
AMPH ITH EA TR E D’EL-DJEM DANS LA RÉGENCE DE TUNIS (ANTIQUE T H Y S D R U S l
A une soixantaine de kilomètres de Soussa, dans la dircclion de Sfnx cl à line petite journée de marche
de là nier, on trouve les ruines de l'antique Thj'sdrus. Elle s’annonce magnifiquement à l'explorateur par
un vaste parallélogramme qui domine l'horizon cl quel'on découvre de très loin. Du moment où le voyageur
aperçoit celte forme cl qu'on lui apprend que c'est celle d'un édifice, il prend courage et se croit bientôt
arrivé; cependant, si ce n'est pas dans l’avant-midi que ce monument a été aperçu, il marche, marche tout
le jour cl finit par être surpris par la nuit avant d'avoir atteint le but ; le lendemain il chemine encore
longtemps du côté de ce parallélogramme qui n’est toujours qu'une silhouette encadrée de trois côtés fiar
le ciel; car ce monument fait illusion sur sa grandeur réelle, il se voit à la distance d’une journée de marche
avant qu'on ne puisse distinguer les détails de sa masse et juger de l'importance colossale de cet amphithéâtre.
Il est situé sur un plateau peu élevé et d'une convexité méplate, mais qui domine l’horizon de toutes
parts. Les autres ruines de Tbysdrus sont éparses autour de cet édifice, principalement au sud cl à l'est; elles
ne présentent que des monceaux de décombres, ou l’on observe de nombreux débris de marbre et d'ornements
et une grande richesse archéologique, pour peu que l'on fouille le sol.
El-Djcm, la ville actuelle des Arabes, est modestement assise au pied de ce colossal amphithéâtre,
qu'elle circonscrit en partie en s’étendant un peu au sud et à l’est. Ce monument est, encore de nos jours, l’une
des plus vastes et plus belles ruines du continent africain ; son grand axe présente une longueur de 119 mètres
Cl le petit une largeur de 121. On pense qu’il fut construit sous Gordien l’Ancien. C’est, en effet, comme le
fait remarquer M. Canina, alors que ce prince résidait à Tbysdrus comme proconsul sous le règne d'Alexandre
Sévère, que ce pays semble avoir acquis sa prospérité. Gordien l’Ancien s’y fit tellement aimer dans son
administration, qu'on le comparait à Scipion; cl ce fut dans la même ville que, déjà vieux, il reçut la pourpre
impériale. Ce prince aimait particulièrement les grands spectacles : il en donnait douze par an, où combattaient
un grand nombre de gladiateurs ainsi que des animaux. (Capilolin, Les trois Gordiens, c. 3, S et 33.)
L’amphithéâtre d’EI-Djem présente beaucoup d’analogie avec celui de Flavicn à Rome (le Colisée): les
précinclions ou divisions de gradins, de même que les biiltei, ou murs de ceinture, qui les séparent, sont
disposées de la même manière. Malheureusement Cet édifice est actuellement livré au pillage; les habitants
y travaillent journellement comme dans une carrière pour se procurer les matériaux dont ils ont besoin
Ce fut en 1710 que l’on commença à porter la main sur ce monument. Les Arabes, s’étant révoltés, se
retranchèrent dans cet édifice, et commencèrent la destruction de la partie supérieure de l’atlique pour lancer
des pierres sur les assiégeants. On voit encore sur plusieurs parties de son pourtour, principalement au nord-
est , les murs criblés de trous faits dans le grès par les balles des assiégeants. Les rebelles ayant été vaincus,
Mohamincd-Bcy, qui gouvernail alors, fi: pratiquer une brèche, de la largeur de quatre arcades, sur l’extrémité
sud-ouest du grand axe en rasant du haut en bas les constructions correspondantes à trois piliers, afin
que cet édifice ne pût plus servir au même usage. Depuis ce temps, les Arabes n’ont cessé l’oeuvre de destruction.
M. Pélissier, qui visita cet édifice quelque temps avant moi, pense (Description de la régence de Tunis)
que ce monument n'a jamais été achevé, que peut-être ses gradins étaient en bois, etc-, et doute que la
brèche ait été faite après coup, suivant la tradition arabe, qui ne lui présente rien de certain. Il allègue, à
l'appui de celle opinion, que les pierres, dans la brèche, lui paraissent de la même teinte que les autres et lui
semblent plutôt des pierres d'attente que des arrachements. Au contraire, je Irouve lù des indices certains de
démolitions : sur les joints des retombées de voussoirs qui, lui semblent des pierres d'attente, pn voit des parties
minces de mortier, encore adhérentes à la pierre, qui ont évidemment été moulé,es entre les deux pierres
qui se joignaient. Les sallicsdo voûtes en blocage restées en suspend ont certainement été posées sur des
Les voûtes en blocage qui soutenaient les gradins cl les escaliers présentent, sur leur extrados, des rugosités
ou inégalités qui indiquent qu’elles soutenaient des maçonneries, c'est-à-dire des marches et des gradins
en pierre et non des gradins en bois, dont on ne voit nulle disposition propre à le? recevoir. D'aillenrs,
en tout, on reconnaît la marche très rationnelle qu'ont suivie les démolisseurs. D'abord ils ont dû dépouiller
le monument de scs marches et de ses gradins, qui étaient en même temps les matériaux les plus faciles à enlever
et les plus avantageux pour les constructions arabes ; après avoir ainsi découvert les voûtes en blocage,
on s’est rejeté sur les parties supérieures de la construction, qui ont été enlevées jusqu’à l’extrados des arceaux.
Là s'arrêtent les démolitions, soit à un étage, soit à un autre, ainsi qu’on le voit par les planches photographiques,
parce qu'en clfct ce point présente plus de difficultés et même des dangers pour les Arabes. On remarque
aussi que les pierres de la façade extérieure, plus faciles à précipiter que celles du balteus, ont eu la
préférence sur celles-ci. Enfin, tout montre la destruction progressive de cet édifice. Quant à son action actuelle,
elle est assez facile a constater parles chantiers d’ouvriers qui y sont installés comme dans une carrière.
La partie la plus élevée des constructions, que M. Pélissier désigne comme étant un attique moins élevé
quccclui du Colisée, est une partie du dernier balteus ou mur qui devait supporter la colonnade d'unïpor-
liquc supérieur. Quant à l’altique, dont les matériaux étaient plus faciles à précipiter en dehors, il n'en reste
plus rien ; mais, d'après la hauteur du mur intérieur de la dernière précinction, on est conduit à reconnaître
que cet attique avait une hauteur plus forte que celle des autres étages, puisqu'elle devait comprendre la
hauteur des gradins de la dernière précinction, plus celle nécessaire pour soutenir le velarium. D’ailleurs la similitude
de cet édifice avec l'amphithéâtre Flavien, le fait aussi pressentir. Cet attique devait comporter des
consoles et tous les accessoires propre à tendre le velarium pour garantir les spectateurs des rayons du soleil,
précaution plus importante encore ici que dans des régions plus tempérées, où celte tenture était généralement
employée. Certaines parties, telle que l'attique, sont micnx conservées dans l'amphithéâtre de Rome;
d'autres, telle que le balteus supérieur, le sont mieux dans celui d’EI-Djem : de sorte que, vu leur ressemblance,
il devient facile de restituer avec beaucoup de probabilité les parties qui manquent à l’un et à l’autre
de ces édifices.
Les escaliers de l’amphithéâtre d'El-Djcm paraissent mieux disposés que ceux du Colisée et offrent un plus
vaste débouché; les coupes, pl. 71, et le plan, pl. C7, font connaître leurs dispositions. Sur ce plan, les mouvements
des escaliers sont indiqués dans quatre travées qui se reproduisent dans tout le pourtour de l’édifice.
J'ai également indiqué pardes lignes ponctuées une galerie souterraine dans legrand axe de l’édifice, e t d’autres
dispositions qu'il ne m’a pas été possible de reconnaître plus complètement par suite des décombres et .des
éboulcments qui obstruent ces galeries. Les vues photographiques, planches 68 et 69, montrent l’aspect
extérieur de cet amphithéâtre dans son état actuel. Cet édifice domine, d'une manière si majestueuse, la ville
arabe, que la hauteur déjà considérable de l’exhaussement du sol actuel, jointe à celle des maisons de la ville,
ne cache pas même toute la hauteur du premier ordre. Le pan de mur supérieur qui, dans la planche 68,
semble constituer un attique, se Irouve en arrière de la façade, et formait le balteus de la dernière précinction.
Dans les arceaux de la brèche on voit le rampant des voûtes en blocage qui soutenaient les escaliers. *
La planche 69 laisse voir à l’intérieur, par sa brèche complètement rasée, des parties actuellement en
démolition de l’autre côté du monument. La planche 70 est une vue photographique prise à l'intérieur
de l'édifice : elle montre une partie des voûtes en blocage qui soutenaient les gradins, e t, par dessous, la
belle construction en pierres de taille des galeries concentriques, où les spectateurs pouvaient circuler pour
communiquer des précinclions aux escaliers. La planche 71 offre : 1» une coupe, avec la restitution du portique
supérieur, des marches et des gradins indiqués en teinte plus claire que la partie existante; 2* une partie
de coupe dans son état actuel pour faire comprendre la disposition des escaliers dans les différentes travées ;
3’ un détail des ordres de cet édifice. Enfin la planche 72 présente un torse de statue provenant des ruines de
Tbysdrus, et une inscription trouvée dans ces mêmes ruines par M. Mallei. Cette inscription a été gravée
pour rappeler l'établissement d'acqueducs destinés à pourvoir d'eau la ville de Tbysdrus. Bien qu’on ne puisse
en déterminer exactement l'époqué, elle a cependant une grande importance, parce qu’elle montre d'une manière
irréfragable que les ruines au milieu desquels est situé l'amphithéâtre d’EI-Djem sont celles de cette
ancienne colonie.
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