calme et tranquille comme un lac, précipite tout à coup ses ondes, bondissant, se brisant sur d’énormes rochers, mugissant, bouülonnant et renvoyant dans les airs des nuages de vapeur, qui ont valu aux cataractes le nom sessouto de « Mousi oa thounya » (la fumée tonnante ou foudroyante). De ces sombres abîmes, où l’oeil peut à peine distinguer l’écume verdâtre de ses Ilots, ,1 s’échappe, comprimé par une autre fissure tout aussi profonde, qui lui livre près de sa rive gauche un étroit passage, et il s’éloigne avec de sourds murmures en formant de nombreux zigzags. On peut à peine plonger le regard dans ces profondeurs et suivre un instant le cours tortueux et resserré de ce fleuve sans en avoir le vertige. La première impression que Ion reçoit à la vue de ce phénomène de la nature est une impression de terreur. Les natifs v croient à la présence d’une divinité malfaisante et cruelle. Aussi lui font-ils des offrandes pour se concilier sa faveur; qui, d’un collier de perles, qui, d’un bracelet ou d’un objet quelconque qu’il lance dans 1 abîme en se livrant à des incantations lugubres en parfaite harmonie avec leur effroi. Le bruit s’était répandu que le missionnaire annoncé par Khama était arrivé et se trouvait dans ces parages. A peine nous avait-on aperçus, ou avait- on entendu nos coups de fusil, que des canots traversaient le fleuve et nous apportaient de petits présents et de grandes salutations de la part des chefs et des denrées, que leurs gens nous vendaient au prix de famine. Ce n est pas leur faute, c’est l’éducation que leur ont faite certains marchands et les vovaqeurs qui ont visité les cataractes. Nos rapports avec les chefs ba-Rotsi furent des plus agréables. Quelques-uns mirent leurs canots à notre disposition et avec tant d’instances, que nous n’aurions pu refuser sans leur faire de l’a peine. Mais il fallait du courage et de bons nerfs pour qu une dame put se confier non seulement à ces sauvages étrangers (surtout après nos expériences de Masonda qui étaient présentes à notre souvenir), mais aussi a ce tronc d’arbre grossièrement creusé, à peine assez large pour s y accroupir et que chaque coup de rame faisait vaciller d’une manière peu rassurante. Mais nos bateliers gagnèrent bien vite notre confiance. Non seulement nous fîmes agréablement une bonne étape dans un de leurs mèkoros, mais a notre retour, à la requête de plusieurs petits chefs, nous traversâmes le fleuve et visitâmes une grande et belle île, où,se trouvent plusieurs villages habités par des gens qui ont temporairement cherché là un refuge à cause des troubles politiques. On nous y reçut avec des démonstrations de joie et force claquements de mains accompagnés de la salutation du pays : « Changoué, changoué, chan- qouél t ce qui répond à la signification primitive de Monsieur. Figurez-vous ce que nous devions éprouver là, dans ces îlots du Zambèze, entouré dune foule comprenant et parlant le sessouto. C’est avec des coeurs émus que nous leur parlions de l’amour de Dieu, et que nous leur chantions les louanges de Jésus. On était tout yeux, tout oreilles, et' quand nous avions fini notre congrégation primitive, bouche béante encore, exprimait son plaisir par de nouveaux claquements de mains et de nouveaux « Changoué ». Puis on nous suivait, on nous devançait bruyamment au village voisin, et si l’on trouvait que nous gardions trop longtemps le silence, on nous disait : a N’allez-vous donc pas nous chanter Jésus ? » Nous quittâmes l’île avec toutes sortes de petits présents, escortés d’une petite flottille de canots. Nous étions au milieu de la rivière que les claquements de mains et les changoué de la foule rassemblée sur le rivage parvenaient encore à nos oreilles. Ce fut là un des plus beaux jours de notre voyage. Vous aurez compris d’après ce que j ’ai dit, que toute la population est au delà du fleuve. Les ma- Tébélé .ont exterminé ou chassé toutes les petites tribus qui vivaient de ce côté-ci et ont réduit le pays en un affreux désert. De retour à nos wagons, que nous avions laissés sous la garde d’un indigène, comme le font tous les chasseurs, marchands et voyageurs, ce qui dit des volumes sur l’honnêteté de ces sauvages enfants d’Afrique, nous entendîmes toutes sortes de rapports contradictoires sur les troubles du pays. Il y a à peu près dix-huit mois que les ba-Rotsi, poussés à bout par la tyrannie et la cruauté de leur roi Sépopa, l’expulsèrent et l’envoyèrent mourir de ses blessures et de faim, abandonné sur les bords du Zambèze. Ngouana-Ouina ' son neveu, s’empara du pouvoir et en abusa à tel point qu’au bout de huit ou de dix mois, une nouvelle révolte le força de s’enfuir. Le fils de Sépopa fut alors nommé chef à la satisfaction générale, et Ngouana-Ouina a vainement essayé de soulever des tribus vassales pour rentrer dans sa capitale et reprendre le pouvoir. C’est là l’origine des troubles dont je parle et dont nous n’entendions que des rapports peu croyables. Après avoir établi notre campement sur un des coteaux sablonneux et boisés de Léchoma, le point le plus élevé que je pus trouver, je me décidai à partir sans délai pour Mparira. Eléazar et Asser m’accompagnaient. Ce moment de séparation, nous le redoutions depuis longtemps et non sans raison. Je dis donc adieu à ma chère femme, que je laissai toute seule avec ma nièce et Azaël, sous la garde du Seigneur. Je ne savais pas si, dans les circonstances actuelles, on me permettrait de traverser la rivière, mais j ’étais bien déterminé à ne pas retourner en arrière, pour peu que la porte me fût ouverte. Mparira est une île sablonneuse et aride au confluent du Chobé et du Zambèze. Trois chefs ba-Rotsi, de pouvoirs subordonnés les uns aux autres, y sont établis, gouvernant la tribu vassale des ba-Soubiya, et gardent le principal gué du fleuve, l’entrée du pays. Personne ne peut traverser sans une Le fils de Litia, frère de Sépopa.
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