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gtiera toujours, parce qu’ il fera plus mal fait, qu’elle
aura prefqu’autant de pies derrière que devant ,
& qu’elle fe mé - jugera, c’eft - à - dire, qu’elle ne
mettra pas régulièrement le pié de derrière dans
la trace du pié de devant ; car on appelle fe méjuger
(en fait de/venerie) porter les piés de derrière
au-delà ou en-deçà des pies de devant du
même côté. Dans toutes les figures, c’eft la trace
du pié de derrière qui recouvre celle du pié de
devant. Si la biche va des quatre piés un peu ouverts
; & fi elle a de groffes pinces, elle aura un
méchant talon, ou un talon étroit & la jambe méchante
, ou l’entre-deux des os petit. Si la jambe efl
large, elle aura les os mal tournés & en gardes de
fangliers ; & fi la jambe eft étroite, les os en feront
tout droits : ce qui eft le contraire du cerf, quoiqu’il
foit jeune & qu’il fuive encore fa mere. Car en premier
lieu, il aura le pié de devant plus grand & plus
gros que celui de derrière ; il doit aller le pié de
devant toujours ouvert, porter le pié de derrière
dans celui du devant, & même l’outre-paffer un
peu. Il a d’ailleurs le pié bien mieux fait que celui
de la biche, marche mieux, tourne mieux les voies,
a les allures plus grandes,& va toujours derrière la
biche. Voilà principalement à quoi les jeunes ve-
heurs doivent bien prendre garde ; car c’eft une
des plus utiles connoiffances de la venerie, que de
juger par les allures un cerf qui eft accompagne
d’une bête. II faut remarquer qu’un jeune cerf a les
pinces de devant un peu arrondies, & celles de derrière
un peu plus pointues, les cotes tranchans, le
talon un peu.plus gros que celui de la biche, la
jambe ou l’entre-deux des os plus large, les os bien
tournés en forme de croiffant, & qu’il eft haut
jointé, c’eft à-dire, qu’il a les os loin du talon.
Telle eft la différence qu’il y a entre le pié d’un
cerf & celui d’une biche. On peut aifément après
ces remarques, diftinguer pendant toute l’année le
pié des jeunes cerfs d’avec celui des biches , e »
cepté lorfque les biches font pleines & prêtes à
faire leurs faons, comme dans le mois d Avril qu’elles
font pelantes & marchent plus lentement : car
alors, quoiqu’elles n’ayent pas plus de pies qu’à
l’ordinaire , elles paroiffent en avoir davantage,
parce que leur pefanteur leur fait ouvrir les pies
de devant & appuyer beaucoup du talon ; & comme
l’enflure de leurs flancs les empêche de porter
les cuiffes aufli librement que quand elles ne font
pas pleines, leur pié de derrière demeure au bord
du talon du pié de devant, & c’eft ce qui trompe
les veneurs. C’eft pourquoi en Mars &c Avril; &
jufqu’à ce qu’elles ayent fait leurs faons, c’eft-à-
dire jufqu’au mois de M ay, on ne fauroit y regarder
de trop près. La mi-Juin paffée, comme alors elles
ont toutes fait leurs faons , il n’eft plus fi aifé de
s’y tromper.
Les biches alors vont rarement avec les cerfs,
parce qu’elles font auprès de leurs faons; & quand
ils font un peu forts, elles les promènent, mais
fans beaucoup s’éloigner d’eux.
Si, dans une forêt où il y a peu de cerfs, un
veneur rencontre une bête qui ait beaucoup de
pié, & qui .l’ait paffablement bien fait, foit dans
la faifon où les biches font*pleines, foit lorfqu’elles
n’ont point de faons ; il doit avant que d’en juger,
examiner attentivement les voies fur lefquelles il
eft tombé avec fon limier, pour ne pas prendre
un cerf pour une biche, comme il arrive fouvent
fur-tout dans les lieux où il y a peu de cerfs.
Lorfque l’on n’eft pas sûr d’une bête, il faut en revoir
en plufieurs endroits, & la lancer même, s’il
le faut ; car, pour un endroit où elle fe jugera comme
un cerf, vous reconnoîtrez avec un peu d’attention
en fix autres ce qui en eft. Il ne faut donc
S E*S. . . , .
jamais précipiter fön jugement pàr trop de chaleur*
ou par l’empreffement de* faire fon rapport : car c’eft
l’ordinaire de ces animaux de fuivre alors la première
bête qu’ils trouvent.
Comment on connott par le pii les cerfs de dix cors
jeunement, fig. y & S.
Ce qu’on appelle un cerf de dix cors jeunement,’
eft un Cerf à fa cinquième tête; on lui donne ce nom,
parce qu’il tient alors du cerf de dix cors & du jeune
cerf, & qu’il approche de fa perfeftion.
Le cerf de dix cors jeunement, a beaucoup plus
de pié devant que derrière ; il ne va prefque plus le
pié de devant ouvert, & celui de derrière eft fermé.
Il fe juge bien, c’eft-à-dire, il met toujours le pié
de derrière dans celui de devant, comme on voit
dans la figure, à la différence du jeune cerf, qui du
bout des pinces du pié de devant outre-paffe les
pinces du pié de derrière de la largeur d’un bon
pouce & plus lorfqu’il eft bien en venaifon. Il a encore
la folle plus grande qu’un jeune cerf, les pinces
groffes, les côtés un peu gros, le talon & la jambe
larges , les; os affez gros , tournés en dehors &
commençant à paroître ufés ; il eft aufli un peu bas
jointé.
P L A N C H E I I I .
La vignette de la compofition de Rhidinger, repréfente
la curée qui fe fait en cette forte.
Quand le cerf eft arrivé au quartier de la venerie
, on choifit une place fur l’herbe auprès du chenil
, où l’on fait apporter ( à proportion du nombre
des chiens) deux baquets remplis de pain d’orge
coupe par petits morceaux ; enfuite fi c’eft dans
l’hiver on met fur le feu deux chaudières pleines
d’eau qu’on fait bouillir , & l’on jette dans chacune
trois livres de graiffe, pour en tremper le pain dans
les baquets. Si c’eft dans l’été , au lieu de graiffe ,
on prend deux fceaux de lait fraîchement tiré, ou
bien on fait bouillir une chaudronnée d’eau avec
deux ou trois livres de graiffe, on en trempe à demi
le pain , & l’on y met en^iite le lait. Pendant
que la mouée fe prépare, on renverfe le cerf fur le
dos & on l’emperche , c’eft-à dire , on lui met la
tête fous les épaules pour l’habiller plus facilement.
On commence alors, pour lever la nape ou la peau
du cerf, à incifer les quatre jambes au-deffous des
genoux, & l’on fend cette peau entre les jambes en
montant toujours vers la poitrine jufqu’à la gorge
& au coin des mâchoires : on incife enfuite depuis
la poitrine dans toute la longueur du ventre juf-
qu’entre les cuiffes, & de-là on remonte par les jar-
rêts jufqu’à la queue ; on leve après cela proprement
la nape fans la couper & fans y laiffer de chair.
Pendant qu’on habille le cerf, on fait tenir dans le
chenil un valet pour empêcher les chiens qui fen-
tent leur proie, de crier & de fe battre. Il faut que
les valets de limiers foient préfens, il eft bon même
qu’ils amènent leurs chiens, pour les faire fouler
à la tête du cerf qu’on lèvera pour cet effet après
qu’il fera dépouillé, à moins qu’on ne foit dans la
faifon où la tête des cerfs fe refait, & par confé-
quent eft encore tendre, comme à la fin d’Avril ou
à la mi Mai, auquel cas on leve la tête dès la mort
du cerf pour la porter à la reine, fuivant l’ufage
de la venerie du roi. Dans tout autre tems, il faut
faire fouler les limiers deux à deux à la tête , &
voici comme cela fe fait. On met la tête devant
eux , & on n’en laiffe fouler qu’un à la fois pour
empêcher qu’ils ne fe battent : cependant pour les
animer on les agace l’un contre l’autre, enfuite on
les laiffe un peu manger chacun à leur tour , puis
on les careffe & on les fait retirer.
Quand
C H A S S
Quand On ne peut pas faire fouler les limiers parce
que les cerfs ont mis bas, ou que les têtes fe refont,
on leur donne une partie du droit du limier
qui eft le rognon, le coeur & le foy e , & on leur
parle comme à la chaffe, lorfqu’ils font à fuivre
les vo yes , apris, apres yelleci aller ; & foit qu’ils
foulent à la tête du ce rf, foit qu’on les faffe fouler
au droit du limier , on leur laiffe la botte au c o l,
on leur tient le trait déployé, & on leur parle comme
au laiffer courre. , . ,
Après que le cerf eft dépouillé , ce qui eft l’affaire
des valets de chiens, toit ordinaires, foit particuliers
, le maître valet leve la venaifon & commence
par les menus droits, qui font le mufle, la
langue, les oreilles, les dintiers, le franc-boyau,
la veine du coeur, & les petits filets attachés aux
reins. Si c’eft dans le tems de la cervaifon, on leve
encore les quatre noeuds qui fe prennent au défaut
des épaules & aux blancs attenant les cuiffes : on
pend le tout à un crochet que tient un valet de limier
pour être porté à la cuifine de la bouche du
roi ou de la reine. Pour procéder à l’ouverture du
cerf, on incife d’abord la gorge, on en ôte le gozier
& on le jette , enfuite on prend l’herbiere, on la
coupe & on la fait paffer à travers la poitrine; on
ouvre après cela le defliis du ventre & l ’on en tire
la panfe & les boyaux qu’un valet de chiens va bien
laver, & qu’il apporte enfuite fur les baquets, dans
lefquels fe fait la mouée , pour les couper par petits
morceaux, & les mêler avec le pain: on garde
feulement, comme nous avons dit, le franc boyau
& les petits filets qui font partie des menus droits
deftinés à la cuifine de la bouche. On achevé ainfi
la diffeétion du cerf : on leve les épaules & les grands
filets qui font attachés tout au long du dos , depuis
le deffous des épaules jufqu’aux reins, attenant les
hanches ; on leve enfuite le gros des nombres, qui
fe prend dans l’entre-deux du gros des cuiffes , &
l’on coupe enfin fucceffivement les cuiffes, la jambe
& le cimier ; le coffre & le col reftent pour les
chiens avec la mouée ; & fi l’on veut, on garde les
épaules pour donner aux chiens maigres après la
curée. Après cela voici le partage qui fe fait des
meilleurs endroits du cerf.
Après que les menus droits & la hampe ont été
portés à la cuifine du ro i, on porte le cimier à M.
le grand veneur, puis les grands filets avec une
cuiffe au lieutenant, & le refte fe diftribue ainfi :
le gros des nombres appartient au fous-lieutenant,
l’épaule droite au gentil-homme de la venerie qui
a laiffé courre, & la cuiffe qui refte aux autres gentils
hommes. Les valets de limiers ont l’épaule gauche
, le maître valet de chiens a les côtés du cimier
lorfqu’on ne les leve point, & les autres valets prennent
ordinairement un morceau de foye pour le fri-
caffer, ou bien les flanchards.
On ne manque point de tirer du coéur un petit os
appellé la croix du cerf, qu’on remet au lieutenant
pour la reine, ou pour M. le grand veneur. On prétend
que cet os a la propriété de faciliter l’accouchement
des femmes & de les fortifier, on le leur
fait prendre au fort du travail râpé ou broyé dans
un demi-verre de bon vin blanc , & aufli-tôt elles
font ou ne font pas délivrées.
Pendant la cervaifon qui dure depuis la fin de
Juin jufqu’à la mi-Septembre on donne très-peu de
venaifon aux chiens, parce qu’elle eft trop grafl'e
& leur fait mal principalement dans les grandes
chaleurs : mais au défaut de venaifon, on leur fait'
de bonne mouée détrempée avec du lait & le fang
du cerf, dont on leur abandonne aufli le coffre.
Dans l’hiver on ne leve point de venaifon, on
la réferve pour les chiens à qui dans ce tems elle eft
néceffaire, parce qu’elle leur fait une bonne nourË
S. 9
riture & les réchauffe ; aufli les grandes curées,
loin de caufer aucun mal aux chiens dans l’hiver ,
au contraire elles leur font un bon corps.
Pour achever tout ce qui concerne la curée du
cerf, tandis qu’on l’ouvre & qu’on le vuide, on en
ramafle le fang dans une chaudière pour mêler à la
• mouée , & après qu’il eft dépecé on laiffe le coffre •
fur la nappe. Quand la panfe & les boyaux font coupés
par morceaux dans les baquets avec le pain ,
on y jette l’eau qu’on a fait bouillir avec la graiffe,
& l’on remue le tout pour faire tremper le pain : voilà
comment fe fait la mouée pendant l’hiver ou depuis
l’automne jufqu’à la fin de Maû Dans l’été ,
comme nous avons d i t , au lieu de venaifon on y
met du lait ; on fert la mouée aux chiens fur un grand
drap que l’on étend*à terre auprès des baquets. Lorfqu’on
voit faire la curée il faut fonger à ôter les
gands ; car lorfque les valets de chiens apperçoi-
vent quelqu’un qui a des gands aux mains, ils ont
le droit de les lui ô ter, & c’eft un ufage qui fe pratique
fans exception dans la venerie du Roi depuis un
tems immémorial.
Aufli-tôt que la curée eft prête , le lieutenant v a
trouver M. le grand veneur pour en avertir le Roi,
& en fon abfence l’avertit lui-même. Alors le maître
valet de chiens fe fait apporter par un autre valet,
des houfline5 de coudre ou de bouleau, il en donne
deux au lieutenant, le lieutenant les remet au grand
veneur qui les préfente toutes deux au roi : fa ma-
jefté en choifit une, & le grand veneur garde l’autre.
Pendant tout ce cérémonial le lieutenant, le fous-
lieutenant , les gentilhommes de la venerie, les valets
de limiers & les valets de chiens font préfens >•
ayant tous la trompe en écharpe. S’il fe trouve à la
curée ou des princes ou des feigneurs, le lieutenant
leur préfente des baguettes , & le maître valet de
chiens en diftribue pareillement à toutes les perfonnes
de qualité qui font alors auprès du roi & aux fous-
lieutenant & gentils-hommes de la venerie. Ges baguettes
ne font pas feulement un ornement de la cérémonie
, elles fervent encore à empêcher les chiens
de fe battre pendant la curée, & à les écarter quand
ils s’approchent du roi, ou des perfonftes de fa fuite.
Tout étant prêt, M. le grand veneur fonne avec fa
trompe d’argent pour faire venir les chiens à la
mouée, & aufli-tôt le lieutenant, le fous-lieutenant
& les gentils-hommes donnent tous enfemble ; en
même-tems le valet de chiens, qui eft dans le chenil,
les lâche tous, & ils accourrent à toutes jambes au
fon du cor.
Tandis qu’ils mangent, on ne cefle point de fon-
ner du gros tonde la trompe, comme on fonne pour
chiens à la chaffe, enfuite les gentils hommes de la
venerie , ou dans les équipages des princes les piqueurs
vont au coffre du cerf qu’on a mis à cinquante
pas de-là fur l’herbe & fonnent du grêle de
la trompe pour faire venir les chiens. Là on les égaye
par le fon du c o r , on les flatte, on leur parle en
termes de chaffe, on les nomme la plupart par leurs
noms , & on careffe particulièrement ceux qui ont
bien chaffé. Rien ne les anime davantage, ils entendent
mieux à la chaffe la voix de celui qui leur parle
& fe rallient mieux à fa voix.
Quand tout eft mangé on ôte la carcaffe du cerf,
& pour couronner le feftin, un valet de chien prend
les menus boyaux que l’on a mis exprès à part, &
les élevant au bout d’une fourche de bois, ainfi que
l’on voit dans la vignette, appelle les chiens en leur
criant comme à la chaffe , ho tahaut tahaut, & cette
efpece de deffert s’appelle le forhu. Lorfque tous les
chiens font raffemblés autour de lui, il jette le forhu
au milieu d'eux , & l’on fonne comme à la vue du
cerf. Ce dernier régal ne fe fait ainfi que*pour apprendre
aux chiens à fe rallier auprès des piqueurs,