Puis, tombant à genoux, nous nous recommandions mutuellement à Dieu et à la parole de sa grâce ! Enfin vinrent les poignées de mains, les derniers adieux; la nuit qui tombait cachait l’émotion générale, mais je ne sais quel courant nous saisissait irrésistiblement et faisait vibrer les cordes les plus secrètes de nos coeurs. Après avoir passé les dernières huttes de la ville et congédié les derniers de nos amis, nous cheminions silencieusement. Le ciel était étoilé, l’air frais et vif. On n’entendait que les cahotements des roues, les coups de fouet et les « trek y> des conducteurs; on ne se sentait pas d’humeur à causer. « Quel digne homme que ce Khama! quel ami que Kouaté! » disait quelqu’un de temps à autre sans commentaire. Et je crois bien. Vous auriez dû être là pendant la journée. Voyez-vous ces deux boeufs de trait? C’est la salutation de Khama; cette belle génisse noire? celle de Kouaté. Ces trois vaches laitières viennent de M. Whiteley; ce sac de maïs, cette viande salée, de M. Beau- mont, le boucher de Mangouato : ces huit poules viennent de la basse-cour d’un jeune commis, et les poules sont rares ici. Ces chèvres, ces moutons à grosse queue sont l’expression des bons voeux de M. et Mme Clark et des principaux membres de l’Eglise. Voilà encore des citrouilles, des pastèques, du lait caillé, du millet et que sais-je? Et ces braves gens nous donnent tout cela en nous disant sur tous les tons qu’ils seront si tristes, si tristes quand nous serons partis !... Chacun a voulu nous montrer que nous sommes aimés pour l’amour de l’oeuvre que nous allons faire. « Depuis que je connais le Seigneur, me disait un ami, aucune oeuvre ne m’a intéressé comme la vôtre; l’aider, c’est un doux privilège, et j ’appelle de tous mes voeux le jour où je pourrai la servir plus effectivement. » C’est un marchand qui fait de nos projets, de notre mission, un sujet constant de prières. Ce n’est pas le seul qui nous ait montré combien on sympathise avec nous dans notre sérieuse entreprise. Cela a de la valeur dans une communauté où l’on juge autrement qu’en Europe des voyageurs et des missionnaires. Notez, de plus, que Mangouato est un endroit des plus secs et des plus arides. C’est une amère ironie pour le missionnaire que de décorer du nom de jardin l’enclos qui est devant sa maison. Ce n’est qu’une aire brûlée par le soleil, il n’y croît que des chardons et deux ou trois mimosas rabougris. Ceux qui ont la passion du jardinage essaient, à force de soins, de faire croître un seringat, un oléandre, une grenadille, un chou qui ne pomme jamais,, et deux ou trois têtes de salade qui sont dures en naissant. Peut-on le croire? Nous avons eu des légumes à Chochong! Chacun qui le pouvait s’en privait pour nous en envoyer. Du reste, c’est de règle ici : on ne vend jamais ces délicatesses, on les envoie aux amis. Et quand par bonheur on amène à Mangouato des pommes de terre, des oignons et des fruits secs, on les achète pour toute la commu- nauté. Malheureusement, les affaires vont mal, les temps sont durs. Le commerce qui s’épuise ira chercher fortune du côté du Zambèze. Les autruches et les éléphants portent plus loin leurs plumes et leur ivoire. La terreur qu inspire le nom des ma-Tebélé et qui, depuis des années, qarde les ba- Mangouato sur le qui-vive, leur interdit la chasse. Les marchands disent hautement qu’ils ne vivent que sur leurs économies, et chacun cherche à liquider et à quitter le pays. Khama, lui aussi, a ses plans. Nous avons voyagé assez rapidement depuis que nous avons quitté Mangouato. Le lendemain, plusieurs de nos amis, par des chemins de traverse, sont encore venus nous voir, et deux d’entre eux nous ont remis encore des moutons. Nous en avons maintenant vingt-six, plus cinq vaches, sans compter le petit troupeau d’Aaron, et vingt ânes, grands et petits. Vous le voyez, nous voyageons en style patriarcal. Nos ânes ont multiplié pendant mon séjour en Europe. J’espère les dresser et en faire un bon attelage pour les régions infestées de la tsetsé. Mais quelle sérénade ils nous donnent ! Kané est le Beerséba du désert. Il s’y trouve bien au moins sept puits. Ce ne sont pourtant pas des sources. Quand nous avons passé ici, il y a cinq ans, nous ne trouvâmes qu’un peu de boue dans ces trous, et force me fut d’acheter de l’eau des Bushmen avec du tabac. Aujourd’hui les puits sont pleins. J’avais l’intention d’aller plus loin passer le dimanche. Mais nous avons eu tant de peme à sortir des sables, même en doublant les attelages, que nous ne sommes arrivés ici qu’au milieu du jour. Et puis est survenue une pluie qui n’a pas cessé. Le thermomètre, qui il y a peu de jours marquait 35° centigrades, est tombe, a i 5. Nous sommes réduits à nous recroqueviller de notre mieux dans nos wagons humides. « Tant pis pour le thermomètre, s’écrie gaiement Jeanmairet, il fait froid. » Et personne ne le. contredit ; mais la naïveté de cet ayeu provoque un éclat de rire et nous réchauffe. « 11 n’y a pas de tropiques, je n’y crois pas s>, disait-on en s’affublant de son manteau. Ce changement si grand et si subit de température est des plus éprouvants. On ne peut jamais, dans ce pays, mettre de côté ses habits d’hiver. Un des conforts dont je jouis, c’est une paire de galoches que j ’ai apportée de France. Je plains ceux qui n’en ont pas, et je ne sais pas comment j ’ai pu m’en passer pendant vingt-trois ans. Au moment où j ’écris, voici un messager de Khama qui arrive. Il a fait ces dix-huit ou vingt lieues, par une pluie battante, pour nous apporter un petit paquet et les salutations du chef. Il retournera demain avec cette lettre. En réponse à la dépêche de Robosi, le roi des ba-Rotsi, qui demandait entre autres choses que Khama nous aidât en route, celui-ci envoie Makoatsa et quatre hommes pour nous accompagner jusque chez Robosi même. L’un a
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