Page 33

28b 12

le Français est brave, héroïque même ; mais cet héroïsme qui peut réussir sur terre, ne sert dans un combat naval qu’au moment de l’abordage, et l’on n’est jamais certain d’y avoir recours ; l’ennemi, s’il est habile, peut toujours se dérober et s’y soustraire par la manoeuvre. L’abordage, du reste, n’est, il faut le reconnaître, que le va-tout du courage déjoué; impuissant, furieux, et faisant une tentative suprême. Le point essentiel est la manoeuvre. 11 faut une manoeuvre prompte, précise, exempte de toute hésitation, et cela ne s’acquiert que par la pratique du métier. Le coup d’oeil doit être sûr, la résolution rapide. On n’arrive à cela qu’en se familiarisant avec le danger; il faut donc de la pratique. L’expérience doit achever l’homme de mer que l’étude des sciences exactes a commencé. L’habileté du commandement consiste, avant tout, dans l’exactitude de son exécution. Un commandant doit être aussi maître de son vaisseau que le cavalier l’est de sa monture : l’un obéit à la puissance du gouvernail, aussi bien que l’autre à la pression du mors. Le cavalier fougueux qui déchire de ses éperons les flancs de son coursier haletant n’obtient pas de lui une course plus rapide que la marche frémissante de la frégate qui s’esquive et vole dans le blanc sillage qui la déborde, lorsqu’elle palpite sous l’étreinte de toute sa voilure. Mais fuir comme un trait, emporté par une brise fraîche et ronde, reçue grand largue, ce n’est pas le difficile du métier; c’est au plus près que l’équipage connaît la supériorité du chef et la valeur de sa monture. Un jour que nous venions de filer douze noeuds (1) à l’heure sur un beau trois-mâts de 900 tonneaux, un vieux loup de mer, placé à la barre (un normand, je crois), me dit, après avoir sifflé sur un ton aigu pour encourager la rafale : « Eh bien, maître ! que cette « brise carabinée saute de bout en bout, je vous jure « que je veux tenir au plus près avec cette felouque. « Voyez, dans un espace, qui ne serait pas censément « plus grand que la configuration de la Grande Ourse « au firmament, je voudrais, avec cette bicoque, ranger « à /’honneur la première des étoiles, virer sur cha- « cune des autres, et, sans perdre un coup de barre « ni un souffle de vent, louvoyer entre elles foutes, « sans en écorner une seule. » C'est à ce degré de confiance qu’il faut arriver. La supériorité maritime, ce nouveau genre de puissance illimitée, doit changer de mains depuis la création de la marine à vapeur. La raison en est simple et se déduit facilement de ce rapprochement : étant données deux flotilles à vapeur au service de deux grands pays, quel est le pays qui doit dominer l’autre et arriver au double sceptre de la terre et de la mer? Évidemment c’est celui qui, avec une puissance maritime égale, pourra jeter chez l’autre une armée d’une supériorité incontestable. Il ne faut pas cependant que l’emploi de la vapeur suggère l’idée de ces efforts gigantesques, nécessités seulement dans les (t) Trois noeuds font une lieue.


28b 12
To see the actual publication please follow the link above