v i l i PBÉFACE, P R É F A C E . I \
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définitions de l'espèce qu'il y a d'auteurs qui s'en sont occupés, en
sorte qu'après tant de siècles d'efforts et de tentatives, nous ne
posséderions peut-être pas encore une déiinition généralement
valable, si M. Geoffi-oy Sainl -Hi lai r e ne fût pas lieureusement parvenu
à l'énoncer ainsi : « L'espèce est une collection ou suite d'individus
caractérisés par un ensemble de traits distinctifs dont la transmission
est naturelle, régulière et indéfinie dans l'ordre actuel des
choses » En admettant la définition de l'espèce telle qu'elle a
été formulée par M. Saint-Hilaire, il e n résulte nécessairement que
toute différence spécifique suppose deux conditions, savoir : que
parmi les traits de dissemblance , ceux qui servent de traits distinctifs
soient non-seulement transmissibles, mais encore d'une
certaine importance absolue^, et qu'ensuite les caractères dont la
valeur aura été démontrée soient réellement transmissibles, ou,
ce qui revient au même, soient doués du degré requis de fixité.
Pour réaliser la première condition, il est indispensable de se
r e n d r e conq)te de la nature même des organes, alin de proport
i o n n e r l'importance des caractères distinctifs à l ' importance du
flue ou impossible toute distinction spécifique. Ainsi Théophraste, Hist.
pl. 8, 47, admet la métamorpliose du froment et de l'orge en Lolium temulenlum;
selon Pline, 18, 17, 44, l'avoine n'est qu'une dégénérescence de
l'orge, et Galenus, De alim. facult. 1, 37, nous apprend que son père avait
fait une série d'expériences, par lesquelles il par\'int à constater que le
froment se conyert i t^n Lolium, l'oi-ge en JEgylops, le millet (<parà;) en Vicia
cracca (ÀPAXC?), en Coronilla securidaca (KSAEXÎVOÇ) et en Galium aparine
IÂ-A=IVT,); c'est-à-dire que, selon Galenus, il y aurait une transition naturelle
non-seulement entre les especes d'ordres différents, mais encore entre les
espèces appartenant à des classes différentes, et nommément enire les dicotylédonées
et les monocotyledonées.
1. V'oy. Histoire naturelle générale des règnes organiques, t. I l , partie
deuxième, p. 437. La définition de M. Saint-Hilaire n'est pas seulement un
résumé ptiilosopiiique et critique des opinions de ses prédécesseurs, c'est
l'expression la plus complète qui ait été donnée jusqu'à ce jour de toutes
le- exigences de la science, si admirablement analysées par ce savani dont
le moindre mérite est de justifier le nom célèbre qu'il porle.
2. Il peut y avoir certains traits distinctifs qui se transmettent régulièrement
et indéfiniment et qui cependant, par leur pou d'importance physiologique,
constituent plutôt des nuances que des caractères spécifiques;
ainsi, pour les végétaux, la taille, certaines teintes, la présence ou l'absence
de certains poils ou cils, etc., pourraient souvent être dans ce cas.
rôl e qu'ils jouent.dans l'économie vitale. Or, la réalisation de
cette tâche est bien plus difficile poui- le règne végétal que pour le
règne animal. Dans la zoologie, l'élude physiologique des organes
est facilitée i)ar la manière beaucoup plus précise et plus appréciable
dont se manifestent et s'encliaînent les phénomènes de la
vie chez le^ animaux que chez les végétaux, et souveiit aussi par
les dimensions des organes généralement plus considérables chez
les premiers que chez les seconds. Il s'ensuit que tant que la
physiologie et l'organogénie ne nous auront pas éclairés plus
que nous ne le sommes aujourd'hui sur le rôle véritable réservé
dans l'économie vitale aux diverses parties qui constituent les
végétimx', nous ne serons jamais parfaitement certains si les
caractères spécifiques que nous empruntons à tel ou tel caract
è r e transmissible ou non transmissible sont physiologiquement
importants ou seulement d'une nature tout à fait subordonnée.
Mais lorsque la physiologie nous aura indiqué ceux des caractères
dont la transmissibilité nous intéi'csse réellement,, il restera
toujours à constater cette transmissibihté même, c'est-à-dire
à s'assurer si l'importance physiologique conserve toute sa portée
sous l'influence du cbangenient dans les conditions du sol, du
climat et de l'alfitude, et si ce qui s'était présenté à nous avec
toutes les attributions requises de fixité et d'invariabilité n'est
pas susceptible de se modifier d'une manière plus profonde que
n e le comporteraient les phénomènes du polymorphisme, ou bien
ceux des races exclusivement dépendantes des agent s souvent artificiels
qui les ont fait naîire. Or, bien peu de caractères qui servent
de base à notre classification botanique ont été soumis à
cette double épreuve. Aussi, si pour le moment la réunion d'une
quantité considérable de traits distinctifs dont on ne connaît pas
t o u j o u r s suffisamment la véritable valeur laisse planer encore
1. En di.sant combien il reste encore à faire à l'anatomie, à l'organogénie
et à la physiologie végétales, je suis bien loin de méconnaître tout ce qui
a déjà été fait de nos jours dans cette voie par des savants tels que Hugo
Molli, Gceriner, Kolrenter, Decaisne, Hofmeister, Payer, Chatin, Naudin,
Schaht, Thuret, Trécul, Al. Braun. Schleiden, et plusieurs autres dont les
noms figureront toujours parmi les promoteurs de ces sciences, trop jeunes
encore pour qu'elles n'aient pas le droit de considérer comme très-modestes
leurs richesses actuelles comparées à celles qu'elles posséderont un jour.