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pères persécutés, dont bon nombre ont cherché un refuge au Cap, et dont les noms se retrouvent encore parmi les élèves de l’école de Wellington. Nous avons aussi visité Stellenbosh. C’est un petit Edimbourg, un centre d’éducation. Il y a une pension de jeunes filles du même genre que celle de Wellington, deux même, dont l’une, très prospère, appartient à la mission rhénane, et surtout la faculté de théologie de l’Église hollandaise. Cette faculté, foncièrement évangélique, a été une source de grandes bénédictions pour le pays ; son corps professoral sé compose d’hommes d’une piété éminente ; et quoique jeune, elle a déjà donné des pasteurs remarquables par leur zèle et par leurs talents. Ce qui nous réjouit surtout, c’est de voir l’esprit missionnaire se développer au sein de l’Église hollandaise, et dissiper peu à peu les préjugés d’autrefois. Ainsi, parmi les étudiants en théologie, à la même table et sur les mêmes bancs, se trouve actuellement un jeune homme de couleur. C’est une victoire. A Wellington, le Révérend Th. Ferguson a, depuis quelques années, une école missionnaire qui a déjà envoyé des ouvriers et qui compte un bon nombre d’élèves, tous hollandais ou colons. Au Cap, je me suis naturellement occupé des affaires du Lessouto ; j ’ai vu le gouverneur, les ministres, quelques membres du Parlement. Puis huit jours de côtoyage dans l’océan Indien, et nous sommes à Natal. Nous débarquons dès le lendemain de notre arrivée, et sommes bien accueillis par des amis d’ancienne date, puis nous partons pour Pieter-Maritz- burg, la capitale de la Natalie. Cette fois, ce n’est plus en chariots à boeufs que nous franchissons ces cinquante milles, mais bien en chemin de fer. Un chemin de fer, c’est encore une grande nouveauté. La voie est simple et très étroite, pas de tunnels ; elle suit les contours des montagnes, gravit tout doucement les pentes quand il le faut ; vous courez le risque d’avoir le mal de mer, et les récriminations des passagers se font entendre de toutes parts. Mais nous, en imagination, nous refaisons nos voyages aventureux de jadis, nous jouissons du grandiose panorama qui va se déroulant devant nous ; nous sommes reconnaissants et heureux. A mes côtés se trouve un fermier. Le soir, à un arrêt, comme je me promenais sur le trottoir pendant que tout le monde courait au buffet ou à la buvette, mon voisin vient à moi : « Monsieur, dit-il, voudriez-vous partager ma nourriture ? » C’était du biscuit; je n’avais pas faim ; je n’ai pas précisément de prédilection pour cette espèce de pain. M a i s son invitation était si cordiale, que je rompis la brique et me mis à grignoter tout en causant avec lui. C’est bien encore l’Afrique, l’Afrique hospitalière. Je ne me souviens pas que chose pareille me soit jamais arrivé dans tous mes voyages en Europe. Il y a des changements, cependant, depuis quatorze ans que nous avons quitté Natal. On évalue à près de quatre cent mille les Zoulous qui y habitent ou y ont cherché refuge. Pour les seize ou dix-huit mille colons, la grande question du jour c’est, comme dans la colonie du Cap, la question ouvrière. Les Zoulous sont si fiers, si indépendants, qu’ils ne travaillent que pour se procurer les moyens d’acquérir des femmes. Aussi s’est-on vu obligé d importer des coolies des Indes. Et ces coolies, aujourd’hui on les trouve partout : sur la voie ferrée, dans les magasins, dans les hôtels, dans les maisons privées, au marche et dans les prisons. Leurs boutiques et leurs costumes orientaux donnent aux villes de Natal un caractère particulier. On les dit nés marchands, ces coolies, aussi leurs magasins, fort bien achalandés, sont-ils mal vus des commerçants qui ne peuvent soutenir la concurrence. Il se fait parmi eux, sous les auspices de l’Église wesleyenne, une oeuvre d’évan- gélisatioh. Mais, il faut le reconnaître, le terrain est ingrat. A Maritzburg, c’est mon ancien et intime ami, M. le pasteur Smith, qui nous donne l’hospitalité. Nous croyions que ce ne serait que pour quelques jours : ce fut pour des semaines. Pas de wagons nulle part, il faut en faire construire ; pas de boeufs, et c’est presque une impossibilité que de s’en procurer. A la fin pourtant, nous en trouvons, mais à quel prix ! Nous les prenons, il le faut. Notre consolation, c’est de penser que nous montons déjà notre expédition et faisons des dépenses qui ne se renouvelleront pas à moins d’accidents. Un matin, je regardais du jardin passer les soldats. Du sein de la populace noire qui les suit, s’élancent vers moi deux individus, gesticulant, riant et criant d’aussi loin qu’ils le peuvent : « Luméla ntaté ! luméla ntaté ! Bonjour, père 1 d G étaient Gédeon et Fono. Ils m’amenaient mon wagon du Lessouto. En la revoyant, cette voiture, notre home ambulant, la tristesse s’empara de moi. Laissée dehors pendant deux ans et demi, sans abri, au soleil et à la pluie, elle était d’un délabrement piteux. Nos amis ont profité de notre séjour à Durban et à Maritzburg pour organiser des réunions spéciales, soit pour le public en général, soit pour les enfants de toutes les écoles du dimanche. Mais les boeufs sont achetés, les wagons sont prêts. Chargeons donc et partons ! Quel charme de se blottir de nouveau dans son chariot, voir son long attelage, entendre les trek du conducteur et les détonations de son long fouet, de cheminer gravement, bivouaquer à la bohémienne, en un mot, vivre de nouveau de la vie d’Afrique ! — Hélas ! le charme est de courte durée ! — Une épizootie, qui a fait de terribles ravages au sud de l’Afrique, règne encore ici. Déjà, avant de quitter la ville, deux des boeufs envoyés dû Lessouto succombaient. J’avais à peine vendu leurs peaux que d’autres tombaient le long du chemin. Nous nous arrêtâmes sur une éminence à une lieue de la ville. Ce fut un vrai désastre : soins, repos, remèdes, rien n’y fit. En


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