qui est Anglais. Ces messieurs furent très courtois avec nous. Ils me cédèrent même deux sacs de blé indigène pour nourrir mon monde. C’était un grand service à me rendre, car nous étions à bout de provisions pour la caravane, et M. Westbeech ne pouvait rien me céder. Ils poussèrent l’amabilité jusqu’à m’envoyer des légumes : un beau chou, quelques poireaux et de la salade; tout cela, à leur insu, pour servir au petit festin de mon anniversaire. Mais quand ils l’apprirent, le P. Kroot voulut absolument sortir une bouteille de Bordeaux, et il fallut trinquer et boire à ma santé. C’était d’autant plus beau de leur part, que notre présence ici doit leur être une épine dans l’oeil. Je leur en sais gré et leur veux du bien. Je comprends toujours mieux qu’il faut combattre des principes, des doctrines, mais respecter les personnes. Du reste, je ne crois pas que nous l’ayons jamais négligé dans la pratique '. Nous allons pousser jusqu’à Lé chôma, y installer ma femme, et puis partir pour le Haut-Zambèze. Vous le comprenez, cette séparation de trois mois, qui serait peu de chose au Lessouto, est sérieuse et solennelle pour nous deux. Ma femme devra rester avec un fardeau qui n’est pas léger. Si vous saviez ce que c’est que d’avoir à nourrir une bande de natifs comme la nôtre ! Du moment que les conducteurs mettent leurs fouets de côté, non seulement il n’est plus question d’aucun travail, quelque minime qu’il soit, mais il faut encore que quelqu’un cuise leur nourriture et puise leur eau. Encore n’est-il pas facile de les contenter. Je voudrais envoyer tout ce monde au Lessouto et à Mangouato. Mais comment? Mes boeufs sont éreintés, et je frémis en pensant aux dépenses et à tous les tracas d’un prolongement de leur séjour avec nous. Malgré tout cela, je suis content qu’ils soient venus jusqu’au Zambèze, et j ’espère qu’ils n’emporteront pas de fâcheuses impressions avec eux. Mais tout cela est du passé, et il nous faut faire face aux difficultés nouvelles qui nous attendent. i . J’avais déjà appris que le personnel de cette mission avait essuyé des désastres. C’était, tant pour nos «nriig d’Europe que pour nous, une mauvaise note pour le climat des régions zambéziennes. Le P. Kroot me rassura quelque peu. De sept membres de la mission, un est mort de chute de cheval, deux se sont noyés, deux sont morts de faim et de fatigue, un sixième est mort de consomption, le septième seul a eu la fièvre chez les ba-Toka, encore croit-on qu’il est mort empoisonné. Quoi qu'il en soit, dans ces climats pestiférés, on mourra toujours de la fièvre, on n’admet pas d’autres maladies. xx Le désert des Makarikari. — Les ma-Saroa. — L’évangéliste Léfi. — Encore la température. — La tombe de Khosana. — Campement à Léchoma. —r Au gué de Kazoungoula. — Messagers de Séchéké. — Contretemps. — Pénible attente. — A Séchéké. — Pauvre hospitalité^— Un messager du roi. — Joie de courte durée. — Partirons-nous? — Une révolution à la Vallée. — Une mésaventure de Ben. — Le paganisme. Léchoma, 7 août 1884. Léchoma ! Nous nous arrêtâmes ici dans nos pérégrinations, il y a six ans. Au milieu de préoccupations, d’angoisses et de luttes que Dieu seul connaît, et, à la lueur d’un rayon d’espoir, s’ouvrirent alors devant nous des horizons nouveaux. C’est une date importante dans notre carrière. Il fait bon de revenir à Léchoma, de s’y arrêter et de se recueillir pour adorer les voies de l’Éternel et célébrer sa bonté et sa fidélité. Le voyage à travers le désert a été long. Nos boeufs venaient de loin, nos wagons étaient lourds, nos gens fatigués et sans entrain; aussi, malgré toute la détermination possible, nous cheminions lentement, plus lentement qu’on ne le fait ordinairement. De fait, notre première étape à Kané se fit avec tant de difficultés que j ’avais dû renvoyer à Mangouato une partie de nos bagages. Cela nécessita de nouveaux triages, et de nouvelles réductions dans notre notion du « strict nécessaire ». Notre ami M. Whiteley se hâta de venir lui-même avec son wagon et un attelage du chef Khama. Pendant ce délai forcé, il pleuvait à verse. Nos réservoirs se remplissaient, si bien que dans le désert nous avons trouvé de l’eau en abondance et avons à peine su ce que c’est que la soif. La vue des Makarikari a un peu ranimé l’entrain de nos compagnons de voyage. Ils sentaient comme nous que nous avions fait du chemin. Et puis, disons-le, il y a quelque chose de nouveau et de saisissant dans le panorama sauvage qui se déroule à vos yeux avec ses. lacs et ses sables, ses plaines immenses parsemées de bosquets, et ses solitudes silencieuses et sans vie. C’est à peine si une autruche ou une gazelle en fuite venait un moment interrompre la monotonie du tableau. Le lion même n’a daigné nous honorer que de son rugissement nocturne. Les hyènes affamées seules s’en prirent à nos ânes et nous causèrent du tracas.
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