I l l PRÉFACE.
PRÉFACE. X l l I
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a perdu le [ri)3unal le plus puissant qu'elle croyait posséder pour
le contrôle et la constatation de la validité des espèces, et il ne lui
reste plus que des caractères qui, à cause de lenr nature encore
plus ou moins douteuse, ne sauraient être employés autrement
qu'en masse ou dans leur ensemble, afin que le nombre compense
la qualité, et que, ne pouvant pas toujours être pesés, ils
puissent du moins être comptés '.
1. La perte d'un critérium aussi imporlant et aussi i'ortemenl tranché
qu'eût été celui de la stérilité absolue des hybrides esf sans doute un
mécompte très-douloureux pour les sciences biolosiques en général, mais
bien plus encore pour la botanique qnp pour la zoologie, car le règne animal
(surtout dans ses classes supérieures) est infiniment plus riche que le
règne végétal en trails caractéristiques susceptibles de fournir des éléments
de distinction. Non-seulement les animaux présentent des organes
plus complexes et plus nombreux que les végétaux, mais encore les premiers
ont sur les derniers cet avantage : qu'aux caractères purement matériels
et palpables, viennent se joindre des caractères puisés dans des facultés
qui sont complètement refusées au règne végétal, telles que les
sentiments d'alFection ou de répulsion mutuelle, les moeurs, l'instinct, etc.
Sans doute des traits fondés sur cet ordre de choses ne suffisent point
pour motivera eux seuls l'assimilation ou la disjonct ion des types animaux;
mais, ajoutés aux caractères plus solides, ils sont quelquefois de nature à
consolider ou à infirmer la valeur de ces derniers. D'ailleurs, ils pourraient
souvent servir de contrôle dans les investigations relatives à l'origine de
c e r t a i n s animaux apprivoisés ou domestiques dont nous ne connaissons plus
avec certitude les souches à l'état sauvage. Ainsi, pai' exemple, des considérations
de cette nature offriraient quelque importance dans la question
d e s a \ oirsi le chacal (Canis aurensL.) est véritablement la souche de notre
chien domestique f Canis familiaris L.). Cette question, traitée par M. Isidore
Geoffroy Saint-ffilaire (Hist, naturelle générale des règnes organiques.,
t. III, première partie, p. 101-118) a\ec la sagacité et l'érudition qui lui
sont propres, a été décidée affirmativement, cl cela avec une logique d'autant
plus rigoureuse que l'illustre savant base son opinion non-seulement
sur des caractères physiques, amis encore sur les traits de ressemblance
qu'il admet entre les moeurs respectives du chacal et du chien. Or, c'est
cetie dernière similitude qui est pour moi l'objet de certains doutes queje
me promets de soumettre à l'éminent zoologiste. Malgré les assertions de
Guldenstïidt et de l'allas, jamais, pendant douze années de pérégrinations en
Asie Mineure, terre classique du chacal, je n'ai [)U constater ni son apprivoisement,
ni ses sympathies pour l'homme, ni la naissance d'hybi'ides entre
ces deux espèces à l'état sauvage { bien que ces hybrides aient été produits
plus d'une fois en Europe dans les ménageries). Partout et toujours j e n'ai
eu que des preuves de l'insurmontable aversion de cet animal pour le chien
Or, lorsqu'on se demande quelle voie directe nous conduira à
la connaissance vraiment qualitative des caractères spécifiques, il
est difficile de ne point admettre qu'il ne nous sera possible d'y
arriver que lorsque d'un côté la physiologie nous aura éclairés
sur le rôle véritable de chacun des organes constitutifs des végétaux,
et que de l'autre côté l'observation des influences que subit
et vice versâ. Lorsque, le soir, ma tente se trouviiit saluée par la voix de
quelques chacals, cet orchestre naissant provoquait chaque fois une véritable
explosion de la part de tous les chiens des villages limitrophes, villages
dont souvent je ne découvrais la présence que par cette espèce de feu
roulant d'aboiements. Au dire de tous les habitants, jamais chien égaré
au milieu d'une bande de chacals n'échappa à leur fureur, de même qu'il
était impossible d'arracher ces derniers à leurs implacables adversaires,
lorsqu'ils avaient la maladresse de se laisser surprendr e par eux, chose trèsrare,
car il n'y a pas deux autres animaux peut-être qui ( en Asie Mineure
d u moins ) s'évitent aussi soigneusement. Le chacal n'approche de l'homme
qu'en voleur'^, mais jamais en ami ou en suppliant. Quand il est découvert,
sa fuite est tellement précipitée que jusqu' à ce jour je ne suis pas encore
parvenu à en tuer un seul, malgré les innombrables amorces que j'ai brûlées
en honneur de ces visiteurs aussi importuns que mystérieux, genre d'insuccès
que je partage au reste avec tous les chasseurs du pays qui, pour
s'emparer de l'insaisissable animal, ont recours non à l'arme à feu, mais à •
la ruse, en lui tendant des pièges. Aussi, si Guldenstiidt et Pallas le qualifient
« animal humanissimum, homini amicum, » il faudra prendre ces épithètes
dans un sens at)posé et désigner par humanissimum tout animal qui
s'attache à l'homme soit pour le voler, s'il ne peut faire que cela, soit
pour le tuer, si ses forces et son courage le lui permettent. Dans ce dernier
sens, le tigre et la hyène seraient des ammalia humanissima par excellence,
et même homini arnica, en qualifiant d'amitié (dans tous les cas
fort intéressée) toute tendance qu'un animal éprouve à se rapprocher de
l'objet de ses désirs. J'ignore si le caractère quej e viens de tracer est également
applicable au chacal des autres régions, mais j e puis assurer que
c'est celui qu'il a dans toute l'Asie Mineure, et même dans les parties de la
Turquie d'Europe habitées par ce cai-nassier. Il n'en est pas moins vrai que
plus l'identité entre le chacal et le chien se trouve physiquement démontrée,
plus on est étonné de voir que ces deux animaux n'ont pu jusqu'à
présent se rapprocher l'un de l'autre dans un pays où, ainsi que je l'ai fait
observer (loc. cit., p. 7o8), les antipathies beaucoup plus fondées (puisqu'il
s'agit d'animaux appartenant à deux familles diflerentes) que les
anciens avaient signalées entre le chameau et le cheval ont été complètement
effacées par leur longue habitude de se voir ensemble.
• Voyez le passage curieux de Pierre Beton que je cile dans ninn ASIE MINEURE, deiixièinf
partie, Zoologie, p. 601.