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XVIII Pluies diluviennes. — Routes effondrées. — Saul’s Poort. -r; Un gué du Marico. — Épreuves. — Le passage. — Mangouato.® Séléka.||| Baptêmes. -f. Une grande cérémonie à Mangouato. — La poste. Mangouato, 18 mai i884- Ce que je redoutais nous est arrivé. Les interminables délais de notre départ nous ont jetés en pleine mauvaise saison. On aurait dit que notre départ de la capitale du Transvaal fût de mauvais augure : nous quittions à peine la dernière de ses rues, que soudain survint une pluie battante, une vraie trombe qui inonda le pays et transforma le ruisseau qui coulait devant nous en un torrent impétueux. Nous ne le traversâmes pas sans peine. Nous murmurions tout le temps contre la municipalité — s’il y en a une, — de cette cité, enfonçant dans la boue jusqu’à mi-jambes, doublant nos attelages et excitant nos bêtes jusqu’à extinction de voix. Nos amis Creux, Constançon et d’autres, toute une petite cavalcade, étaient là en habits d’été. La pluie ne faisant pas mine de cesser, on se dit adieu précipitamment, eux pour gagner leurs logis et se mettre au sec, nous pour continuer notre route. De souper, de feu, point, personne n’y songeait. Nos pauvres gens passèrent la nuit sous les voitures, les pantalons retroussés et essayant de dormir, comme des hérons, sur leurs jambes. Tout le pays, à notre lever, n’était qu’une immense nappe d’eau. Ainsi s’inaugurait le trajet de Prétoria à Mangouato. Ah ! que nous apprécierions aujourd’hui les bienfaits d’une voie ferrée ! Quand s’étendront-ils aussi jusqu’à nous ? Patience, on s’en odcupe. M. le major Machado, un officier portugais dont nous fûmes heureux de faire la connaissance, a travaillé huit mois à faire le relevé d’une ligne qui doit mettre le Transvaal en communication directe avec la mer par Inhambané. Ce n’est pas encore le Zambèze, mais c’est un pas de fait. En attendant l’accomplissement de ce beau rêve, pauvres routiers, nous cheminions lentement et le coeur noir entre les averses. Quels chemins ! quels marais ! quels bourbiers ! quelles fondrières 1 Et affronter tout cela avec des fourgons chargés! Je vous fatiguerais bien inutilement si j ’avais le temps de vous conter nos aventures. Chaque fois que les boeufs s’arrêtaient dans un mauvais pas, on se disait : « Bon, nous y sommes ! » On regardait le soleil, on doublait, on triplait l’attelage, puis on mettait l’épaule aux roues. Si rien ne bougeait et que les boeufs devinssent récalcitrants, on déchargeait tout bonnement, on portait à dos les bagages hors du mauvais pas pour les recharger ensuite. La fatigue alors était interdite. Le chemin le plus court, — pas précisément le meilleur, — traversait la rivière Apies, longeait la Mathlabasé et traversait le Limpopo. Nous avions décidé de le prendre. De nuit, nous nous trompâmes, et nous nous aperçûmes trop tard pour retourner en arrière, — ce qui ne se fait jamais, -|§; que nous avions pris, après tout, le chemin de Saul’s Poort, la station de M. Gonin. Nous y vîmes une direction de la Providence et nous n’eûmes pas lieu de regretter notre erreur. Nos amis Gonin nous reçurent, comme on dit « le coeur sur la main j>. Les quelques jours passés avec eux nous firent du bien ; leur dévouement, leur renoncement, nous édifièrent ; leurs bontés nous touchèrent. Au sortir de Saul’s Poort, la route, — Cela semble une amère ironie, — était devenue impraticable ; impossible d’avancer. On ne sortait avec peine d’un bourbier que pour tomber dans un autre. Un jour, grâce aux bras vigoureux et à la forte poitrine de mon brave Jonathan, ma voiture avait franchi un kilomètre au plus d’une affreuse fondrière. Celle de Léfi, qui nous suivait, s’enfonça jusqu’au plancher. Quatre attelages de seize boeufs ne parvenaient pas à la faire bouger. C’est que les pauvres bêtes s’enfonçaient jusqu’au ventre et ne pouvaient plus tirer. En vain essayâmes-nous jusqu’à la nuit, il fallut abandonner la partie. Le lendemain, après quelques heures d’un lourd sommeil, la première chose fut d’aller ensemble au trône de la grâce. Nous le fîmes avec confiance. « Envoie, disait Tun de nous, envoie tes anges à notre secours ! » Retrempes, ceints de courage, nous combinions nos plans, lorsqu’arrivèrent des hommes à cheval et à pied, les uns avec des boeufs, les autres avec des wagons. C’étaient les chrétiens de Saul’s Poort qui, ayant appris notre embarras, volaient a notre secours. G étaient les anges de Dieu que nous avions demandés. Quand l’avons-nous jamais invoqué en vain, ce Père plein de tendresse ? Les voitures furent vite allégées et le mauvais pas franchi. Ces bons amis, de leur plein gré, voyagèrent avec nous quinze jours, frayant un nouveau chemin pour éviter autant que possible les marécages du Limpopo. Ils nous amenèrent jusqu’à la jonction du Marico (le Malikoé) avec le Limpopo, et voulaient aller plus loin. Malheureusement, ces deux rivières coulaient à pleins bords ; le gué du Marico avait plus de quarante pieds de profondeur ! Quand sera-tr-il guéable ? Dans l’incertitude et pour ne pas nous HAUT-ZAMBÈZE.


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