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moitié du temps ; les chemins étaient affreux. Mochaché, il faut le savoir, est la grande prêtresse des tribus avoisinantes. Elle a son sanctuaire dans une gorge boisée où s’accomplissent les rites et les sacrifices qu’elle ordonne et préside. Personne, à l’exception de quelques vieillards privilégiés, n’ose approcher de ce lieu sacré, et si par hasard quelque bétail, quel qu’en soit d’ailleurs le propriétaire, s’aventure à traverser le ruisseau qui en borne l’enceinte, il devient incontinent la propriété des prêtres qui en ont la surveillance et il est sacrifié sans réclamation. Aucun étranger n’a la permission de pénétrer dans le village de cette cheffesse; on ne peut le voir que de loin, perché sur les flancs de la montagne comme une aire d’àigle, sur la lisière d’une forêt noire. Elle-même est invisible, si bien que certains individus se permettent de douter de son existence. Ceux qui sont mieux renseignés assurent que Mochaché existe réellement, et ils ajoutent même qu’elle est immortelle. Ce que je sais, c’est que, comme tous ses collègues dans l’art de la magie, elle est douée d’une pénétration d’esprit qui la met fort au- dessus du vulgaire. Pendant deux jours elle nous fit attendre pour rehausser sa dignité ; puis, pressée par mes messages, elle refusa de nous voir, s’enquit dédaigneusement du but de notre visite. Sa réponse était déjà toute prête : « J’ai mon dieu et je suis sa prêtresse ; je n’ai besoin ni de vous ni de votre Dieu. Du reste, votre semaine n’a que sept jours, la mienne en a huit, comment pourrions-nous jamais nous entendre ? Si je vous laissais venir chez moi, ou bien vous y seriez en prison, ou bien vous ruineriez mon autorité. » Tous nos arguments échouèrent contre cette roche-là sans l’ébranler. En vain nous plaidâmes et exhortâmes, en vain nous avions prié et espéré, la porte était bien fermée. On nous signifia l’ordre de partir. En tournant une fois encore le timon de ma voiture et en m’éloignant de cette porte à laquelle je venais en vain de frapper, malgré ma tristesse j ’avais trop conscience de la présence et de la souveraine volonté de Dieu pour céder au découragement. Cette parole de mon Sauveur me saisit et absorba mes pensées : « Maintenant tu ne sais pas ce que je fais, mais tu le sauras ci-après. » A mon retour à Valdézia, je trouvai deux lettres, l’une d’un inspecteur missionnaire allemand de la Société de Berlin à qui j ’avais fait connaître nos projets, et que, de concert avec frère Creux, nous avions invité à une conférence fraternelle. Ne pouvant venir lui-même, il me rappelait que toute la partie du Transvaal où nous avions jeté les yeux était le champ de travail de leur Société et qu’un partage ne pourrait avoir lieu sans inconvénients. L’autre lettre était de M. Hepburn, brûlante d’affection. Il déplorait notre départ de Ghochong, et me donnait connaissance de deux décisions importantes de leur conférence, par lesquelles ils nous invitaient, nous et les frères américains, à partager leur champ de travail, nous pressaient d’occuper le poste de Séléka et nous y souhaitaient d’avance la bienvenue et la bénédiction de Dieu. Quel éclair dans nos ténèbres ! Serait-ce là le ci-après du Maître ?... Après en avoir conféré avec mes compagnons, il fut décidé qu’Asser et Aaron iraient immédiatement chez Séléka ; que, pour des raisons d’économie et de prudence, Azaël et André les suivraient plus tard, mais pour le présent resteraient à Valdézia sous les soins de nos amis Creux et Berthoud. Le poste de Séléka, il ne faut pas s’y méprendre, est peu important. Il ferait une belle annexe pour Chochong, mais il est trop restreint comme champ indépendant. Pour nous, seul, ce serait un poste perdu. Mais c’est art jalon planté sur la route soit du bo-Nyaï, soit du pays des ba-Rotsi. Qu’en direz-vous, chers amis ? — Pour ma part, quand je vois les dispensations du Seigneur, et la manière dont II nous a conduits dans ce long voyage par un chemin que nous ne connaissions point, et que j ’essaie de déchiffrer sa sainte volonté, je suis pénétré de reconnaissance. Nous avons frappé à toutes les portes qu’on nous a montrées, nous les avons trouvées toutes barricadées ; toutes, une seule exceptée, et il semble que le Seigneur veuille nous forcer d’y entrer. Peut-être direz-vous qu’elle n’est qu’entr’ouverte ; mais du moins elle ne nous est pas tout à fait fermée. Nous n’avons pas de choix ; le pays des ba-Rotsi est bien à mon avis le seul que le Maître indique à nos Eglises du Lessouto. Le moment de notre séparation d’avec nos évangélistes fut solennel. Nous avions pendant deux années vécu ensemble dans un contact de chaque instant, nous avions partagé les mêmes fatigues, les mêmes épreuves, les mêmes bénédictions ; nous avions couru les mêmes dangers, nous avions eu les mêmes délivrances. — Nous n’étions qu’une famille. Nous avons appris à nous connaître, pas toujours très avantageusement peut-être, mais nous n’avons jamais cessé de nous aimer. Dire que nous avons pu voyager si longtemps ensemble sans avoir eu de malentendus, c’èst, je crois, la plus grande louange que je puisse donner à nos évangélistes et à leurs excellentes compagnes. Et ils le méritent. Dans leur dernière prière avec nous, tout en se rejetant sur le Seigneur, ils demandaient « qu’il nous fût donné, à nous qui les quittions, des yeux qui regardassent en arrière, et que la fenêtre de notre cabinet secret fût toujours ouverte vers les régions où ils allaient, eux, retourner ». Pourrait-il en être autrement? Que Celui qui les envoie, à qui toute puissance est donnée dans les cieux et sur la terr.e, accomplisse pour eux aussi sa promesse : « Et voici, je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. » C’est ainsi que, soulagés et pourtant le coeur gros, nous nous séparâmes. La société de nos amis Creux et Berthoud, qui vont avec nous jusqu’à Pré


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