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le mènie individu placé dans diverses conditions hypsométriques'
et ciiiiniques nous aura permis de décider si l'importance
physiologique des organes végétanx est toujours proportionnée
au degré de lixité et d'invariabilité que doivent avoir les caractères
destinés à servir de hase aux distinctions spéciliques ^ Or,
voilà précisément la question à laquelle la géographie botanique
sera à môme de nous donner la réponse; en sorte que, de concert
avec la physiologie végétale, elle est appelée à opérer un jour une
véritable révolution dans la classilication de notre science, ce qui
naturellement exposei-a cet édifice, en partie artificiel, à un tel
remaniement que l'on y verra disparaître non-seulement beaucoup
d'espèces et de genres, mais peut-être même plus d'mi
ordre.
Il est évident qu'à peine sortie de son berceau et se débattant
encore dans ses langes, la géog-raphie botanique ne sera capable
de rendre les services que l'on est en droit d'attendre d'elle que
lorsqu'elle aura à sa disposition tous les éléments nécessaires à
l'établissement d'une théorie basée sur des faits positifs et nombreux.
Ge n'est qu'après avoir passé par le creuset d'épreuves
multipliées, que les végétaux pourront nous révéler la véritable
nature de leurs caractères distinctifs; en sorte que si d'un côté
I. Comme il serait fort difficile de soumettre chiaque espèce à l'épreuve
des cliangements cUmalériques en l'étudiant successivement sous des latitudes
variées, on pourra provisoirement se contenter des résultats approximatifs
que I on obtiendrait si Ton cultivait une espèce dans le même lieu
en lui faisant parcourir successivement des altitudes diverses, ce qui traduirait
en quelque sorte les latitudes par des équivalents altitudinaux.
Ainsi, comme deux degrés de latitude et -175 mètres d'altitude correspondent
à peu près à un degré de température, toute espèce dont la station
. aura été élevée ou abaissée de 350 mètres sera censée avoir changé d'un
degré de latitude en plus ou en moins.
%. L'une des méthodes les plus rationnelles et les plus concluantes qui
aient été jamais employées pour la détermination de l'espèce est sans nul
doute la méthode des hybridations, si ingénieusement développée par
M. Naudin, et qui, comme le fait remarquer cet excellent observateur, a
pour but de nous découvrir le point où une espèce commence et celui où
elle finit. Or, rien ne pourrait mieux contrôler la valeur des conclusions de
cette méthode que l'épreuve qu'on leur ferait subir à l'aide des principes
de la géographie botanique, en répétant dans les conditions climatériques
les plus variées les expériences faites à Pariç,
P R É F A C E . XV
nous sommes indubitablement amenés un jour à condanmer un
grand nombre d'espèces actuellement admises, d'un autre côté
nous pourrons peut-être nous trouver dans le cas de reconnaître
une valeiu' spécilique à certaines modifications importantes que
ces épreuves auront fait subir aux individus de la môme espèce,
ce qui naturellement nous forcera alors d'admettre la possibilité
de la création de nouvelles espèces à l'époque actuelle. Sans attacher
une importance exagérée aune hypothèse dénuée pour le
moïnent de toute preuve positive, il serait difficile cependant de
se dissimuler que, sous plus d'un rapport, elle n'a rien de déi'aisonnable,
et qu'elle n'est nullement susceptible d'être réfutée à
priori, parce qu'elle est loin d'être en contradiction avec la définition
même de l'espèce telle que l'a formulée M. I. Geoffroy Saint-
Hilaire, et telle qu'elle peut être admise comme l'expression la
plus l'igoureuse de l'état actuel de la science. En effet, si, ainsi
que M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire l'a prouvé, l'invariabilité de
l'espèce n'est que limitée à l'ordre actuel des choses, tandis que le
changement du milieu ambiant a pu et a dû créer de nouvelles
espèces par la modification des anciennes, il en résulte nécessairement
la question de savoir si l'effet d'un changement donné
dans le milieu ambiant est le même pour le règne animal que pour
le règne végétal, et si ce changement, incapable de déterminer la
variabilité de l'espèce dans l'un, est également hnpuissant pour
opérer ce phénomène dans l'autre. Évidemment l'effet produit
par le changement du milieu ambiant est proportionné au degré
de dépendance dans lequel les êtres organisés sont placés à l'égard
de ce milieu ; or, son action est infiniment plus forte et plus efficace
sur les végétaux que sur les animaux, et cela notamment
pour deux motifs : par la faculté de locomotion et par la faculté
de l'instinct que possèdent les animaux, facultés qui font que tandis
que ceux-ci ne sont qtie l'expi-ession indirecte et atténuée de
l'action des agents extérieurs au milieu desquels ils vivent, les végétaux,
au contraire, eu sont l'expression rigoureuse et infaillible.
La faculté de locomotion permet à l'animal de quitter les endroits
(|ue des causes diverses ont rendus moins propres à son habitation ;
il se retire des contrées dont les forêts ont été détruites pour aller
les chercher ailleurs ; il abandonne les terrains inondés ou privés
de leurs irrigations habituelles ; de plus, il atténue l'action