Londres ! Encore une borne que nous passons, une nouvelle ¿tape que nous venons de faire ! Quelques-unes encore peut-être, puis viendra la dernière, et le voyage sera terminé. C’est ainsi que la vie, à mesure que nous avançons, devient de plus en plus solennelle. Londres, c’est le centre du tourbillon de la vie commerciale moderne. Et cette vie se personnifié en quelque sorte dans ce labyrinthe de voies ferrées, dans ces trains qui se croisent, s’entrecroisent, sifflent, jusque sur les toits des maisons ou — comme s’il n’y avait plus de place au soleil s enfoncent et circulent dans des profondeurs obscures, sous les fondements de la cité fiévreuse, vomissant partout des flots d’êtres humains. A voir ces multitudes se presser, se coudoyer, courir hors d’haleine à leurs affaires, l’étranger éprouve une pénible impression. Après tout, Londres est un désert pour lui, s’il n’y connaît personne. Je comprends la détresse de ces deux enfants que nous trouvâmes un jour tout sanglotants. Ils avaient perdu de vue leurs parents, et dans ces milliers de gens qui passaient et repassaient devant eux, et les bousculaient au besoin, ils ne voyaient que des étrangers. Ils se sentaient tout seuls. On dit que, dans ce mouvement perpétuel des masses, il n’est pas permis au pauvre de s’arrêter. Veut-il reposer un instant, sur le seuil d’une porte, ses membres fatigués, aussitôt un sergent de ville est là qui lui crie sans pitié : « Move on ! move on ! » Passez plus loin ! et plus loin il passe, pour s’entendre répéter le même ordre impérieux : « Passez plus loin ! » ^ ju sq u ’à ce qu’enfin il cherche un refuge dans le tombeau. Malgré tout cela, j ’aime Londres. Il y a vingt-trois ans, j ’y passais pour me rendre en Afrique. Je ne savais pas un mot d’anglais. Nous y séjournâmes dix ou douze jours avec M. et Madame Daumas. La veille de notre embarquement, j ’avais fait un achat important de livres. Mais lorsqu’on me les apporta le soir à notre hôtel, quelle ne fut pas ma- douleur de découvrir que j ’avais perdu le billet de banque pour lequel j ’avais changé toute ma monnaie française ! Le chef de la maison, un chrétien, acquitta mon compte, mais nous partions le lendemain matin à huit heures. Je passai toute la nuit à prier, à déballer, tourner et fouiller chaque objet imaginable : en vain. D’aussi grand matin que possible, accompagné d’un ami, je me rendais aux magasins où j ’avais la veille fait des emplettes. Mais l’idée de chercher un billet de banque à Londres, dans des magasins ! On me rit au nez. Je rentrais donc triste à notre logement, où les fiacres nous attendaient déjà, quand, passant devant l’hôtel des postes, j ’entendis une voix m’appeler. Je me retourne et j ’entre dans un magasin de papeterie. « Pardon, Monsieur, n avez-vous pas acheté quelque chose ici hier ? — Oui, du papier et un encrier ; pourquoi ? — N’avez-vous rien perdu ? — Mais oui, j ’ai perdu un billet de banque, 1 auriez-vous peut-être trouvé ? — Le voici, vous l’avez laissé tomber hier de votre portefeuille... » On comprend mon émotion. Je ne revenais pas de mon étonnement. Retrouver un billet de banque perdu à Londres, dans la Cité, cela tenait du miracle ! Ce jeune homme qui me le remettait n’avait pas besoin de m’apprendre qu’il craignait Dieu. Il était membre de l’Union chrétienne des jeunes gens. On m’attendait avec impatience. Madame Daumas, inquiète, guettait à la fenêtre, et d’aussi loin qu’ellè le put me questionna par signes. Lui montrant le précieux billet, je lui criai : « Je l’ai trouvé, je l’ai trouvé ! » Et quelques instants après, nous avions quitté Londres et nous nous embarquions pour l’Afrique. Cette fois-ci, mes impressions de Londres, pour être différentes, n’ont pas effacé les premières, au contraire. Il est vrai qu’à côté d’une grande opulence, il y a une abjecte misère. Mais rien de plus touchant que de voir la générosité, la chante et l’activité que déploient les chrétiens. Des réunions qui nous ont tout spécialement intéressés sont celles de Mildmay. Nous avons entendu des discours admirables. Mais un des traits caractéristiques de ces réunions, c’est la part qu’y ont prise des laïques, des hommes comme M. Stev. Blackwood, lord Polwarth. Quelle puissance il y a dans la piété de tels hommes ! J’ai remarqué la même chose partout où j ’ai été ; les laïques ont forcé la consigne et se sont mis à la brèche, même dans 1 Église anglicane. Et ce qui m’a non moins étonné, c’est leur connaissance des saintes Ecritures. De fait, partout où vous allez maintenant, vous n’entendez parler que de « Bible readings ». On dirait que ce n’est que maintenant que. l’on vient de découvrir cette mine de diamants. Aussi jamais n’en avait-on tiré de plus grandes richesses. ■ A peine les réunions de Mildmay terminées, commençaient celles du Jubilé des écoles du dimanche. Nous assistâmes entre autres à la grande démonstration au Palais de Cristal. Un tel événement est une date dans la vie d’un homme. Il me semble encore entendre ce choeur de cinq mille voix choisies, dans l’enceinte du palais même, puis celui de trente mille dans le jardin du Palais, exécuter non pas des morceaux de musique à faire effet, mais des airs de cantiques louant le Seigneur, entre autres le psaume 100, si simple et si majestueux. Il y a dans de telles démonstrations et leur popularité quelque chose qui, non seulement impressionne profondément, mais qui révèle le secret de la puissance de cette nation. C est sur ces entrefaites qu’un télégramme vint un jour m’annoncer l’arrivée de mon ami Mabille à Southampton. J’allai, entre deux réunions, lui HAUT-ZAMBÈZE.
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