Pour l’Européen il est d’usage d’en manger, ne serait ce que pour avoir le plaisir de le dire. Les plus hardis joignent à ce potage un mets très-recherché en Chine: ce sont des sangsues frites, énormes hirudi- nées grosses comme de petits boudins. J’ai dit que les Javanais étaient cruels et pleins de défiance, voilà pour les hommes. Pour ce qui concerne les femmes, et nulle part on n’en peut trouver de plus adorables, il m’a été conté une histoire que je vais esquisser, comme spécimen des moeurs de ces charmantes créoles. Un riche Arménien avait amené à Batavia une Cir- cassienne resplendissante, de ce beau type que l’on ne trouve qu’en Géorgie et en Circassie. La pureté des lignes de son visage au profil grec n’était égalée que par la majesté de son port et le fini de ses formes, un peu accusées. La Circassienne tenait le sceptre de la beauté à Batavia même, où les belles créoles abondent, quand un riche négociant de Java vint se fixer dans la capitale javanaise avec sa fille, délicieuse créature de dix-huit à dix-neuf ans. Sûre de ses charmes, la jeune fille était de force et de tempérament à disputer la palme de la beauté à la Circassienne elle-même. Elles se rencontrèrent à la promenade du soir et devinrent immédiatement ennemies acharnées. Les convenances furent strictement observées entre elles; il s’y mêla même un peu de politesse déguisée, et la Circassienne alla jusqu’à engager la Javanaise à partager. son brillant landau pour la promenade du lendemain. Avec une habileté féminine, les deux belles rivales avaient déjà découvert les points suspects du gracieux ensemble qui en faisait cependant deux femmes ravissantes, mais d’un genre différent. Le lendemain, en effet, le brillant landau attirait tous les regards ; deux fées semblaient s’y. complaire dans un,ravissement propre à chacune d’elles. Nous connaissons la Circassienne ; disons un mot de la Javanaise. A demi-couchée dans la voiture, sa main, pour laquelle une/duchesse eût donné son blason, sortait d’une mitaine de Manille dont elle effaçait la blancheur, et ses doigts effilés, aux extrémités roses , se promenaient avec abandon sur un éventail de Chine, composé de plumes blanches avec dessins fantastiques aux couleurs éblouissantes; son petit pied nerveux, étroit, cambré, s’agitait dans un brodequin de satin de Perse, à talons rouges; sa taille élancée, flexible, s’harmonisait heureusement avec des épaules sculpturales et avec un buste digne des modèles antiques; les contours, légèrement arrondis, conservaient des proportions virginales, trop souvent exagérées par les peintres du jour ; les fines attaches de son cou d’albâtre se dessinaient vaguement à chaque ondulation de sa tête orgueilleuse. Sa figure mobile et du plus pur ovale, encadrée dans les grands bandeaux noirs d’une chevelure luxuriante, avait habituellement un air gracieux, séduisant; mais quand l’ardente jeune fille enflait ses petites narines diaphanes, fronçait son sourcil fin et délié, laissait poindre sa lèvre inférieure légèrement frémissante et lançait les éclairs de son oeil noir à
28b 12
To see the actual publication please follow the link above