
« deux mots fynonymes, ou qu’on prenoit indifféremment l’un pour l’autre;
» & comme ce qui donnoit le nom aux fêtes étoit devenu par-tout l’objet
« d’un culte infenfé , les Mânes ou les Morts devinrent aulli l’objet révéré
.. dans les cérémonies- mortuaires. La facilité étrange avec laquelle on divi-
» nifoit les moindres parties de l’Univers, donne lieu de concevoir comment
» on prit l’habitude d’adreffer des prières, des voeux, & un culte religieux,
„ à des Morts qu’on avoit aimés, -dont on célébroit les louanges, & qu’on
„ croyoit jouir des lumières les plus pures, après s’être dépouilles, avec le
» corps, des foibleffes de l’humanité.
» Les anciens facrifices n’étoient pas feulement Euchariftiques. Des le
» temps qu’on honorait encore le Très-Haut, ils étoient regardés comme une
» alliance qu’on faifoit avec lu i, & par laquelle on s’engageoit à lui être fidèle.
» Cette idee étoit magnifique, touchante & inftructive. Je n’en rapporterai
» ici ni les raifons ; on les fent, ni les exemples ; toute l’Écriture en eft pleine.
» Rien n’étoit plus capable d’ennoblir les fêtes, & de tenir les Peuples dans
« de «ronds fentimens de refpeét &’ d’amour, que la penfée d’aller paraître
» devant le Seigneur, de contracter, & de converfer avec lui.
» L ’Idolâtrie altéra cette perfuafion ; mais elle ne la détruifit pas. Tpus
» les Peuples en facrifiant, foit aux Dieux qu’ils s’étoient faits, foit aux Morts
» dont la mémoire leur étoit chère, croyoient faire alliance avec eux , s’en-
» tretenir avec eux, manger avec eux familièrement. Mais cette familiarité
» les occupoit fur-tout dans les affemblées mortuaires, ou ils étoient encore
ù pleins du fouvenir des perfonnes qu’ils avoient tendrement aimées , & qu’ils
» croyoient toujours fenfibles aux intérêts de leur famille & de leur patrie.
» Nous avons remarqué ci-devant de quelle façon la cupidité & l’ignorance
« ayant rendu tous les hommes indifférens pour kl juftice, les avoient trompés
» fur l’objet de leur culte, & avoient enfuite converti tout ce qui en faifoit
» partie, eft autant de moyens d’être foulages dans leurs maladies , ou d’être
» inftruits & précautionnés pour l’avenir dans tout ce qu’ils entreprenoient.
» Tout leur parloir dans la Nature. Les oifeaux dans le C ie l , le? Serpens ,
„ & les autres animaux fur la Te r re , un fimple bâton dans la main dé leur
» Miniftre, & tous les inftrumens de la Religion étoient autant d’Oracles ,
» ou de Signes Prophétiques. Ils lifoient dans les Aftres, &c les Dieux leur
„ adreffoient la parole, ou leur fignifioient leur volonté d’un bout de la Na-
» ture à l’autre. C ette Religion avare & groflière, qui n’alloit plus aux Dieux
„ que pour les queftionner fur des affairés d’intérêt;, étoit toute aulfi curieufe,
» & croyoit avoir droit d’être encore mieux fervie dans les facrifices funèbres
,, que dans tous les autres. O n y avoit affaire à des Dieux amis, &t qui ne
« pouvoient manquer, par l’intérêt qu’ils prenoient encore à la profpérité de
a. leur famille, d’y faire connoître à temps ce qui pouvoit l’aider ou lui faire
.a tort. Tout l’appareil des funérailles fut donc ençore interprété comme
» celui des autres fêtes, & le tout fe convertit en autant de moyens de di-
a» vination.
>a Les cérémonies des Mânes , quoiqu’elles ne fuffent que la feule pra-
a> tique des affemblées des premiers temps, fe trouvant, en.tout point, diffé-
» rentes de celles qu’on obfervoit dans les autres fêtes, parurent etre autant
» de façons particulières de converfer avec les Morts, & d’obtenir d’eux les
» connoiffances qu’on délirait. Hé ! qui pouvoit .douter alors que ce ne fût
» pour converfer familièrement avec fes anciens amis, qu’on s’affeyoit autour
» de la fo ffe, où Ion avoit jetté de l’huile, de la farine & le fang de la vic-
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rime, après l’avoir égorgée en leur honneur ? Pouvoit- on douter que cette
foffe fi différente des autels relevés vers le C ie l , ne fût une cérémonie convenable
, & particulièrement affeétée aux Morts ? Il étoit évident que les
Morts prenoient plaifir â ces repas, & à ce qu’on verfoit fpécialement pour
eux dans'la foffe. .Ils venoient fans doute confommer le miel, & les liqueurs
qui y difparoiffoient ; & fi l’on fe contentoit de leur préfenter des
liqueurs, c’eft que leur état de Morts ne pouvoit s’accoutumer de nourritures
croffières. O n fe repaiffoit donc de cette idée folle, que les Ombres
venoient boire ou goûter ces liqueurs à longs traits , tandis que les Parens
mangeoint le refte du façrifice fur les bords de la foffe.
» Après le repas pris en commun entre Morts & Vivans , venoit l’interrogation
, ou l'évocation particulière de lame pour qui étoit le facrifice, &
qui devoit s’expliquer. Chacun fent qu’il y avoit un inconvénient à la
cérémonie ; c’elt que les Ombres ne vinffent en foule prendre part à cette
effufion dont elles étoient fi avides, & ne laiffaflènt rien â l’Ombre chérie
pour qui étoit la fête. O n y remédia. Les Parens faifoient deux foffes ;
, l’une où ils jettoient du v in , du miel, de l’eau & de la farine pour occuper
i le gros des Morts ; l’autre où ils verfoient le fang de la viélime qu’on vou-
, loit manger en famille. Ils s’affeyoient fur le bprd de cette dernière ; &
, ayant leur épée auprès d’eux , ils écartoient parla vue.de cet inftrument le
», commun des Morts-peu fenfibles â leurs affaires. Au-contraire ils|invitoient
> nommément le Mort qu’on vouloit fêter ou confulter. O n le prioit de
> s’approcher. Les Morts ne voyant pas la de fûreté pour pux, sattroupoient
> par effains autour delà première foffe, dont l’accès étoit libre, & aban-
» donnoient honnêtement l’autre à l’Ame privilégiée, qui avoit droit fur 1 o-
». blati-qn, & qui étoit au fait des affaires fur lefquelles devoit rouler la
> confultation. v f
,, Les queftions des Yivans étoient diftineftes & faciles â entendre. Les re-
» ponfes, quoique très-certaines, n’étoient ni fi promptes , ni fi aifees à
» démêler. Mais les Prêtres qui avoient appris dans leur labyrinthe a entendre
» la voix des D ieu x , les réponfes des Planètes,' le langage des Oifeaux , des
» Sçrpens & des Inftrumens les plus muets , parvinrent aifément à entendre
,, les Morts, & â être leurs interprètes. Ils en firent un A r t , dont 1 article
». le plus néceffaire, comme le plus conforme à l’état des Morts, etoit le
, filence & les ténèbres. Ils fe retiraient dans des antres profonds. Ils jeû-
» noient & fe couchoient fur des peaux de bêtes immolées. A leur réveft ,
» ou,après une veille plus propre a leur troubler le cerveau qua leur révéler
.» les chofes cachées , ils donnoient pour reponfe la penfée ou le fon^e qui
.» les avoit le plus frappés. O u bien ils ouvraient certains livres deftines pour
i> cet ufage ; & les premières paroles qui fe prefentoient a 1 ouverture, étoient
» juftement la prédidûion attendue. O u bien le Pretre , quelquefois^ Par-
» ticulier qui venoit confulter , avoit foin, au fortir de 1 antre, de prêter 1 o-
reille aux premières paroles qu’il ferait poffible dentendre, de quelque
»> part qu’elles vinffent, &c elles lui tenoient lieu de réponfes. Ces paroles
,, affurément n’avoient aucun rapport lié avec l’entreprife dont il etoit quel-
» tion ; mais on les tournoit en tant de façons, & on les violentoit fi rude-
» ment, qu’il falloit bien quelles fe prêtaffent quelque peu. Il- netoit point
» du tout rare qu’il s’y trouvât une apparence de rapport. Souvent au lieude's
» moyens précédens, on employoit les Sorts, ceft-a-dire, nombre de^billets
» chargés de mots à l’aventure, ou de vers, foit connus, foit fabriques noum
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