allèrent chercher le vêtement des pauvres : le feu. De sommeil, point. Dès le matin du lendemain, nous tirons de nouveau; mais pas plus de réponse que la veille! Et pourtant pas la moindre brise aujourd’hui, pas une ride sur l’onde : c’est une glace polie. Que veut dire ce silence ? Las d’attendre, et déjà à demi affamés, nous plions nos couvertures et reprenons le chemin de Léchoma. Voilà notre première visite au Zambèze, un seau d’eau froide sur nos jouissances anticipées. Plus tard, tout s’expliqua. Le batelier Singandou, n’ayant reçu aucun ordre à notre sujet, avait couru chez son chef. Il revenait avec des ordres positifs pour nous faire traverser immédiatement, quand la nouvelle se répandit que les ma-Tébélé approchaient. La panique avait sàisi tout le monde. Peu de jours après arrivaient des messagers de Séchéké. Les lettres par lesquelles j ’avais annoncé au roi notre arrivée à Chochong d’abord, à Panda- matenga ensuite, avaient été arrêtées par les n. seigneurs de Séchéké » et attendaient la m salutation », autrement dit le présent, qui devait les accompagner. Et moi qui les croyais à la capitale ! Quelle tuile ! Je refusai carrément de nouveaux présents avant d’avoir vu le.roi. On m’a assuré que, depuis, les chefs ont expédié mes lettres, mais par un esclave à pied, comme quelque chose de peu d’importance. Quel cas en fera le roi? Quand viendra sa réponse ? — Pour utiliser le temps et rompre la monotonie de notre vie, nous organisâmes une excursion aux cataractes de « Mousi oa Thounya s . Au dernier moment je me vis forcé d’y renoncer et de laisser partir notre ami Jean- mairet avec Middleton et Waddell, accompagnés de nos ba-Souto et de porteurs. Nous, nous regardons vers le nord, la ligne bleue au delà des forêts. Le regard se perd dans les profondeurs de cette perspective. A mesure que les jours se succèdent, nous nous demandons si l’horizon ne s’obscurcit pas. Il est difficile d’attendre quand on voudrait courir. Il arrive souvent des troupes de Zambéziens à Léchoma, mais ils n’apportent pas de nouvelles ; ce sont des esclaves envoyés pour trafiquer. Ils apportent du millet, du sorgho, des arachides, des haricots, quelquefois un peu de miel sauvage; tout cela dans des calebasses de toutes grandeurs. Chaque calebasse vaut plusieurs colliers de verroterie ou bien un selsiba, deux longs mètres de calicot. C’est exorbitant. Il faut donc que ma chère femme passe des heures à tenir tête à ces troupes bruyantes et très impertinentes parfois; il faut qu’elle réponde calmement, marchande avec prudence, explique avec- douceur pour congédier avec satisfaction ce monde tapageur. C’est une rude besogne. Léfi et Joël;"qui d’abord avaient volontiers accepté la tâche de seconder « leur mère », s’en sont bientôt aperçus, et se sont retirés l’un après l’autre, la laissant se tirer d’affaire toute seule. Il ne s’agissait pas seulement de pourvoir à la nourriture journalière des évangélistes et de leurs familles, de nos conducteurs et de nos ouvriers indigènes, mais aussi de faire les provisions nécessaires pour le retour de nos gens de Mangouato et du Lessouto,'et surtout de pourvoir aux besoins de l’expédition pendant la saison des pluies et jusqu’à la récolte prochaine. Acheter ainsi soixante sacs de céréales, sans parler du reste, cela représente une somme formidable d’activité, d’énergie, de patience et de fatigue pour qui n’est pas roué à ce petit commerce chicaneur de grains de verroterie et de morceaux de calicot. Souvent triste d’une perte de temps si précieux, et épuisée, la femme missionnaire ne se plaint pas. Tout en désirant quelques jours de répit, elle se (fit : * C’est pour le Seigneur. » Oui, et « pour le Seigneur », elle fait face à d’autres devoirs, et reparaîtra demain au marché qui lui est imposé, retrempée dans la lutte et dans la prière. Quand les achats se terminent de bonne heure, notre oeuvre à nous commence. Nous faisons répéter à nos Zambéziens un verset de la Parole de Dieu, et chanter une strophe de cantique que nous leur expliquons. S’il est tard, nous leur disons quelques bonnes paroles. Ils nous quittent tout étonnés • nous les suivons du regard dans la vallée, et, par la pensée, au delà de la ligne bleue où nous voudrions être. Un jour, c’était le dimanche g août, nous apercevons, dans l’après-midi une longue file qui serpente dans la vallée et se dirige vers nous. En tête nous reconnaissons bientôt Karoumba, qui était retourné chez ses parents. Il nous annonce que les trente jeunes gens qu’il amène sont envoyés, avec six canots, par les chefs de Séchéké pour nous chercher. Voilà donc une éclaircie dans notre ciel gris. Dieu soit béni ! Mes préparatifs furent bientôt faits, et je partis sans arrière-pensée. Je laisse à deviner si j ’étais heureux en traversant le Zambèze. Le soleil se couchait alors, son disque flamboyant se baignait dans Tonde et la colorait de ses feux, tandis que les rives boisées, avec leurs panaches.de palmiers, s’y miraient comme dans une glace. Tout était paix et harmonie. Le lendemain matin, à mon réveil, je crus le charme brisé - mes canotiers étaient en grève et déclaraient bruyamment ne vouloir pas bouger avant d’avoir reçu des selsiba de leur goût. Je parvins à les calmer sans céder et j ’eus avec ces jeunes gens le trajet le plus agréable. Nous n’étions pas pressés. Ils péchaient, ils chassaient des oiseaux dans les jungles, et le soir je leur enseignais à chanter. A notre dernière étape, jë leur fis une distribution de setsiba de calicot rouge. Après un bain, ils s’en affublèrent tous chacun à sa fantaisie et de la manière la plus grotesque. Des coups de fusil nous annoncèrent, et quand notre petit cortège arriva au port et se rendit au lékhothla, grands et petits étaient dehors et nous envoyaient force « luméla monéré ! changoué! changoué! — Bonjour, monsieur, notre père, notre père! » un terme de politesse.
27f 90-2
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