viennent, esclaves et chefs, est pour l’école de Missi (MUe Coillard). M. Jean- mairet, qui partage assidûment avec elle la classe du soir, apprend aussi à semer son pain sur la surface des eaux. Plusieurs jeunes gens ne restent avec nous qu un mois, puis retournent chez eux. Ils ont appris quelques lettres de l’alphabet, quelque cantique et un verset de la parole de Dieu, et ils s’en vont, apparemment pour tout oublier, pendant que notre ami commence à nouveau avec d’autres, probablement pour arriver aux mêmes résultats. C’est un écolage pour lui aussi. La poste sera toujours un événement au Zambèze. Coïncidence providentielle! la veille meme de mon départ, au soir, deux messagers venaient de Pandamatenga, et nous remettaient un gros paquet de lettres qu’un trader avait eu l’obligeance d’apporter de Mangouato. Ne fallait-il pas que, dans son billet, le brave homme ajoutât qu’il avait encore pour nous « tout un sac de journaux et un tas de lettres dont il n’avait pu charger les porteurs » ? Quel supplice de Tantale !... C’est égal, nous jouirons de ce que nous avons, et nous dépouillons notre courrier. Adieu le dîner ! Fi le sommeil ! Les heures silencieuses de la nuit passent vite pendant que nous écoutons les nouvelles, et recevons avec avidité les messages qui viennent de si loin. Ainsi retrempés, nous partîmes, Aaron et moi. Avec quelle gaieté de coeur, cela se comprend. Le trajet, cette fois, fut désagréable au possible. J’étais si fatigué que je ne pouvais me tenir éveillé; il pleuvait, il ventait avec des alternatives d un soleil ardent; la rivière était toujours belle, mais elle était « courroucée » ; nous ne fendions pas impunément les ondes agitées, les vagues se vengeaient en venant se briser contre nous. Tout le jour accroupis et les pieds dans 1 eau, le soir nous dépliions nos couvertures, pour les trouver, hélas ! toutes trempées. C’est miracle que nous n’ayons pas eu la fièvre. Nous arrivons enfin a Séchéké. Le village est silencieux et désert; plus d’enfants qui s’amusent bruyamment, plus d’esclaves affairés, de femmes qui construisent des huttes, et de chefs qui discutent les affaires au lékhothla ou autour des amphores de bière. L’herbe croît partout dans les cours. Morant- siane est seul avec quelques personnages et quelques esclaves. Qu’est-il doîic arrivé? Quelques minutes d’entretien avec le chef et tout s’explique. Quand les chefs de Séchéké nous envoyèrent des canots, ils attendaient incessamment des messagers de Léalouyi qu’on savait en chemin ; ils espéraient qu’à mon arrivée nous pourrions tous nous mettre en route pour la capitale. Non seulement ces messagers n’arrivaient pas, mais des bruits sinistres couraient sur leurs faits et gestes. On se contait à voix basse qu’ils étaient secrètement chargés d’une mission meurtrière, on montrait du doigt les victimes désignées; on savait qu’ils avaient en route mis à mort un des chefs de leur bande ; on assurait que plusieurs personnages importants avaient subi le même sort, et que même Makoatsa, l’ambassadeur de Khama, qui se rendait avec sa suite à la capitale à pied, pendant que nous remontions le fleuve en canot, avait été pillé, puis impitoyablement massacré. La peur avait saisi tout le monde, et chacun avec ses pénates, sous un prétexte ou un autre, s’était enfui dans les champs et dans les bois pour guetter le cours des événements. A notre arrivée, Tahalima, Rataou et plusieurs autres se hasardèrent à venir nous voir, mais en s’entourant de toutes sortes de précautions. Nous tînmes conseil, et, du premier coup d’oeil, nous pûmes juger la situation. Il était hors de question que l’un des chefs nous conduisît en personne à la Vallée, tous se déclaraient incapables de nous donner la moindre protection, ce dont nous-mêmes nous étions encore plus convaincus qu’eux. Aussi, bien qu’ils missent canots et rameurs à notre service, notre voyage à Léalouyi dans les circonstances- actuelles était une impossibilité. Le temps n’était pas encore venu. Rester tout seuls, Aaron et moi, dans un village abandonné, nous ne le pouvions pas non plus. Nous n’avions donc plus d’autre alternative que de retourner de nouveau à Léchoma. Ce que nous regrettons, ce ne sont pas nos peines, mais bien ces setsiba, ce calicot qu’on mesure à grandes brassées et qu’il faut distribuer aux canotiers. Malgré cela, nous revenons de Séchéké avec de bonnes impressions. Chaque fois que nous sommes mis en contact avec les chefs, il nous semble que nous faisons un pas de plus dans leur confiance. Ils sont plus communicatifs, plus prévoyants, un peu plus hospitaliers, et surtout moins mendiants. Un petit incident vint clore ce voyage d’une semaine. Aux rapides de Mambova et de Mpalira, Aaron, qui n’aime que tout juste un trajet en canot, désira couper court à pied, le fusil sur l’épaule, et accompagné par Karoumba. Je descendis les rapides en canot. Arrivé au rendez-vous, je cherche : pas d’Aaron. Je lui laisse un canot, passe outre et vais l’attendre au gué de Kazoungoula, à 8 kilomètres plus bas. Quel n’est pas mon étonnement de voir une heure plus tard arriver la pirogue sans Aaron ! Les canotiers m’assurent l’avoir cherché, appelé, longtemps attendu, mais en vain. Je les fis traverser la rivière et les renvoyai à pied à sa rencontre. C’était le milieu du jour. Survint bientôt et subitement un de ces orages, comme on n’en peut voir que sous les tropiques. Les éclairs nous éblouissaient, le tonnerre roulait de colline en colline, la pluie battait avec une violence peu ordinaire. Le cristal du fleuve s’était brisé, les vagues rappelaient celles de la mer; le vent les tourmentait, les balayait, les emportait, et les grosses gouttes de pluie* les criblaient comme des balles. Le spectacle était nouveau pour moi et grandiose. Mais mes bagages ! Et moi-même je me recroquevillais sous les plis d’un mackintosh trompeur qui buvait l’eau comme une éponge
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