Les ma-Saroa, eux, les enfants du désert, sachant que nous avions avec nous des gens de Chochong, se cachaient à notre approche. Ils osaient à peine venir nous vendre un peu de miel. A en juger par ce que nous avons vu de nos yeux, les ba-Mangouato ne badinent pas avec eux. A l’insu de leur chef sans doute, ils les dépouillent du peu qu’ils possèdent, leur arrachent le produit de leur chasse, les fruits et les racines sauvages, et même les grosses chenilles et les chrysalides dont ces pauvres hères font leurs délices. C’est dans ces plaines que viennent se perdre certains cours d’eau, le Nata, par exemple, qui, après un trajet assez court, disparaît sous le nom de Soua. Le sol des Makarikari était si détrempé, que nos voitures s’enfonçaient d’une manière désespérante. A peine sortis de ces fondrières, il nous fallait sillonner ces sables profonds, qui seront toujours le cauchemar des voyageurs dans ces parages. C’était pitié de voir nos pauvres boeufs avec leurs cous pelés, tirer la langue et s’affaisser sous le joug. Passe encore quand nous creusions nos sillons en rase campagne. Mais dans ces fourrés d’épines, littéralement impénétrables, et où il était absolument impossible au conducteur de manier son long fouet, nos boeufs prenaient leur revanche, et nous n’en triomphions qu’a force de nous égosiller. Dans les forêts vierges que nous traversons, la route n’a pas été tracée par un ingénieur. Le premier wagon qui y a passé s’est faufilé de son mieux, faisant des zigzags sans fin pour éviter les gros arbres. Un second a suivi ces premières traces, puis un troisième, puis d’autres, puis les nôtres enfin. Comment contourner tous ces obstacles avec nos énormes attelages? Il faut être constamment sur le qui-vive. Notre pauvre Léfi en sait quelque chose, lui. 11 a bien fallu que, bon gré mal gré, il vainquît sa répugnance et prît le fouet à son tour. Nous proposions-nous de faire une longue traite de nuit, ou de grand matin, à peine en marche, nous étions sûrs d’entendre derrière nous le cri d’alarme : Hihou! hihoa ! Koloi é tsoaeroé ! (le wagon est arrêté 1) Il fallait revenir sur ses pas, la hache sur l’épaule, se demandant quelle pouvait être la gravité de l’accident. Hélas ! c’est une boîte à chapeaux, que nous trouvons tout aplatie, une caisse de mercerie tout en pièces. -On ramasse les chapeaux, les bobines de coton, les paquets d’aiguilles et de galon épars, on raccommode les ballots déchirés, et on se remet en marche. Chacun a eu sa part de dégâts. Un rameau desséché fait une entaille à la tente du wagon de M. Jeanmairet, les branches en profitent pour balayer tout ce qu’elles peuvent atteindre : livres, trousse de dentiste, trousse de toilette, etc. Mais personne n’a été aussi maltraité que notre ami Waddell. Un portemanteau, une malle, une caisse d’outils composaient tout son avoir. Le portemanteau et la malle y passèrent l’un après l’autre. « Au moins, disait notre jeune Ecossais avec satisfaction, ma caisse d’outils a échappé. » Il en était fier de cette caisse en acajou, avec ses divisions et ses compartiments ingénieux, son premier travail d’apprenti. Elle reçut bien des coups, eut bien des fractures, mais toujours notre menuisier trouvait le moyen de la rafistoler. Un jour, un nouvel hihou! hihou! de Léfi nous fit accourir tout haletants à son wagon. La caisse précieuse n’était plus ! les éclats en gisaient épars sur le sol. Cette fois, le malheur était irrémédiable. Pauvre Waddell ! il jouait à force de bras de la cognée pour dégager du tronc d’un gros arbre le reste de ses outils. Nous, nous étions tristes et silencieux. « N’y faites pas attention, Monsieur, la boîte est perdue, mais les outils sont sauvés. » — Et un sourire essayait d’illuminer son visage rouge d’émotion. Il y a de l’étoffe dans un homme de cette trempe. C’est un plaisir de le voir travailler, car il aime son métier. Si aucun accident ne réclame l’adresse de ses bras vigoureux, il s’en va, la hachette à la main, explorer la forêt, et revient avec des échantillons de bois de toutes espèces et de toutes couleurs. «: Voilà de l’acajou, Monsieur, du vrai acajou, s’écrie-t-il tout radieux, et voici du teak, puis une espèce de cèdre, et encore quelque chose qui ressemble à l’ébène ! Si Dieu nous accorde force et santé, vous verrez quel bon parti nous tirerons de tous ces trésors! » Et à l’entendre aplanissant toutes difficultés, abattant des arbres, sciant des planches — des planches ! — nous voyons déjà une chaumière s’élever comme par enchantement avec tout un petit mobilier que le cher homme se plaît à prophétiser et qui fera oublier à Mme Goillard le presbytère de Léribé. On sent que Waddell a été l’enfant chéri de sa mère. Il a besoin d’être entouré d’affection, et de se donner avec abandon. Mon collègue Jeanmairet, Middleton et lui, Waddell, ont été, chacun dans sa sphère, un réconfort pour nous. Nos artisans sont bien entrés dans l’esprit de l’expédition, rils sont pleins de bonne volonté, mettent la main à tout. De fait nous nous disons souvent : Que ferions-nous sans eux ? Ajouterai-je encore une silhouette? Nos deux évangélistes Aaron et Léfi se complètent admirablement l’un l’autre. Comme nous tous, ils ont les défauts de leurs qualités. Aaron est actif, énergique; il a beaucoup d’entrain et d’initiative; mais il est susceptible et vif de tempérament. Léfi est un homme intelligent, d’une grande égalité de caractère. II est sobre dans ses paroles comme dans ses habitudes et a plus d’instruction qu’Aaron. On découvre bien vite qu’il est le fils d’un chrétien — le premier du Lessouto —• et qu’il n’a guère connu le paganisme que par contact ou par tradition. II fait bien ce qu’il fait, mais il n’a pas beaucoup d’initiative. Ses méditations nous font du bien. Il me semble que je ne saurais mieux le faire connaître qu’en donnant un extrait d’une lettre qu’il m’écrivait avant notre départ. « Je te fais savoir,
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