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plus de vingt ans et ne s’est jamais démentie, Nathanaël Makotoko, se lever. Il réussit à peine à se contenir. S’adressant à mon jeune successeur, M. Dormoy : <t Jeune serviteur de Dieu, » lui disait-il, « nous te recevons avec amour parmi nous, mais il faut que tu saches ce que nous éprouvons aujourd’hui. Tu nous vois réunis ici et en bon nombre, nous saluons notre père spirituel ; nous le connaissons, lui, et il nous connaît. Sais-tu où nous étions et ce que nous étions, quand, jeune comme toi, il vint ici il y a vingt ans ? Où nous étions ? perdus dans le monde. Ce que nous étions ? des bêtes sauvages, oui, des bêtes des champs. » Et il éclata en sanglots. L’occasion de notre séparation avait évoqué des souvenirs. Nathanaël n’est plus le jeune homme d’autrefois, vaillant et vigoureux. De ce passé, il ne lui reste plus que les cicatrices qui rappellent la valeur intrépide qu’il a déployée en se battant pour son pays et en défendant la forteresse de Moshesh. Aujourd’hui, il grisonne, il est brisé; les persécutions dont il a été l’objet, de la part d’un autre chef à qui il s’était dévoué, ont, tout en nourrissant sa piété, laissé une teinte de mélancolie sur son esprit. Il est chef, lui aussi, et pourtant il travaille sur les routes pour que sa maison puisse soutenir sa position, et comme il ne fait rien à demi, il travaille comme un forçai. Aucun évangéliste n’a fait plus que lui. Il ne parle que de son prochain départ pour le ciel et du peu d’ espoir que nous pouvons avoir de nous revoir ici-bas. Quoi qu’il en soit, le rendez-vous est certain, et il n’est pas éloigné. Après les adieux officiels et privés, une dernière entrevue avec Molapo, à qui il me fut donné de dire encore quelques paroles sérieuses, nous quittâmes enfin Léribé, notre cher Ébénézer. La première nuit, nous la passâmes chez le magistrat du district, le major Bell, qui nous avait spécialement invités. Le bruit s’était répandu que je devais le soir donner une conférence sur nos voyages, dans la cour de justice qu’on avait disposée pour cela. Des blancs avaient, à cheval et en voiture, franchi de grandes distances, malgré l’heure indue. La salle était comble. Des ba-Souto aussi, mus par la curiosité, s’étaient attroupés dehors et se faisaient répéter par des interprètes improvisés ce qui se disait au dedans. De là, nous passâmes à Cana, à Bérée, à Morija. Là aussi, comme à Léribé, quelqués bons chrétiens nous apportèrent l’un son schelling, l’autre un peu de farine pour la route. Février 1880. Nos adieux au Lessouto terminés, nous franchîmes l’Orange. Notre voyage à travers la colonie ne fut pas sans intérêt. Nous en «mes une partie en chemin de fer, une nouveauté pour nous, qui n’avions plus entendu depuis vingUrois ans l’essoufflement poussif du cheval de feu ! Ici, il avait encore son cachet africain. A un certain moment, la machine ralentit sa marche, puis s arrêta tout court. C’était sur le flanc d’une montagne, point de station. Chacun se met aux portières, avec une certaine inquiétude. Nous fûmes vite rassurés. Au fond de la vallée, une dame avec ses filles, une fermière évidemment, agitait son parapluie et faisait force signaux pour que le train l’attendît, et puis essayait de courir en montant ; son obésité, le soleil ardent et tous ces yeux braqués sur elle n’étaient pas faits pour lui rendre la tâche facile. Elle arriva quand même et fut reçue par des hourras. Après cette étape intéressante, nous reprîmes notre marche. C’étaient aussi des transformations à East-London, toute la ville de Paumure qui avait surgi à côté, l’activité fébrile de la vie civilisée qui animait le port. Non loin de là, c’était encore le splendide établissement de Lovedale, avec ses centaines de jeunes garçons et de jeunes filles cafres, où le D' Steward et son excellente femme nous offrirent l’hospitalité la plus chaleureuse.. Je ne pouvais pas surmonter un sentiment de grande lassitude, — un reste de fièvre, me dit le Dr Steward, et dont il avait lui-même souffert. Force nous fut de nous arrêter une quinzaine de jours au Cap, renouveler nos anciennes connaissances et en faire de nouvelles. Partout nous trouvâmes de la sympathie et de l’affection. Le Conway-Castle nous amena à Madère, où nous fîmes un séjour, de deux semaines. Ce fut un temps de repos physique et de rafraîchissement spirituel. D intimes amis, le révérend Buchanan et sa femme, nous y attendaient et nous reçurent à bras ouverts. Madère, avec sa grande nature, son beau ciel, son magnifique climat, mais aussi avec la misère humaine qui s’affiche partout et la mendicité éhontée qui vous accoste à chaque pas, est une ruine et une pétrification. C’est là ce qu’en ont fait le phylloxéra et le catholicisme. L’espoir de la classe pauvre n’est que dans l’émigration. C’est là que le Dr Kallcy, d’Édimbourg, vint s’établir vers i 83o, guérissant les malades et prêchant 1 Évangile du royaume comme son Sauveur. Il y fit une oeuvre admirable. Dix-huit ans plus tard, un pasteur, écossais aussi, M. Hewiston, vint le seconder. Mais des persécutions incessantes et terribles finirent par forcer les ouvriers du Seigneur à quitter l’île, et les chrétiens madéréens à s’exiler. Un navire transporta ceux-ci à la Trinité d’abord, et de là, la plupart passèrent en Amérique, où ils fondèrent des Églises prospères. Il ne reste plus à Funchal qu’une trentaine de chrétiens, tous très pauvres mais riches en foi et en vie.


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