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Un matin elle se promenait ainsi à l’ombre des vieux porchers qui bordaient le chemin ; elle semblait examiner avec attention les nombreux caméléons qui grimpaient, à son approche, sur les troncs noueux et s’évertuaient à changer constamment de couleur. Pensait-elle, la perspicace jeune fille, à l’aptitude prononcée de l’espçce humaine pour l’imitation du caméléon? Stigmatisait-elle ce rôle si mesqüin, dans lequel l’homme est si facilement distancé par cette espèce de gros lézard à la tête anguleuse et narquoise qui, instantanément, sait prendre la couleur de l’objet sur lequel il se trouve? ou bien, au contraire, Willel- mina suivait-elle le cours de certaines pensées fugitives, intraduisibles? Car si le eoeüf de la femme est un abîme sans fond, l’imagination d’une jeune fille est un feu follet qui parcourt des horizons sans lim ites. Ce que pensait la belle créole, nul rte le sait; le savait-elle bien elle-même? Ce qu’il y a de Certain, c’est que l’imprudente cheminait à la plus douce allure de Nelly, cueillant de loin en loin, la distraite, une fleur aux grandes branches des porchers; elle s’en allait rêveuse. Distraction fatale ! Prise par une branche qui l’enlève, elle est précipitée violemment à terre où elle s’évanouit. A l’instant même un jeune homme s’élance et s’empresse auprès de notre héroïne ; c’est le beau Doury, dont l’oeil ardent a souvent suivi les mouvements de la gracieuse jeune fille avec cette fixité féroce du tigre, rasé dans les broussailles pour guetter la timide gazelle bondissant aux bords d’un ruisseau. A l’intervention d’un homme, et surtout d’un blanc, Nelly dut céder le pas et se retirer au second plan ; mais il ne tarda pas à s’apercevoir que les soins prodigués à la belle évanouie n’étaient pas de nature à la rappeler à elle. Prompt comme l’éclair et vengeur comme le Dieu juste* de sa trompe nerveuse l’éléphant saisit le téméraire et le précipite à quinze pieds de là, dans le terrain boueux d’une rizière. Indigné, mais à demi satisfait, Nelly s’approche alors du canal de la rizière, emplit d’eau sa trompe et vient en baigner le visage de sa maîtresse. A la fraîcheur de cette ablution bienfaisante, Willelmina reprend ses sens; du regard et du geste, elle remercie son fidèle compagnon, et, toujours rêveuse, mais ignorante et pure, elle regagne l’indigoterie. Cette histoire ne fut connue que longtemps après. Des Indiens, qui travaillaient dans la rizière, avaient vu le jeune homme épier les mouvements de la jeûne fille ; ils avaient vu le châtiment infligé, et ce furent eux qui relevèrent l’infortuné Doury, qui se tordait dans la bouë comme un scorpion échappé à la pincette d’ün naturaliste,


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