprouva que quatorze efclaves
qui fe tenoient les uns les autres, reffentoient le coup èn même tems,
lorfque le premier touchoit le poilfon avec un bâton, & que le dernier
tenoit la main dans l’eau,Jg). Les expériences de Bancroft, mettent aufli
cet effet hors de doute p~).
Les expériences modernes que je connoiffe, ont é t é faites par
Williamfon & Garden. Le premier en parle dans fa lettre à Walsh., datée
de Philadelphie le 3 Septembre 1773 7) ; le dernier dans une lettré, à
P ilis ., datée de Charletown le 14 Août 1774 r). Il feroit inutile de
rapporter par ordre toutes les épreuves de chacun d’eux; je ne rendrai
compte que de celles de Williamfon, parce qu’elles montrent clairement
l’exiftence de l’éleétricité animale. L’anguille qu’il choifit avoit trois pieds
fept pouces de long, & étoit épaiffe de deux pouces vers la tête. On
l’avoit apportée de la Guiana à Philadelphie, où étoit Mr. Williamfon.
g ) Neues Hamburg. Magaz. aotes St. p. 1,80. m) Neues Hamburg. Magaz. aotes St. p. xag.
fi) Harlemer Verhandelirig. Tom. III. p. 468* n ) Allgem. Magaz. Tom. II. p. j o j .
A â a Helv. Tom. IV. p. 16. Zooph. p. 4 a . ' o ) Surinam, p. 39.
• i ) Introd. ad Philof. Natur. Lugd. liatav. 176a. p ) Naturgefch. von Guiana. p. 120.
in -4 0. Tom. I. §.,290. ,, y ) Philof. Traniaâ. Tom. LX V . p .9$.
k ) Année i 7’5o .'p . a i . ' r ) Au livre cité, p . roa.
/,), Mémoires de l’Acad. de Paris. Année 1714.
Part. V . L