J V ) PRÉFACE. PRÉFACE. XVII
que pourraient avoir sur lui les contrastes ordinaires ou extraordinaires
que présentent les saisons ou les températures diurnes
et nocturnes, en s'abritant contre le froid ou contre la chaleur
dans des cavernes, dans des nids, sur les montagnes, etc. Tout
cela est impossible aux végétaux, qui subissent impitoyablement
les plus grandes vicissitudes locales, et qui, par conséquent, doivent
traduire l'effet de certains phénomènes à l'influence desquels
l'animal peut se soustraire '. Dès lors, serait-il tellement hasardé
I. En signalant l'importance pour les plantes des influences locales, je
suis loin de vouloir exagérer l'action de la composition chimique du sol,
car j e partage complètement l'opinion de i\l. Thurman et de M. Alphonse
De Candolle, qui admettent que les conditions purement physiques, c'est-àdire
l'état d'agrégation des éléments constitutifs du sol, jouent dans l'influence
de ce dernier un rôle beaucoup plus important que ses propriétés
chimiques.il n'en restera pas moins une foule de circonstances ou d'agents
dont la nature et la portée ont jusqu'à ce jour complètement échappé à
l'appréciation de la science, et qui seules pourront expliquer les curieux
phénomènes que nous présentent certaines espèces qui, dans des conditions
analogues, s'attachent exclusivement à une localité restreinte, ou bien
qui, placées les unes à côté des autres, offrent dans les phases de leur vie
végétale les différences les plus frappantes; j e me bornerai à citer le célèbre
marronnier des Tuileries autour duquel les promeneurs se groupent chaque
printemps pour admirer son épanouissement qui devance d'ime dizaine
de jours celui de ses nombreux voisins. On pourrait dresser un long catalogue
d'exemples de ces prédilections ou de ces antipathies locales dont
aucune cause appréciable ne saurait rendre compte, et j'ai recueilli à ce
sujet de nombreuses et intéressantes observations relatives à l'Orient et
surtout à l'Asie .Mineure, qui trouveront leur place dans le troisième volume
de ma Botanique, où j e discuterai également l'importante question des
espèces disjointes, question sur laquelle M. Alphonse De Candolle a appelé
l'attention des savants, en se livrant à une étude aussi féconde que neuve
sur l'influence que les événements géologiques antérieurs à notre époque
ont pu e.Kercer sur la distribution actuelle de la végétation. Or, même après
avoir appliqué cette ingénieuse théorie à l'èlucidalion de plusieurs phénomènes
dont elle donne la solution, il restera encore une immense quantité
de cas qui y échappent complètement, et en faveur desquels on ne pourra
se dispenser d'invoquer certaines influences inconnues, éminemment
locales et limitées à l'époque actuelle. Parmi une foule d'exemples qui
rentrent dans cette catégorie, je ne rappellerai que celui fourni par les
trois localités du midi de la France, où l'importation accidentelle d'espèces
exotiques ou non indigènes a élé opérée à l'aide de laines étrangères
qui y sont lavées et d'où sont sorties trois intéressantes colonies : Marseille,
Montpellier ( Font-Juvénal ) et Agde (située à 44 kilomètres au S.-O. de
d'admettre que ce qui de nos jours ne peut plus affecter l'invariabilité
de l'espèce dans le règne animal possède encore quelquefois
la force de l'atteindre dans le règne végétal? En l'admettant,
on n a point recours à un nouveau principe, on ne fait qu'une
application plus large d'un principe reconnu; ce n'est qu'une
question de plus ou de moins. On pourrait s'imaginer la création,
de nos Jours, d'une nouvelle espèce à l'aide de gradations
successives telles, par exemple, qu'il serait possible de les admettre
à priori dans la conversion d'une variété d'abord en race,
et ensuite en espèce indépendante. En effet, puisque la race
Montpellier). Or, bien que d'un côté ces villes assez limitrophes offrent la
plus grande analogie sous le rapport de l'altitude, du climat et delà constitution
de leur sol, et que d'un autre côté les laines dont on y fait les lavages
viennent des mêmes contrées, néanmoins chacune de ces trois localités n'admet
que certaines espèces et en exclut d'autres. Ainsi, d'après ÏÈnwméralion
des plantes étrangères observées aux environs d'Agde, par MM. P. Lespinasse
et A.Theveneau (V. Bull. Soc. bol . de France, T. VI. p. 648), sur 91 espèces
ou variétés signalées à Agde, cinquante-neuf se retrouvent également au
Pont-Juvenal et à Marseille, tandis que trente-neuf au moins sont exclusivement
propres à Agde! Et cependant, lorsqu'on voit parmi ces plantes si
singulièrement localisées des espèces qui, comme le Tripolium Constan-
TiNOPOLiTANUM Ser. et le T i u f o l . Balans.e Boiss., sont originaires de Constantinople
et deSmyrne, il est impossible d'admettre que parmi toutes les
laines apportées depuis un siècle de ces deux villes à Marseille, à Montpellier
et à Agde, celles débarquées dans cette dernière localité aient été constamment
les seules à renfermer les graines des Papilionacées sus-mentionnées;
de même on ne conçoit nullement pourquoi certaines espèces espagnoles
et algériennes se soient laissé importer exclusivement à Agde et non à
Montpellier et à IMarseille, puisque les communications entre ces trois villes
et l'Espagne ou l'Algérie sont exactement les mêmes et ont pour objet
des articles de commerce parfaitement identiques. Or, la même espèce
animale introduite de Constantinople, de Smyrne, de l'Espagne ou de l'Algérie
à Mai'seille, à Montpellier et à Agde, ne traduira jamais les différences
inappréciables qui se présentent entre le climat de ces trois dernières localités,
au point de pi'ospérer dans l'une et de s'éteindre immédiatement dans
l'autre; ou elle acceptera les trois localités au môme titre, ou elle les refusera
également. Il est donc évident que dans le cas su.s-mentionné on doit
tenir compte de certaines influences locales inconnues, très-sensibles pour
le règne végétal, mais sans aucune valeur pour le règne animal, et puisque
ces agents locaux et mystérieux se manifestent d'une manière si énergique
dans l'admission ou l'exclusion de certaines espèces végétales, ils pourraient
bien aussi posséder le pouvoir d'imprimer des modifications plus ou
moins importantes aux espèces qu'ils auront acceptées.
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