la nuit comme le jour. Dans ces forêts, par des chemins aux contours brusques, pour éviter de gros arbres, et faute de mains suffisantes pour conduire les voitures, nous eûmes plus d’un accident. C’étaient nos bâches de toile déchirées, des timons cassés, des caisses extérieures broyées, des roues enclavées dans des troncs d’arbres. C’est pourtant un sujet d’étonnement pour nous et de reconnaissance que nous ayons pu nous en tirer si facilement. Nous pensions arriver ici le samedi 27 avril, et pour cela nous avions fait une bonne marche de nuit, mais tout à coup, au milieu de la matinée, sur un beau chemin uni, une des roues de l’un de nos wagons s’affaissa et se brisa complètement. Si cet accident nous fût arrivé quelques jours plus tôt, qu’aurions nous fait? Deux des catéchistes durent rester avec la voiture. Nous leur laissâmes nos tonnelets remplis d’eau, notre provision du jour, et nous hâtâmes notre marche vers Mangouato d’où nous pourrions leur envoyer du secours. On ne nous attendait que deux jours plus tard. M. et Mn" Hep- burn (de la Société de Londres) et le chef Khama nous reçurent avec une cordialité qui nous mit d’emblée sur le pied de vieilles .connaissances. « Vous nous avez joué un tour, disait notre frère Hepburn, savez-vous que le chef et moi avions fait le plan d’aller ensemble avec ses gens à votre rencontre ! — Oh ! répliqua plaisamment ma femme, nos wagons avec leurs toiles en guenilles eussent fait trop laide figure pour une telle démonstration, et nous-mêmes, où nous serions-nous cachés ! » Moi aussi je me demandais si une telle ovation ne nous eût pas grisés. Le Seigneur fait bien toutes choses. Le lundi, une roue fut envoyée aux amis que nous avions laissés dans les champs, et, le soir, nous étions de nouveau tous réunis. La tribu des ba-Mangouato est gouvernée par un homme jeune encore, du nom de Khama (la gazelle). Par suite des guerres civiles qui ont souvent désolé ce pays, la population de Chochong, qui pouvait s’élever à 3o,ooo âmes, n’en compte plus aujourd’hui, m’assure-t-on, que de i 5,ooo à 20,000. Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’on y voit fort peu de vieillards. Ceux que la guerre et les épidémies ont épargnés ont émigré avec de vieux chefs rivaux, Sékomi et Macheng'. Mais la jeunesse est toute dévouée à son chef, et ce n’est pas étonnant, car elle a trouvé en lui un protecteur et un père. L’an passé, régnait une terrible famine, des gens mouraient de faim; on organisa des souscriptions. Khama, outre sa quote-part ainsi l’assurent les marchands eux-mêmes, bien renseignés en cette matière — distribua en plumes d’autruches et en ivoire une valeur d’environ 3,000 livres sterling. Cette année, il y a abondance ; selon la coutume, chacun apporte à son chef une corbeille de blé, les prémices de la moisson. Dans une assemblée de la 1. Le père de l’oncle de Khama. tribu, je fus touché d’entendre Khama remercier ses sujets et diriger leurs pensées vers Dieu. « Mes amis, leur disait-il, ce blé n’est pas le blé de Khama, ce n’est pas le blé du missionnaire non plus ; non, c’est le blé de Jésus, de ce Roi des rois qui, cette année, nous a donné des pluies et une saison fertile. » Ce blé, vendu à l’enchère sous ses yeux, à 44 fr. le sac, a produit une somme de plus de 2,000 fr., qui a été consacrée tout entière à l’érection d’un temple. Et notez que, quelque temps auparavant, Khama a donné de sa poche de 600 à 700 fr. Un chrétien qui sait donner est un chrétien qui sait et qui sent combien il a reçu. La population européenne, plus ou moins flottante, de l’endroit compte une trentaine d’habitants à résidence fixe. Eux aussi respectent le pouvoir de Khama. Dès son avènement, il promulgua une loi contre le débit des boissons spiritueuses. Certains marchands prétextèrent leur consommation personnelle, firent fi de la loi et se livrèrent à toutes sortes d’abus. Le chef se donna la peine de les avertir lui-même, tant en particulier qu’en public. Un beau jour, après un excès, à bout de patience, il manda tous les Européens auprès de lui, et, dans un discours plein d’une noble fermeté qu’aucun n’oubliera, leur rappela ses lois, tança vertement leurs orgies, puis condamna les ivrognes les plus notoires et les plus récalcitrants à quitter son pays dans les vingt- quatre heures, d’autres à payer de fortes amendes, et enfin défendit à tous sous peine d’expulsion, l’introduction de liqueurs alcooliques, même pour leur consommation personnelle. « Je désire vivre en bons termes avec vous, dit-il, mais je suis maître chez moi, et si vous ne pouvez vous conduire en hommes et respecter mes lois, il vous faut partir. » Voilà donc une communauté entière transformée comme par magie, et pour ainsi dire malgré elle, en une société d’abstinence totale. Personne n’en est fâché; tout le monde s’en trouve bien. Du reste, Khama est juste, aimable obligeant avec tous. Mangouato est l’entrepôt du commerce qui se fait au pays des ma-Tébélé au Zambèze et au lac Ngami. Les marchands ont calculé qu’il est passé entre leurs mains plus de 75,ooo kilogr. d’ivoire, soit les défenses de plus de 12,000 éléphants. A ce taux, on peut, sans être prophète, prédire la destruction prochaine de ces animaux. On comprend que, dans une communauté ou de si grands intérêts sont en cause, il y ait quelquefois des complications commerciales plus ou moins graves. Lorsque cela arrive, tous les Européens sous la présidence du missionnaire, se constituent en cour d’équité et leurs décisions, avec la sanction du chef, ont force de loi. M. et M"“ Hepburn, Écossais au coeur chaud, ont succédé à M et M“ Mac- kenzie, appelés à la direction de l’institution Moffat, à Kourouman. Nos amis ont été bénis dans leur oeuvre. Il y a six mois, ils revenaient du lac Ngami où
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