il a été trahi et fait prisonnier ! » En vain essayâmes-nous de leur expliquer que les ba-Souto ont perdu leur indépendance, qu’ils ne peuvent pas être tenus responsables des actes du gouvernement anglais et que, quant à nous, nous n’avons absolument rien à faire avec les questions politiques ; en vain M. Sykes leur disait-il, dans un langage dont ils pouvaient saisir toute la portée: « Qui peut connaître lé coeur d’un roi et le sonder? Connaissiez- vous celui de Mossélékatsi ? » Cela nous valut une volée d’insultes de nature à faire trembler nos gens. C’est bien à eux, en effet, qu’on en voulait. On me mettait à part, moi, et on me faisait toutes sortes de professions de confiance, de considération et de bienveillance. « Mais vous, ba-Souto, » leur criait-on avec des gestes menaçants, « vous avez l’odeur de Molapo, cet indigne fils de Moshesh, qui a trahi et vendu Langalébalélé ! Nous avons peur de vous. Nous frémissons en vous voyant ici. Vous permettre de vous étabbr dans notre pays ? Jamais ! Jamais ! Voilà le chemin qui conduit hors, de notre pays : — partez !... » Chose étrange, M. Sykes et moi, nous ne perdions pas encore tout espoir. Nous essayions de nous persuader que les dignitaires des ma-Tébélé voulaient nous faire apprécier leur faveur, et en même temps mettre à leur place des gens qu’üs méprisent et dont ils sentent cependant la supériorité. Cruelle illusion ! Le chef nous appela, — car cette conférence avait eu lieu à notre campement, et Lobengoula s’était abstenu d’y prendre part. Nous passâmes là, dans sa cour, avec ses conseillers, de longues heures, accroupis au grand soleil, silencieux et mornes comme si nous attendions l’heure d’un enterrement! Lobengoula, lui, était dans sa hutte tout aussi silencieux que nous, mais à l’ombre. Ce ne fut que vers le coucher du soleil qu’il rompit le silence. Son audience ne fut qu’une triste répétition de la conférence du matin, sans plus de décorum et avec plus d’injures. Le roi donnait le ton, et ses grands chefs, à qui mieux mieux, tombaient sur nos évangélistes comme des chiens déchaînés. Lobengoula insista sur la distinction qu’il s’était déjà efforcé d établir entre nos gens et nous, affirmant que, si j ’étais seul, ni lui, m ses gens, n’auraient d’objection à traiter avec moi ; mais que, quant aux catéchistes ba-Souto il ne voulait pour aucune considération leur permettre de rester dans son pays, - toujours, disait-ü, à cause de cette malheureuse affaire de Lanqaîébalélé, et de l’odieuse trahison de Molapo. Notre frère M. Sykes, que je le dise à son honneur, ne me laissa pas seul à la brèche ; aussi reçut-il sa bonne part d’insultes. A in s i se termina cette audience officielle que nous attendions depuis si lonqtemps ! Nous nous croyions sous l’influence d’un affreux cauchemar; nous ne reconnaissions plus le fils de Mossélékatsi, qui, depuis plus de deux mois, nous avait traités avec tant de considération et de cordialité. L était bien le cas de répéter : « Qui peut sonder le coeur d’un roi ? » — et j ’ajoute : — d’un roi de ma-Tébélé. Nous étions comme cloués à terre ; mais quand tous les chefs, les uns après les autres, eurent fait hommage à leur maître et pris congé de lui, il nous fallut bien, nous aussi, saluer et partir. — Nous nous réunîmes dans la tente pour prier, mais des larmes eussent pu seules soulager nos coeurs. Quatre jours se sont passés depuis lors. Le chef et sa soeur, étonnés de ne pas me voir les visiter, comme d’habitude, me firent demander. Ils sont évidemment fort mal à l’aise. — Lobengoula s’efforça de rejeter toute la responsabilité de l’affaire sur les chefs, et réitéra ses protestations de bienveillance envers moi personnellement. Je sentais tout l’avantage de ma position. Jamais je ne parlai sa langue avec plus de facilité. Il me fut donné de tenir à ce potentat blasé par les flatteries les plus abjectes un langage plein de respect, mais aussi plein de vérité et de sérieux : <r Chef, moi aussi je suis un mo- Souto, je ne fais qu’un avec mes gens. Je suis à leur tête, le coup qui les frappe me frappe le premier. Ce qui m’afflige et affligera tous nos amis, c’est qu’après nous avoir permis de voir ton visage, et après nous avoir traités avec tant de bonté, tu nous chasses aujourd’hui ignominieusement de ton pays, et pour une affaire qui ne nous concerne pas le moins du monde. » Il se tut, baissa la tête, et, comme pour acquit de conscience, il ajouta à demi- voix : « Si j ’avais su tout cela, peut-être aurions-nous parlé autrement. » Oui, peut-être ! néanmoins le verdict de son conseil demeure, et nous préparons maintenant nos voitures pour prendre ce chemin qui nous a été montré et qui conduit « hors du pays ». Voilà donc où en est notre expédition missionnaire ! - 4- Après presque une année de voyage, quel résultat !... Maintenant, nous demanderez-vous ce que nous allons faire ? La première chose pour nous, c’est de ne pas perdre courage. Et pourquoi perdrions-nous courage ? II n’y a rien d’extraordinaire dans nos circonstances. Jésus et ses apôtres ont passé par là, leurs traces ensanglantées le témoignent. Les voies du Seigneur ne sont pas les nôtres, et ses pensées ne sont pas nos pensées. L’oubhenons-nous ? Nous parlions des ba-Nyaï, et nous en chérissions déjà le nom. Mais qui sait si le Seigneur n’a pas d’autres vues que les nôtres, d autres peuples à nous donner à évangéliser ? — Si Lobengoula nous avait refusé franchement et simplement d’aller parmi ses tribus d’esclaves, notre horizon, ce nous semble, eût été moins sombre. Mais cette malheureuse affaire de Langalébalélé, sur laquelle lui et ses gens font pivoter toutes leurs injures et leurs refus, nous ferme, à peu près sans espoir, la porte de presque toutes les tribus de Zoulous. Il nous est impossible à présent de penser même a aller frapper à la porte de Mozila, cet autre Mossélékatsi, la terreur des peuplades d’au delà du Sabi jusqu’à Sofala.
27f 90-2
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